Torturés en Ukraine : ils témoignent, l’Onu enquête

© AFP 2023 Fabrice CoffriniL'Onu
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La mission des Nations unies revient dans le pays pour tenter de terminer son enquête, bloquée par les autorités. Ses premières conclusions étaient alarmantes; elles sont corroborées par les témoignages exclusifs de détenus que Sputnik a recueillis.

Le sous-comité des Nations unies pour la prévention de la torture a repris du service dans l'Est ukrainien, jusqu'au 9 septembre. En attendant, l'organisation ne « communique pas sur les enquêtes en cours ». Les conclusions de la précédente mission, avortée, avaient de quoi alarmer: elles révèlent que le recours à la torture et aux mauvais traitements sur les prisonniers est endémique, tant de la part des services de sécurité ukrainiens que des rebelles du Donbass. L'interruption de la mission aura-t-elle laissé aux belligérants l'occasion de se rattraper? Sputnik est entré en contact avec des détenus et d'anciens détenus, dont les témoignages viennent étayer les recherches de l'Onu.

Les aveux comme irréfutables preuves

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Les services secrets ukrainiens (SBU) pratiquent souvent des interpellations violentes, parfois même filmées. Vitaly, qui s'exprime derrière les barreaux et préfère garder l'anonymat, en a fait les frais. C'est la tête enveloppée dans un sac que la police l'arrête et durant le trajet vers la salle d'interrogatoire, il perd plusieurs fois connaissance, faute d'oxygène. Mais c'est peut-être un moindre mal, car si lui parvient à garder le silence face aux agents, d'autres sont moins chanceux: "des personnes avaient commencé à parler, parce que sinon on allait les tuer… il y en avait un tuméfié, on avait dû le battre avec une batte, je ne me souviens plus… reins brisés, côtes cassées, commotion cérébrale".

Dans son rapport du 16 mars, le sous-comité pour la prévention de la torture s'inquiète des « régulières allégations » concernant des actes de torture et de mauvais traitements, particulièrement pendant le premier interrogatoire.

Dans l'attente d'un procès, ou pas

Une fois celui-ci passé, si le prévenu y arrive, les coups cessent: « la police ne fait pas ce genre de choses ». Mais dans les centres de détention provisoire (SIZO) où ils sont ensuite placés, les conditions de détention sont à ce point « préoccupantes » qu'elles peuvent être assimilées à une « forme de torture », avertit l'Onu dans ce même rapport. Alexandre Soukhanov, ancien détenu d'Odessa, se souvient du manque d'aide médicale et de nourriture; il raconte: "quatre personnes dans une cellule de 8 m², un bain une fois par semaine et là encore l'eau y est tiède, c'est le moins qu'on puisse dire. Sur ces 8 m², un mètre carré est occupé par les toilettes, c'est-à-dire qu'elles se trouvent dans la cellule et ne sont pas séparées du reste de celle-ci." C'est par ces mots qu'il résume son voyage dans le temps et la crasse: les SIZO sont des "vestiges de l'Union soviétique".

Un pays où les arrestations sont cachées, mais réelles

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Direction Kharkov, à l'autre bout du pays: au 1er étage de la direction départementale du SBU, il y a un endroit « où l'on mène des interrogatoires ». Mais les journalistes qui sont venus filmer n'ont trouvé qu'une pièce vide: « On m'a dit que les affaires avaient été déplacées, les lits enlevés, pour donner l'impression qu'il n'y avait jamais eu personne ». Et pourtant, Nikolaï Vakaruk y a passé du temps: enlevé en 2014 à Oukraïnsk, ville sous contrôle de l'armée ukrainienne dans la région de Donetsk, il a été détenu secrètement pendant 585 jours, accusé à tort de vendre la mèche aux séparatistes. Roué de coups et soumis à des températures glaciales, il a dû subir une ablation du rein. Human Rights Watch et Amnesty International ont dénoncé l'existence de ces « prisons secrètes » dans leur rapport de juillet 2016, au nom sans équivoque: « "You Don't Exist" Arbitrary Detentions, Enforced Disappearances, and Torture in Eastern Ukraine » ("+Vous n'existez pas+ Détentions arbitraires, disparitions forcées et torture dans l'est de l'Ukraine").

Mainmise sur l'entourage, une pratique courante

Les prisonniers ne sont pas les seuls menacés. Anna a dû faire face à l'humiliation et la vindicte populaire, suite à l'arrestation médiatisée de son mari Denis Shatunov. Son arrestation, mais aussi la fouille de leur appartement ont été filmées et la vidéo, postée sur le site de la Direction générale du ministère de l'Intérieur de la région d'Odessa, a été reprise par les médias locaux: « J'ai parlé avec une représentante de l'OSCE à Odessa et elle m'a dit qu'une telle vidéo constituait une violation du droit de l'homme à la vie privée, aux données personnelles. J'ai fait une demande à ce sujet mais personne ne m'a rappelé […]. C'est une goutte d'eau dans la mer vu ce qui se passe aujourd'hui». La "femme du séparatiste" devient la cible de menaces téléphoniques et de cocktails Molotov. Elle finit par quitter le pays avec sa fille, tandis que Denis purge encore sa peine.

"Les médias ukrainiens formatent l'opinion publique"

Dimanche 4 septembre 2016, les locaux de la chaîne Inter TV à Kiev ont été partiellement brulés. Une vingtaine de nationalistes ukrainiens en tenue de camouflage ont provoqué un incendie, accusant cette chaîne de télévision de vues prorusses. "La violence n'est jamais une réponse acceptable quand on désapprouve une politique éditoriale, même si elle est vue comme provocante", a déclaré Dunja Mijatovic, représentante de l'OSCE pour la liberté de la presse. Les médias officiels "incitent à la haine éthnique" estime de son côté le politicien Vasyl Volga, chef du parti de l'Union des forces de gauche. Quand les médias annoncent que le SBU a libéré une douzaine de prisonniers par exemple, c'est la méfiance qui règne. Ceux qui sortent des prisons secrètes des services de sécurité ukrainiens sont forcément coupables, observe Vasyl Volga: "En Ukraine, l'opinion publique a été façonnée de manière à ce qu'on se dise que ceux qui ont une opinion différente sur ce qui se passe quelque part (que ce soit à l'est, à l'ouest, ou au sud du pays), ou une autre opinion différente de celle du pouvoir officiel, n'ont pas droit à un procès équitable ou à la défense".

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Le droit à un "procès équitable" et à un "tribunal honnête" est également remis en cause par la mission, qui constate par ailleurs que la détention provisoire peut durer jusqu'à… neuf ans. Alexandre Soukhanov a vu défiler des représentant d'ONG durant sa détention, mais doute que les observateurs internationaux de la sous-commission puissent réellement voir les conditions dans les lesquelles ces personnes attendent leur procès. Quoi qu'il en soit, à la barre aussi, c'est une autre forme de pression qui s'exerce, lorsqu'on leur martèle: "Et qui t'a dit que tu gagnerais?".

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.

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