Taux d’intérêts négatifs: calvaire pour le citoyen, menace pour l’économie

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“Les taux négatifs sont comme une supernova qui va exploser” (William H Gross, gestionnaire du fonds PIMCO, plus gros fond obligataire mondial, 9 juin 2016)

Loin d’être l’aubaine des crédits pas chers et de l’immobilier facile chantés par les médias grand public, les taux d’intérêts ultra faibles ou négatifs – fait pratiquement sans précédent dans l’histoire économique – sont en réalités une mécanique dangereuse, qui peut aboutir à la ruine des épargnants et à des désastres économiques. Nous démontons ici les effets pervers et les risques que font peser cette mécanique infernale.

Article réalisé en coopération avec Brice Alves, ancien élève d’HEC, auteurs d’articles économiques.    

Voyage au pays des taux négatifs… ou : voyage en Absurdie [1]

Interrogez les anciens, on n’avait jamais vu ça de mémoire d’épargnant élevé au Livret de Caisse d’Epargne : des taux pratiquement à zéro, voire négatifs sur les marchés financiers.

Vous prêtez 1.000 durant 5 ans, et à échéance, on vous rembourse 950… telle est la signification concrète d’un taux d’intérêt négatif.

On ne le répètera jamais assez : des taux d’intérêts négatifs sont une aberration totale, une monstruosité économique. C’est la négation de la logique fondamentale de l’économie. Cela équivaut à ce qu’une entreprise accepte, sciemment et en permanence, de vendre à perte. Cela signifie que le prêteur s’appauvrit en prêtant, et l’emprunteur gagne de l’argent en s’endettant, car il va rendre au final un capital inférieur à ce qu’il a emprunté !  

Le prix de l’argent repose dans le monde “normal” sur 3 notions essentielles :

—  c’est une denrée rare (on ne trouve pas d’argent dans la rue, sauf accident), et indispensable (aucun projet ne peut se réaliser sans argent). Or tout ce qui est rare et nécessaire en économie a nécessairement une valeur. Ce prix de l’argent s’appelle le taux d’intérêt. La formation d’un taux d’intérêt, une fois considéré cette rareté, intègre essentiellement deux autres éléments :

—  La valeur du temps : l’argent prêté n’est pas disponible pour le prêteur parfois durant de longues années. Il aurait pu en faire un autre usage (coût d’utilité) Cela a nécessairement un coût ;

—  Le risque de l’opération. On ne peut jamais être sûr à 100% que l’emprunteur va rembourser, surtout sur une longue période. Le risque zéro n’existe pas.  

Des taux négatifs, c’est nier la valeur temps (le temps ne coûte plus rien) et le risque (il n’existe pas). Il est considéré également que le fait de perdre de l’argent à coup sûr est normal. Alors que bien sûr, c’est une aberration financière totale. L’investisseur investit de l’argent pour en gagner, pas pour être sûr d’en perdre !

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Mais comment est-ce possible ? en effet, pour qu’un prix s’établisse sur un marché, il faut un vendeur … et un acheteur. Comment un vendeur peut-il accepter un marché ou il est perdant à coup sûr ? mieux vaudrait ne rien faire. Ce paradoxe s’explique d’abord parce qu’un certain nombre d’investisseurs (fonds de pension, Sicav) doivent statutairement contenir un pourcentage d’obligations d’état considérées comme sans risque. Ils vont donc en acheter sur le marché, quel que soit la rémunération proposée ; le deuxième facteur, actuellement déterminant, est la folle politique des banques centrales, Banque Centrale Européenne, notamment. Celle-ci rachète systématiquement la bagatelle de 80 Md d’€ par mois de dette obligataire dans la zone Euro afin de soutenir l’économie par de la création monétaire ex-nihilo. Ce qui augmente artificiellement le prix des obligations, le taux d’intérêt évoluant en sens inverse du prix. 

Nous noterons au passage que cette politique que nous qualifierons “d’aventureuse” est en totale contradiction avec un autre objectif macroéconomique affiché: la réduction du montant des dettes, des dettes souveraines (ou dettes d’état) particulièrement. Comment prétendre lutter contre la spirale infernale de la dette, pendant que dans le même temps, la BCE dit en substance aux états “j’achète la dette que vous émettez ?” Autant vouloir guérir un alcoolique en l’enfermant dans un dépôt de vins et spiritueux !  

LES REPERCUSSIONS DES TAUX NEGATIFS AU QUOTIDIEN

Vous m’objecterez que tout cela ne concerne pas Monsieur tout le monde, car le monde des taux interbancaire est une sphère totalement hors de notre réalité. Les taux d’intérêts aux particuliers ou aux entreprises, même si ils sont très faibles, restent positifs. Grave erreur !

La première conséquence la plus visible est la ruine des petits épargnants. Le Livret de Caisse d’Epargne ne rapporte à peu près plus rien. L’Espoir de beaucoup de gens modestes qui ont accumulé un peu d’épargne au prix parfois d’une vie de labeur est ruiné : leur argent ne leur rapporte plus rien, pas même quelques centaines d’€ d’intérêts, une somme qui serait pourtant bienvenue pour compléter une retraite bien souvent indigente. Mais ce n’est pas tout.

L’autre conséquence, tout aussi grave, concerne l’immobilier, qui constitue l’essentiel du patrimoine pour une immense majorité de familles.

CREDIT PAS CHER ET AUBAINE IMMOBILIERE : LA GRANDE ESCROQUERIE!

Contrairement à ce que l’on vous explique partout, le crédit pas cher n’augmente pas, au final, le pouvoir d’achat des candidats au logement. C’est même le contraire.

Depuis de nombreuses années maintenant, la chute continue des taux d’intérêts obligataires à des niveaux historiquement jamais vus entraîne inexorablement celle des taux des crédits, qui leur sont adossés, immobiliers en particulier[2]. De nombreux médias, dont la caractéristique essentielle est de ne pas réfléchir plus loin que le bout de leur nez, ont inlassablement colporté la fausse bonne nouvelle : de l’argent pas cher ! de l’argent quasi gratuit ! Chaque famille allait s’enrichir en acquérant un ou des biens immobiliers grâce à des taux d’intérêts jamais vus.

Malheureusement, même si elle fait beaucoup appel aux mathématiques, en économie 2+2 ne font pas nécessairement 4, et un crédit moitié moins cher ne veut pas dire que l’on s’enrichit deux fois plus.

Déjà, un fait aurait dû mettre la puce à l’oreille de tout observateur: les taux de crédit n’ont jamais été aussi bas, c’est un fait. … et les consommateurs n’ont jamais été autant endettés ! 

Deux règles économiques, apprises par tout étudiant en économie, mais hélas ignorées, contribuent pourtant à expliquer ce paradoxe.

 1)     le niveau des prix est proportionnel à la quantité d’argent en circulation. L’exemple classique enseigné en économie est l’inflation en Espagne au XVIème siècle avec l’arrivée de l’or des conquistadores revenant d’Amérique du sud. Mais me direz vous nous sommes aujourd’hui en déflation ! La BCE ne sait plus comment faire pour obtenir 2% d’inflation annuel dans la zone Euro. Dans ces conditions, comment les prix pourraient-ils monter ? Mais il s’agit de l’indice des prix à la consommation. Pas l’indice des prix immobiliers. Ce n’est pas la même chose. Les prix de l’immobilier eux se sont envolés depuis 15 ans, car les crédits immobiliers fabriqués par les banques n’ont cessé de créer de la monnaie, de la “monnaie immobilière” en quelque sorte, réservée à ce seul usage : vous ne pouvez pas utiliser votre crédit immobilier pour autre chose que l’achat du bien considéré. N’oublions pas que chaque fois qu’un crédit est accordé, il y a création monétaire.  Mécaniquement, comme l’explique cette loi économique, les prix ont donc augmenté. Considérablement. Les autres secteurs qui eux ne sont pas irrigués par cette manne monétaire voient leurs prix stagner voire baisser. Il n’y a pas un seul indice des prix, mais plusieurs. 

2)     Les crédits abondants dans un marché où l’offre est rigide entraînent nécessairement une hausse des prix. C’est le cas dans les grandes métropoles comme Paris, puisqu’il n’y a que très peu de nouvelles constructions. La préemption de logements par la mairie augmente encore cette pénurie dans ce cas précis [3]… 

La Loi d’airain des taux d’intérêts illustrée par l’exemple: ou comment la baisse des taux alimente la hausse des prix.               

Moultes hypothèses furent échafaudées pour expliquer la folle hausse des prix immobiliers en France depuis 15 ans : riches acheteurs étrangers, démographie, amour sans limite pour la pierre… La véritable raison est simple : une baisse continue des taux d’intérêts associée à un allongement considérable de la durée moyenne de crédit (15 ans en moyenne jusque dans les années 90 ;  30 ans aujourd’hui !). 

Exemple : soit un acheteur qui peut rembourser au maximum 1.000 € par mois et qui s’endette sur 25 ans. On néglige l’assurance et les frais de dossier.

Avec un taux d’intérêt à 10% (ce qui était le cas durant des décennies et jusqu’aux années 90 ; dans les années 80, ce taux était même grimpé à plus de 15% en France pour un emprunt sur 15 ans) l’emprunteur peut emprunter un capital de : 110.047 €. 

Si le taux descend à 5%, il pourra emprunter : 171.060 € (+ 55,44 %)

A un taux d’intérêt de 2% fixe, il pourra emprunter : 235.930 €  (+ 114 %)!

CQFD…

Mais là ou les choses se gâtent, c’est que, conformément à la loi économique telle qu’elle a été exposée plus haut, les prix de l’immobilier ont suivi la même courbe provoqué par cet afflux de liquidités.

L’augmentation de la capacité d’emprunt est donc un véritable marché de dupes. Il n’enrichit pas l’acquéreur, et aggrave le surendettement des acheteurs.

C’est bien ce que nous pouvons constater tous les jours : les crédits immobiliers aspirent littéralement tout le revenu disponible des ménages.

Prenons le cas d’un épargnant (nous l’avons évoqué un peu plus haut)  qui, au terme d’une vie de travail, souhaite acquérir un bien immobilier grâce au capital qu’il a patiemment accumulé. Le voilà en quelque sorte, condamné à la double peine :

—  Son capital ne lui rapporte plus rien, puisque les taux d’intérêts “sans risques” sur les livrets notamment sont pratiquement à zéro ;

—  Comme dans le même temps, les prix de l’immobilier ont grimpé de manière vertigineuse, sous l’effet de l’apport massif de liquidités empruntées, son pécule ne suffit même plus : il lui faut en plus s’endetter !  

Evolution des taux d’intérêts en France depuis environ 30 ans. Il y a clairement une corrélation inverse entre la baisse continue des taux d’intérêts et la hausse continue des prix de l’immobilier.

Un fléau pour toute l’économie; une épée de Damoclès au dessus de nos têtes

Les risques gravissimes que font peser un Krach obligataire et un Krach immobilier sur toutes les économies des pays développés.

Les ravages du taux zéro affectent aussi les acteurs de l’économie qui ont besoin de placer leurs liquidités afin de faire du rendement : banques, compagnies d’assurance vie ont de plus en plus de mal à gagner de l’argent. Le problème est que nombre de ces investissements concernent l’assurance vie, les fonds de pension, investissements qui détermineront les revenus futurs de millions de retraités. Comment va t-on verser des retraites, autrement dit des rentes, si les placements qui sont censés les produire ne rapportent plus rien ?

Le risque de crise planétaire liés à la remontée des taux

Ces risques sont essentiellement de deux ordres :

—  Le risque de Krach immobilier,

—  Le risque de Krach Obligataire.

Le risque de Krach immobilier

Nous avons vu, démonstration à l’appui, que la seule cause réelle d’envolée des prix de l’immobilier depuis une bonne quinzaine d’année est lié à la chute, apparemment inexorable, des taux d’intérêts. C’est cette chute continue qui permet d’emprunter toujours plus et qui, de manière perverse, alimente la hausse des prix. Que se passera t-il lorsque les taux remonteront (notez bien on ne dit pas si mais lorsque) ? C’est très simple : arithmétiquement, la capacité d’emprunt des acheteurs va inexorablement se contracter. Et par conséquent le mécanisme décrit plus haut va fonctionner, mais en sens inverse : les acheteurs ne pouvant plus emprunter les sommes demandées par les vendeurs, ceux-ci ne pourront plus vendre au prix qu’ils souhaitaient. Les prix devront bien s’ajuster et commenceront inexorablement à baisser. Or, nous voyons que le marché immobilier actuellement en France demeure médiocre, malgré des taux incroyablement bas et un allongement affolant de la durée des prêts. Une remontée franche des taux risque d’induire une crise sévère, qui se propagera à la construction de logements. L’effet sur le moral des ménages sera catastrophique : le bien immobilier étant souvent l’essentiel du patrimoine des ménages, sa hausse continue entretient une illusion, appelé en économie un effet richesse. Que se passera t-il si cette valeur est sévèrement et définitivement amputée ? l’effet sur les ménages, donc sur la consommation et sur toute l’économie sera dévastateur.

Le risque de Krach obligataire.

Les obligations atteignent des sommets jamais vus, essentiellement grâce à la politique aventureuse des banques centrales, BCE en tête, nous l’avons vu. Que se passera t-il, là aussi, lorsque ces politiques ultra accommodantes cesseront ? Un krach obligataire deviendra alors  inéluctable. Concrètement, plus personne ne voudra acheter des titres qui ne rapportent rien, sauf à prix cassés (décote). Il en résultera, pour les détenteurs de portefeuilles obligataires importants, des moins values de plusieurs milliard d’€ ou de $. Suffisamment pour déclencher une nouvelle tempête financière aux conséquences incalculables, plus grave encore sans doute peut être que la crise des Subprimes entraînant la faillite de Lehmann Brothers en 2008. Rappelons que 80% des placements boursiers sont représentés par des emprunts obligataires !

Le risque existe, il est très inquiétant. Des économistes connus, certains étant prix Nobel, ont tiré la sonnette d’alarme à plusieurs reprises. Pour l’instant ils ont hélas prêché dans le désert.

Il semble d’ailleurs que les banques centrales n’osent plus sortir des ces politiques de taux zéro, tétanisées en quelque sorte, par les risques que feront peser leur remontée. Il faudra pourtant bien en sortir un jour. Mais, lorsque la crise arrivera, les professionnels ne pourront pas dire qu’ils n’avaient pas été prévenus !…  

[1] D’après le titre d’un roman

[2] En France les crédits immobiliers sont adossés à l’OAT (Obligation Assimilée du Trésor) à 10 ans. Le taux final d’un crédit immobilier est égal à ce taux majoré de la marge de la banque et de frais divers (assurance, frais de gestion) 

[3] Voir à ce sujet les informations sur le site www.delanopolis.fr notamment.

 

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