Rester vivant : un pilote vole contre la sclérose en plaques

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La sclérose en plaques, une maladie qui fait peur, qui évoque un esprit et un corps amoindris. Loïc Blaise fait mentir les clichés. Touché par cette maladie, ce pilote lance une expédition en Arctique au profit des enfants malades et de l’environnement. Portait.

Quand on vous dit sclérose en plaques, qu'imaginez-vous ? Une maladie neurologique. Aucun traitement. Une maladie qui détruit le cerveau. Et quand vous rencontrez quelqu'un qui en est affecté, vous vous attendez certainement à voir une personne malade, triste, abattue. Vous ne vous attendez certainement pas à voir un pilote, avec les yeux qui brillent et qui est en train de monter une expédition en Arctique. Alors, cassons les stéréotypes et les préjugés. Tout comme Loïc Blaise l'a fait. Quand son médecin lui diagnostique la sclérose en plaques en 2012, Loïc, un pilote instructeur, doit abandonner sa licence, le cœur brisé.

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« On perd son aptitude médicale professionnelle d'emblée, ce sont des lois européennes, légitimes, qui font qu'on ne va pas faire prendre des risques à des passagers ou les spectateurs d'un meeting aérien, alors que la personne qui pilote a un problème neurologique. C'est dur à vivre, quand on est condamné au sol alors qu'on ne pense qu'au ciel. C'est un peu difficile à expliquer. Comme quelqu'un qui aurait grandi à la montagne ou au bord de la mer et qui devrait partir vivre en ville, loin de ses fondamentaux : il ferait une dépression. »

Le temps passant, après des batailles contre lui-même défiant l'imagination, il repend le manche, se souvenant « qu'un aviateur meurt s'il renonce à se battre et lâche les commandes ». Aujourd'hui, Loïc organise l'expédition Polar Kid, un tour du monde arctique en avion léger. Elle est consacrée aux enfants malades de la sclérose en plaques… et au réchauffement climatique en Arctique.

« C'est la première fois qu'on fait un tour de l'arctique dans sa globalité, avec des expéditions terrestres, maritimes, aériennes… et c'est aussi, en l'état, la dernière fois : la glace estivale aura disparu d'ici quelques années. Moi, je suis encore debout. Donc, il est inimaginable de rester assis en attendant que ça fonde, tout comme il est inimaginable d'attendre sans rien dire un traitement qui reste à découvrir. Je ne suis pas le seul concerné avec ma petite sclérose en plaques et les autres malades non plus, ils ne sont pas les seuls, on a tous un petit peu une sclérose en plaques, on a tous ça. On a tous un truc à affronter à un moment ou à un autre. L'idée finalement c'est de rester combatif, énergique, de ne pas se coucher. Aller de l'avant et ne se laisser faire par la fatalité. »

« Polar Kid s'engage contre la maladie, contre l'idée d'irréversibilité, contre le réchauffement et les catastrophes climatiques, pour la protection du sanctuaire arctique, des espèces et des cultures locales, pour le droit de chaque être humain à naître et vivre dans un environnement protégé, pour l'avenir de tous. Parce que tout est lié. »

Telle est sa profession de foi. Partant de cette idée, Loïc commence à chercher des partenaires et des sponsors. C'est en Russie qu'il trouvera ses principaux soutiens.

« Le départ officiel de la mission, c'est Saint-Pétersbourg, c'est une mégalopole qui est juste en dessous du cercle arctique. C'était aussi une façon de dire merci à la Russie de m'ouvrir son ciel. Et puis symboliquement, c'est une ville importante, construite comme une porte sur l'Europe. Très au Nord, aussi, deux jours après le départ, nous franchirons le Cercle arctique. Il n'y a pas de pays plus important qu'un autre dans cette expédition. Géographiquement, la Russie, c'est incontournable, symboliquement aussi, la mission Polar Kid essaie de fédérer les nations arctiques autour d'une problématique commune, je suis assez heureux de pouvoir le faire en commençant par là. Tout s'est fait assez rapidement. AéroVolga m'a proposé de construire l'hydravion dont j'ai besoin pour la mission. C'est une firme russe, du côté de Samara, et c'est l'un de mes premiers sponsors. »

Le courage et l'enthousiasme de Loïc sont communicatifs, à tel point qu'une légende de l'aéronautique russe, Valery Tokarev, se propose spontanément pour être son navigateur. Ce n'est pas rien quand on sait que ce pilote d'essai et de chasse est aussi un cosmonaute qui a passé 189 jours dans l'espace à bord de la station spatiale ISS. Une offre qui a donné des ailes à Loïc :

« J'étais plongé dans la réglementation et j'essayais de voir comment il était possible de passer en Russie. J'ai rencontré Valery Tokarev, il ne m'a pas pris du haut de tout, c'est un grand monsieur. [il m'a dit] "raconte-moi, tu comptes passer par où?" Je lui ai expliqué mon plan de vol, il a vu que j'étais sérieux, que j'avais déjà beaucoup travaillé sur ce projet. Il a dit "si ça peut t'aider, si tu veux, je t'accompagne." J'ai pensé qu'il plaisantait, j'avais du mal à y croire, d'avoir un coup de bol pareil, d'affronter quelque chose de si difficile que ce projet et de trouver sur ma route des gens aidant à ce point.

Le monde de l'aéronautique est hyper-solidaire de mon aventure, en fait. Quand on essaie de mettre en place des projets généreux, qui vont vers les autres, on arrive à fédérer. On m'a dit que je parlais trop des gens qui sont autour de moi, qu'il fallait que je parle de moi sur cette expédition, mais franchement, je ne pourrais pas faire tout ça tout seul et ce sont des personnes uniques, comme Virginie Guyot, la première femme au monde à avoir dirigé une patrouille acrobatique nationale… Tout ce soutien, c'est un peu comme les rêves d'enfant. Il y a dans l'équipe des cosmonautes, des voltigeurs, des pilotes de chasse, ils vont se relayer à mes côtés, c'est une équipe solide pour faire face à des enjeux tout aussi grands. »

Pour mener à bien le projet, il faut évidemment un avion. Et comme l'expédition cherche à préserver l'environnement, les ailes de Loïc se doivent d'être écolos. Ce sera donc un hydravion ultra-léger qui tourne à l'essence sans plomb et qui consomme moins qu'une voiture de tourisme. De plus, son empreinte carbone, même minime, est compensée. Tout autre chose que le PBY Catalina, un hydravion de la Seconde Guerre mondiale, que Loïc pilotait avant sa maladie.

« Mon métier à moi, c'est surtout les hydravions. Celui construit par AéroVolga a des performances uniques, je ne vais pas parler des détails techniques, mais il est extrêmement agile, il sort de l'eau en six secondes à la masse maximale, c'est une vraie performance, cet avion est particulièrement stable en vol et très efficace sur l'eau. »

L'expédition prend donc forme petit à petit, reste à faire partager l'aventure aux enfants malades. Leur montrer ce que Loïc réalise alors qu'il est atteint du même mal qu'eux reste l'un des objectifs majeurs du projet. Et Loïc ne manque pas d'idées :

« J'essaie de transformer des sujets anxiogènes comme la maladie ou le réchauffement en une aventure féerique pour les enfants : des voltigeurs, des pilotes de chasse, des cosmonautes, des hommes et femmes que les enfants regardent en se disant : ah ça quand même ! L'idée de cette mission, c'est de faire rêver des mômes. Je veux l'enchanter pour les enfants, c'est pour ça qu'on les emmène voir les baleines, les ours blancs, les chamans. Ils seront téléportés par les technologies de réalité immersive.
Il y a un petit côté Disneyland pour eux, oui, c'est vrai, mais au-delà de ça, si les mômes tombent amoureux du monde que l'on va leur montrer, s'ils vont dedans sans interface, rien au milieu, sans moi pour boucher le paysage, on a gagné. C'est par le désir qu'on peut les aider à aller mieux, c'est par ce même désir qu'eux feront en sorte un jour que notre monde aille mieux. Parce que c'est eux demain qui prendront des décisions. »

Tout est fait pour donner un élan vital aux enfants, en somme. Et Loïc compte bien mettre les technologies modernes au service de son rêve :

« En fait plus simplement, on décolle pour une mission rare. On retransmet tout sur internet, pour tout le monde. Mais plus particulièrement pour les enfants. Ils auront accès à des capsules avec des petites séquences que l'on prendra chaque jour et que nous essaierons de diffuser. C'est avec les enfants qui sont malades, ceux qui sont en unité pédiatrique, que j'ai le plus envie de partager parce que c'est eux qui ont besoin d'énergie pour pouvoir se battre. Leur apporter des lunettes de réalité virtuelle à l'hôpital demande des moyens et on ferra tout pour y arriver. Pour qu'ils puissent sortir de l'hôpital virtuellement. Pour qu'ils volent avec nous. S'ils mettent ce casque, ils auront l'impression d'être à ma place dans le siège du pilote, ils ne me verront pas moi, ils verront tout ce que je vois. Leur monde à eux. »

La mission sera prête à prendre son envol l'été prochain. Dans l'avion, Loïc, son copilote, un husky… et le regard des enfants, malades ou non.

« C'est un message fort aux enfants. Ils portent une maladie terrible, mais il y a des aviateurs prestigieux qui partent faire le tour du monde des glaces pour qu'on leur trouve un traitement. C'est une façon de leur apporter de l'espoir. Moi, je pense que l'espoir en 2016, c'est un truc qu'il faut faire circuler. C'est la réaction que j'ai vue chez les enfants : il est comme moi, il a la même maladie que moi, donc, ce n'est pas perdu. On peut se battre. Et pour la planète… c'est pareil. »

« Je pense que ça, c'est un message qui est absolument universel. Le cœur des pionniers de l'aviation, de Saint-Exupéry à Vodopianov, est un cœur battant à partir du moment où l'on porte encore leurs valeurs, leur humanisme, leur sens du devoir, leurs objectifs. Expliquer la mission en deux mots, c'est un peu compliqué… mais en résumé : rester vivants ! Et ça, c'est un vrai boulot de pilote. »

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