Attentat de Nice: une commission d’enquête parlementaire s’impose

© AP Photo / Christian AlminanaNice Aftermath
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La France vient de connaître, à quelques jours d’intervalles, deux attentats horribles. Aux 84 morts de l’attentat de Nice le soir du 14 juillet est venu s’ajouter celui de Saint-Etienne du Rouvray ou un prêtre a été sauvagement égorgé. Or, les principes de la République ont été sérieusement malmenés au sujet de l’attentat de Nice.

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Et l'on peut craindre, surtout dans le contexte de l'odieux attentat de Saint-Etienne-du-Rouvray, que la polémique née autour de l'attentat de Nice ne décuple. Dans ce contexte, la constitution d'une commission d'enquête parlementaire est on ne peut plus pertinent et s'impose comme une évidence. La polémique virulente qui est issue de ces attentats condamne dorénavant toute enquête administrative. Nous sommes désormais dans le domaine politique, et c'est politiquement qu'il convient de le traiter.

Etablir les faits

Il est désormais en effet clair que seule une commission d'enquête parlementaire peut traiter les questions soulevées par l'attentat de Nice et restaurer les principes de la République. Ceux-ci ont d'ailleurs été mis à mal par les déclarations des membres du gouvernement, de Bernard Cazeneuve à Manuel Valls. Cette commission se devra d'établir les faits soit:

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1. Les effectifs de police étaient-ils suffisants et correctement déployés pour une manifestation de cette importance? On sait que c'est le journal Libération qui a lancé le débat sur ce point (1). Contrairement à ce qu'affirme le communiqué du 16 juillet du ministre de l'Intérieur qui dit: « La mission périmétrique était confiée pour les points les plus sensibles à des équipages de la police nationale, renforcés d'équipages de la police municipale (2)», il semble bien que c'était des policiers municipaux qui assuraient la sécurité du premier périmètre. Un rapport de l'IGPN assure que les effectifs étaient suffisants, mais ne répond nullement aux autres questions.

2. Comment un camion de 19 tonnes a-t-il pu circuler à Nice, alors que les rues de cette ville sont interdites à ce genre de véhicule? On sait qu'à toute interdiction correspond des exemptions, de fait ou de droit. Mais, le soir du 14 juillet la circulation d'un tel engin aurait pu et dû mettre les forces de police en alerte.

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3. Toutes les conditions de sécurité étaient-elles remplies et pourquoi aucun obstacle artificiel (chicanes en béton, grilles anti-véhicules) n'avait été déployé aux entrées de cette manifestation? On savait, depuis l'attentat à la voiture-bélier à Nantes le 22 décembre 2014 (3) que ce type de méthode pouvait être utilisée. Des obstructions mobiles étaient disponibles, et avaient été utilisées lors de l'Euro 2016. Si la mairie de Nice n'a pas voulu les utiliser (ce qui constitue en soi une faute grave) pourquoi le préfet des Alpes-Maritimes, autorité de dernière instance en matière de sécurité d'événements publics à Nice, n'a-t-il pas exigé que cela soit fait? Le préfet avait autorité pour pouvoir interdire cet événement s'il considérait que les conditions de sécurité n'étaient pas remplies.

4. Quel était le niveau de préparation des responsables tant municipaux que nationaux à un attentat? Il est clair que la sécurité s'était focalisée sur une bombe ou l'usage de ceintures explosives. Mais croire que l'ennemi va être routinier est une énorme erreur. Les croyances des acteurs ne sont pas seulement affectées par les sources externes mais par le mouvement de remise en cause des ordres de croyances qu'induisent les sources. De là découle une question cruciale quant à l'attentat de Nice. Compte tenu des informations raisonnablement disponibles sur le degré et les natures possibles des menaces terroristes à la veille du 14 juillet, les responsables de la police nationale, et de l'Etat, à Paris comme à Nice, n'ont-ils pas pêché par le même "…sentiment injustifié d'une immunité quant à une attaque... » que ce que l'on a connu à Pearl-Harbor (4)?

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5. Le ministère de l'Intérieur a-t-il fait pression sur la responsable de la vidéosurveillance, Sandra Bertin, policière municipale et secrétaire générale du Syndicat autonome de la fonction publique territoriale (SAFPT) de Nice? Les accusations portées par cette dernière sont trop graves pour être récusées d'un revers de main, comme affecte de le faire le ministre de l'Intérieur, M. Bernard Cazeneuve. Il est bien établi qu'elle a parlé le 15 juillet avec une responsable du ministère, le numéro 3 de l'état-major de la Direction centrale de la sécurité publique (DCSP) (5). Il est possible qu'elle ait confondu cette personne avec un membre du cabinet du ministre. Géographiquement, ce n'est pas complètement absurde car la Direction centrale de la sécurité publique est abritée dans un bâtiment adjacent à celui du ministère, précisément rue des Saussaies à Paris. Et, comme l'ensemble de ces directions également, la DCSP est rattachée directement au ministre.

Responsabilités politiques

Mais, les principes de la République ont aussi été mis à mal par les déclarations outrancières de certains ministres, et non des moindres. Rappelons que Jean-Marie Le Guen a fait une déclaration scandaleuse, qui pose un véritable problème de morale et de politique: "Je veux bien qu'on aille sur ce terrain-là, mais dans ce cas, il n'y a plus d'État de droit dans le pays. Si un certain nombre de journalistes, de commentateurs, de responsables politiques mettent en cause le fonctionnement de la justice et des services administratifs de l'État, alors c'est une thèse qui est extrêmement dangereuse pour la démocratie" (6), il met en cause en réalité la démocratie. Le premier ministre, M. Manuel Valls, a mis en balance le fait que M. Estrosi avait bénéficié du retrait de la liste PS-PRG pour l'emporter au second tour des régionales contre Marion Maréchal-Le Pen (FN) en décembre pour l'amener à des positions plus conformes aux siennes, ce qui est d'une rare indignité (7).

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Il est allé jusqu'à prononcer ces mots: « Cette idée, au fond, que l'Etat ment, a quelque chose à cacher, alimente le doute, fracture l'état de droit ». Lui qui prétend admirer Clemenceau ferait bien de le lire. Car Clemenceau, dans des circonstances autrement plus difficiles, en pleine guerre de 1914-1918, alors qu'il était président du conseil, avait, lui, déclaré le 8 mars 1918: «… Je dis que les républicains ne doivent pas avoir peur de la liberté de la presse. N'avoir pas peur de la liberté de la presse, c'est savoir qu'elle comporte des excès (8)». Cela fait d'autant mieux ressortir le caractère outrancier des déclarations des membres du gouvernement. Mais, si les membres du gouvernement étaient assurés de leurs positions, s'en remettraient-ils à de telles outrances?

Ici encore, seule une commission d'enquête parlementaire est à même, en établissant clairement les responsabilités des uns et des autres, de ramener les acteurs de ce drame aux principes de la République, ce qui peut entraîner, le cas échéant, leur démission. Il convient donc que les députés de la majorité comme de l'opposition, s'accordent rapidement sur sa constitution.


(1) http://www.liberation.fr/france/2016/07/20/securite-a-nice-370-metres-de-questions_1467531

(2) Cité d'après Libération, http://www.liberation.fr/france/2016/07/20/securite-a-nice-370-metres-de-questions_1467531

(3) http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2014/12/22/01016-20141222ARTFIG00352-une-camionnette-fonce-dans-la-foule-du-marche-de-noel-a-nantes.php

(4) S.E. Morison, History of United States Naval Operations in World War II — Volume III — The Rising Sun in the Pacific, Boston, Little, Brown & company, 1988 (première édition 1948), pp. 136-139

(5) http://www.marianne.net/nice-commissaire-qui-echange-sandra-bertin-est-ndeg3-etat-major-dcsp-100244658.html

(6) http://www.bfmtv.com/politique/attentat-de-nice-pour-jean-marie-le-guen-critiquer-l-etat-est-dangereux-pour-la-democratie-1009413.html

(7) http://www.lemonde.fr/politique/article/2016/07/25/nice-manuel-valls-denonce-une-polemique-indigne-qui-vise-a-destabiliser-le-gouvernement_4974254_823448.html

(8) http://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/histoire/grands-moments-d-eloquence/georges-clemenceau-je-fais-la-guerre-8-mars-1918

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