«Nous savions tous qu'on risquait ne pas arriver jusqu'au bout»

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Le président syrien Bachar al-Assad a promis d'amnistier tous les combattants syriens d'Alep qui déposeraient les armes. Cependant, on ne constate pratiquement aucun mouvement du côté de la population ou des combattants : en effet, les extrémistes interdisent aux habitants de quitter leurs maisons sous peine de mort.

Un correspondant de MIA Rossiya Segodnya, avec la contribution des renseignements généraux et militaires syriens, a pu rencontrer des combattants et des civils qui ont pu quitter en vie, par petits groupes, les quartiers Est d'Alep.

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Il fait encore nuit. Le téléphone sonne. Au bout du fil: le chef du poste de contrôle de Cheikh Maqsoud.

« Pardon d'appeler si tôt. Il y a littéralement une demi-heure une trentaine de personnes, femmes et enfants, sont arrivées à notre poste de contrôle, tout le monde est en vie. Le chef a donné le feu vert, vous pouvez venir leur parler avant qu'ils ne soient envoyés dans un camp », indique la voix au téléphone.

L'arrivée d'un aussi grand groupe est un cas rare ces dernières semaines. Tous ceux qui se sont dirigés avec leurs enfants du côté de l'armée syrienne risquaient leur vie. Ils n'avaient pas le droit à l'erreur. Il y a quelques jours, les terroristes ont exécuté 26 personnes dans l'est d'Alep. Désespérés, certains ont tout de même décidé de partir dans la nuit.

« Nous savions tous qu'on risquait ne pas arriver jusqu'au bout. Les terroristes nous menaçaient constamment de prendre nos enfants ou de nous exécuter. Mais c'est devenu complètement insupportable de vivre dans les quartiers qu'ils contrôlent. C'est pourquoi nous nous sommes rassemblés pour partir par petits groupes dans l'obscurité totale en direction du poste de contrôle. C'était très terrifiant », déclare une jeune femme, cachant son visage avec un foulard.

Ces quelques personnes se tiennent près des bus. Les militaires notent leurs informations et établissent des listes. Des médecins sont arrivés sur place pour procéder à un examen préliminaire. A l'issue de toutes les formalités, les citoyens seront transportés dans un camp de réfugiés où ils pourront manger de la nourriture chaude, se laver et se reposer.

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Alep - Sputnik Afrique
Alep

Pendant le recensement des noms, les femmes racontent en chœur que leurs enfants ont faim, qu'ils ont besoin d'eau et d'assistance médicale.

« Les terroristes prenaient toute la nourriture pour eux. Il ne nous restait pratiquement rien simplement parce que nous n'avions personne qui se battait avec eux. Ces deux derniers mois ils disaient constamment que l'armée était responsable de notre famine. Nous sommes allés vers l'armée, nous savions qu'ils nous mentaient et nous avons eu raison », crie une femme en montrant du doigt les enfants et les soldats.

Promesse tenue

Un officier annonce que cette nuit, deux combattants étaient également sortis et qu'ils se trouvaient actuellement en détention.

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« On m'a fait savoir que vous aviez demandé à rencontrer des combattants dès qu'ils arriveront sur notre territoire. Vous aurez un peu de temps pour leur parler. Le centre de détention du renseignement militaire n'est pas loin, l'un de mes soldats vous y accompagnera », dit l'officier.

Centre de détention provisoire. Plusieurs cellules avec des portes en fer, des gardes partout. Dans une cellule: deux hommes, tous les deux d'une quarantaine d'années, en vêtements ordinaires et sans barbe.

« Voilà deux individus qui ont décidé de revenir à la vie pacifique. Je vous propose de discuter dans la salle des interrogatoires. Il y aura du thé, bien sûr », déclare le général Mazen (le nom a été changé), enquêteur de l'armée syrienne.

Les anciens combattants sont conduits dans la salle sans menottes. L'atmosphère est parfaitement calme et rien ne nous indique que nous faisons face à deux terroristes.

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Ils commencent par affirmer qu'ils n'ont tué personne. L'un était chargé de recharger des bouteilles de gaz et l'autre de rester au poste de contrôle.

« Quand notre quartier a été proclamé "territoire de l'Armée libre", nous n'avions que deux choix: être avec eux ou être leur ennemi. Mais je n'ai jamais tué personne, je rechargeais les bouteilles de gaz et je nourrissais ma famille », raconte le premier détenu.

« La situation a considérablement empiré dans les quartiers Est ces deux derniers mois. Les leaders du Front al-Nosra, de Nour al-Din al-Zinki et d'autres groupes ont depuis longtemps remplacé l'Armée libre dans l'est d'Alep. Maintenant les chefs viennent d'Égypte et d'Arabie saoudite. Ils organisent régulièrement des discours de propagande dans les mosquées en appelant les hommes à prendre les armes et en insinuant que dans le cas contraire, les armes seraient tournées contre eux », poursuit le second combattant.

© AFP 2023 GEORGE OURFALIANLes quartiers nord-est d’Alep nettoyés par l’armée syrienne
Les quartiers nord-est d’Alep nettoyés par l’armée syrienne - Sputnik Afrique
Les quartiers nord-est d’Alep nettoyés par l’armée syrienne

Les deux hommes cherchent manifestement à ne pas dévoiler trop de détails, craignant visiblement que la conversation puisse être enregistrée et présentée comme un chef d'inculpation. Selon le général, il ne sera pas difficile de prouver leur implication dans des exécutions et des meurtres s'ils les ont commis: les gens qui vivent dans le quartier se connaissent, ce sont des locaux, alors que les étrangers ne sont pas concernés par l'amnistie. « Dès que les civils commenceront de sortir ils raconteront qui rechargeaient les bouteilles de gaz et qui assassinait les femmes et les enfants », insiste le général, regardant chacun d'eux dans les yeux.

L'espoir avant la désillusion

« Dans les quartiers Est, nombreux sont ceux qui souhaitent la fin de la guerre. Mais pendant plusieurs années on nous a martelé que les militaires nous tueraient dans les prisons dès que nous déposerions les armes. Nous avons décidé de prouver avec notre exemple que ce n'était pas le cas. Je ne mentirai pas: j'ai encore peur, et quand la révolution a commencé j'y étais favorable, mais pas aux radicaux et aux étrangers. Comme beaucoup d'autres je voulais que la situation s'améliore », raconte le second combattant.

Les deux ne nient pas qu'ils s'opposaient à la politique nationale du parti au pouvoir mais ne s'imaginaient pas du tout qu'on les forcerait à vivre selon les lois de la charia, et que leurs quartiers seraient submergés par des mercenaires des quatre coins du monde.

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Après presque une heure dans la salle des interrogatoires, les anciens « révolutionnaires » se détendent un peu et déclarent à l'enquêteur qu'ils sont prêts à entrer en contact avec leurs anciens frères d'armes pour les convaincre que personne n'a l'intention de les tuer en prison et que l'amnistie n'est pas un mythe mais une réalité.

Entre 200 et 300 000 civils vivent encore dans les quartiers Est d'Alep. La plupart des Syriens ayant pris les armes il y a quelques années sont passés sous les drapeaux des groupes terroristes pour différentes raisons: certains espéraient un bon salaire, d'autres par peur pour la vie de leurs proches ou après avoir subi un lavage de cerveau.

© Sputnik . Michael Alaeddin / Accéder à la base multimédiaDes combats à Alep
Des combats à Alep - Sputnik Afrique
Des combats à Alep

« Beaucoup parmi ceux qui passaient par notre service reconnaissaient que la vie sous le commandement des terroristes devenait de plus en plus insupportable. Au sein de la population, ceux qui s'estimaient loyaux envers la pseudo-charia on commencé à répandre le mythe des représailles sanglantes de l'armée contre la population civile », poursuit le général une fois sorti de la salle des interrogatoires.

Mazen espère que des fugitifs comme les deux que nous avons rencontré pourront eux-mêmes constater que la vie est normale en dehors de la zone des terroristes et convaincre leurs amis de déposer les armes, ce qui sauvera la vie de nombreux civils et accélérera probablement la fin de cette guerre qui a déjà emporté la vie de centaines de milliers de Syriens.

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