Calais au bord de la crise de nerfs

© REUTERS / Charles PlatiauMigrants pass by a road sign as they leave the northern area of the camp called the "Jungle" in Calais, France, September 7, 2016.
Migrants pass by a road sign as they leave the northern area of the camp called the Jungle in Calais, France, September 7, 2016. - Sputnik Afrique
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La Jungle de Calais, le plus grand bidonville d’Europe, dont Sputnik a relaté les conditions de vie. Mais la jungle devient de plus en plus problématique pour les Calaisiens. Nous leur avons donné la parole. Ils nous racontent leur quotidien de plus en plus difficile. Témoignages.

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Calais, son port, son beffroi, ses six bourgeois de Rodin, Calais d'où l'on peut apercevoir par beau temps les côtes anglaises…. Elle est maintenant loin cette image d'Épinal de la jolie ville de Calais. Pour les Français et le monde, c'est plutôt Calais et son ferry, Calais et son terminal d'Eurotunnel, Calais et sa "Jungle"… Ces derniers mois, le camp de clandestins a régulièrement fait les gros titres, devenant le principal symbole du chef-lieu de la côte d'Opale.
Après les associations, puis les transporteurs routiers et si nous donnions la parole à ceux qui vivent et travaillent à proximité de la "Jungle" — et qui côtoient ses habitants —? Nous sommes allés à la rencontre de ces personnes — qui depuis un an et demi, font peu parler d'elles.

Nous nous sommes rendus route de Gravelines, l'axe résidentiel le plus proche de la jungle et de la rocade qui mène au port de Calais et à l'A16 en direction d'Eurotunnel. Autant dire que ses habitants sont aux premières loges… Nous avons commencé notre porte à porte par Dominique, un sapeur-pompier, son voisin possède une serre — régulièrement visitée la nuit par les migrants — des migrants qu'il suspecte, à la vue de l'état de ses haies, de passer par son terrain:

"On doit faire des frais, on a commencé à acheter de quoi faire des palissades pour en fin de compte… s'enfermer, malheureusement, c'est nous même qui nous nous enfermons… Est-ce que ça ne devrait pas plutôt être le contraire? Je ne sais pas…"

Une situation qui est loin d'être isolée, rajoute Dominique:

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"Vous pouvez arpenter toute la route de Gravelines, c'est certain qu'il y a beaucoup de monde qui a rehaussé les murs des façades, des cours, pour en fin de compte s'isoler. C'est vrai qu'il y a beaucoup de passage, dire qu'ils rentrent chez nous sans arrêt c'est faux, mais pour nous c'est une contrainte et la peur est toujours là, pour nos enfants, pour nos petits-enfants. On ne sait pas comment ça peut se passer…"

En effet, nous avons constaté que même si certains continuent à laisser leurs portails ouverts, la plupart des maisons sur la route ont de hauts murs à l'apparence bien neuve, voir pour certains des palissades, c'est le cas de Colette, pour qui le voisinage de la "jungle" est moralement éprouvant:

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"La cohabitation est quelquefois difficile, c'est vrai qu'on ne se sent plus trop en sécurité. Tout est toujours très bien fermé au niveau du portail, nous avons un chien qui garde la maison… ils ne sont jamais rentrés chez nous, mais on sait très bien que ça ne pourra pas durer. […] Le soir on s'assure que tout est bien fermé, on a un système d'alarme, dans la rue le soir, toute seule, on ne peut plus sortir: j'allais promener mon chien, derrière, on avait accès, on était tranquille quand on est arrivé il y'a douze-quinze ans, et maintenant on ne peut plus sortir — ne serait-ce que le chien — tout est salle et puis on ne se sent pas en sécurité parce que dedans il y a des gentils mais il y a aussi des méchants, il ne faut pas l'oublier."

Ce n'est pas Franck qui la contredira. Il habite route de Gravelines et travaille comme docker au port de Calais, il subit donc les conséquences de la présence de la "Jungle" aussi bien chez lui que sur son lieu de travail. Il a d'ailleurs participé à la manifestation du 5 septembre sur l'A16.

"J'ai un prunier, je n'ai plus de prunes. Le fils de mon voisin s'est fait attaquer sur la route, ils lui ont balancé un bout de bois dans son carreau, il a même failli mourir ce garçon. Ici, c'est un passage, toutes les nuits on entend la police… c'est la guerre urbaine ici! Chaque nuit il faut voir la situation qu'on vit ici."

Si Franck n'a pas peur pour sa personne, après tout un docker en impose tout de même un peu, c'est pour sa famille qu'il se fait du souci:

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"J'ai trois filles, elles prenaient le bus là-bas, route de Gravelines, elles ne peuvent plus. Elles se font peloter, il n'y a plus de place dans le bus, elles se font caresser lorsqu'elles montent dans le bus. La dernière fois, ma fille a dû rentrer d'urgence dans la boulangerie parce qu'ils l'avait entourée lorsqu'elle était descendue."

Marie, habite la maison au croisement de la rue de Gravelines et de la rue des Mouettes — qu'empruntent les migrants de la "Jungle" souhaitant traverser le pont qui surplombe la rocade portuaire. Ses voisins le disent tous: elle ne dort plus que d'un œil, et on l'aura compris lors de l'interview, elle n'ose plus s'occuper de son jardinet qui longe la route.

"Le peu de personnes qui ont des animaux: des lapins, des chèvres. Un voisin s'est fait voler ses chèvres, des lapins, des poules. On a toujours la peur au ventre, c'est au quotidien. La nuit lorsqu'on entend du bruit, qu'on regarde à la fenêtre, ils nous font des menaces comme s'ils allaient nous couper la gorge — parce qu'on les regarde — donc on se met en retrait."

Continuons notre périple avec Freddy, qui habite un peu plus bas… il travaille à Auchan Calais. La grande surface est située juste à la limite de Coquelles, soit à la hauteur de la sortie du terminal d'Eurotunnel et sa bretelle d'autoroute, sur l'A16.

"Dans la journée on n'a pas à se plaindre, mais c'est surtout la nuit. Je travaille de nuit à Auchan — Calais, je m'en vais d'ici vers minuit et demi, il y en a partout, ils envahissent l'A16 tous les soirs entre minuit et six heures du matin. J'ai des collègues qui viennent travailler la nuit, ils arrivent le parebrise éclaté, rétroviseurs arrachés. Ils sont stressés, certains se mettent à l'arrêt. C'est le quotidien, tous les soirs."

Peu après le pont surplombant la rocade, toujours route de Gravelines, Jean-François Gratien, propriétaire d'un centre équestre décrit également son quotidien:

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"C'est très difficile depuis un an et demi. Les clandestins cassent tout sur leur passage pour essayer de rejoindre l'autoroute ou la rocade, du coup ils ont démonté tout ce qui se trouvait sur leur passage pour essayer de bloquer la rocade. Je suis installé sur vingt hectares, il n'y a plus de clôtures autour du centre équestre, ils ont tout démonté. On a subi des vols de moutons, des lapins d'apparat qui servaient pour une ferme pédagogique — même pas des lapins à manger — on a eu des poules de volées, du matériel de volé, donc c'est assez compliqué. Les clandestins, depuis un certain temps, sont assez agressifs. On a du mal à comprendre pourquoi autant d'agressivité. En même temps, ils sont les uns sur les autres et c'est compliqué pour eux également. On ne peut pas laisser des gens dans une telle misère, dans une cohabitation impossible entre ethnies, à 10.000 sur un aussi petit territoire."

Plus loin sur la route de Gravelines, à hauteur de Fort Vert, commune limitrophe de Calais, Olivier Butez, agriculteur, n'est pas non plus épargné depuis que le camp s'est établi:

"On les subit tous les jours, les premières conséquences sont dans nos récoltes. Chez moi ils ont balancé du lin dans les cours d'eau, j'ai à peu près une surface d'un hectare et demi qu'ils ont mis dans les cours d'eau et sur l'autoroute, après ils s'attaquent à des champs de pommes de terre pour se nourrir ou pour vandaliser — pour s'amuser […] Nos premières craintes c'est pour les enfants, j'ai des enfants en bas âge ils ne peuvent plus circuler librement sur l'exploitation ou les abords de l'exploitation, parce que lorsque vous vous retrouver face à 100 migrants…"

Au-delà du nombre, Olivier Butez est également le témoin impuissant d'évènements de plus en plus graves:

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"Il y a une quinzaine de jours, on a retrouvé un corps derrière l'exploitation et un blessé à la hache: un matin six heures, on faisait nos bêtes avec mon frère et on a entendu du bruit, et quand on s'est rendu sur place on a retrouvé un homme avec une grande entaille sur son front, tout ensanglanté, à cinquante mètres on a retrouvé un corps et également deux blessés à proximité. Ce n'était jamais arrivé jusqu'à présent, je trouve que ça commence à s'aggraver."

Si ces habitants comprennent la difficile condition des migrants entassés dans la jungle, ils sont de plus en plus amers qu'on ne prenne pas plus en considération leurs propres difficultés.

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