Frappes américaines au Yémen, vers une escalade du conflit?

© REUTERS / Khaled AbdullahYémen
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Le 12 octobre, les États-Unis ont effectué plusieurs frappes contre les houthis, en guerre contre l’Arabie Saoudite et sa coalition. Si l’US Navy affirme s’être simplement défendue, l’incident pourrait annoncer une escalade dans le conflit, qui pourrait finit par impliquer la France.

Au Yémen, les États-Unis entrent militairement en scène. Le Pentagone a annoncé que le destroyer USS Nitze avait lancé plusieurs missiles de croisière Tomahawk contre cibles en territoire houthi. Un acte purement défensif pour les Américains, qui ont annoncé que le destroyer USS Mason et le navire logistique USS Ponce avaient essuyé des tirs de missile, respectivement les 9 et 12 octobre, alors qu'ils croisaient à proximité du détroit de Bab al-Mandeb, en Mer rouge.

« Ces frappes limitées de légitime défense ont été conduites pour protéger nos personnels, nos navires et notre liberté de navigation sur cette voie maritime importante » a déclaré Peter Cook, le porte-parole du Pentagone.

Les tirs de missiles Tomahawk sont-ils le prélude à une intervention plus significative des USA dans le conflit yéménite, sur le modèle des incidents du golfe du Tonkin en 1962? Rappelons que les USA avaient prétexté des attaques sur leurs navires par des torpilleurs nord-vietnamiens pour entrer en guerre. Une attaque qui s'était avérée imaginaire, contrairement à la guerre qui s'en était suivie.

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Comparaison d'autant plus tenante que le Yémen est parfois désigné comme « le Vietnam de l'Arabie Saoudite ». Si avec 200 avions de combat les Saoudiens et leurs alliés arabes ont la maîtrise du ciel, la situation au sol semble tout autre malgré d'importants effectifs émiratis et saoudiens. Depuis plusieurs mois, l'opération « Restaurer l'espoir » subit des revers autour de Sanaa ainsi que dans le nord montagneux du pays, fief des Houthis. Un nouveau bourbier en somme, comme le décrit Fayçal Jalloul, chercheur à l'Académie de géopolitique de Paris:

​« Le nord du Yémen n'a jamais été occupé par une force étrangère. Les Britanniques ont essayé pendant un siècle, ils n'ont pas réussi. C'est une région très difficile, c'est comme l'Afghanistan. Ces gens-là ont une réputation de résistance extraordinaire, ils n'ont pas peur: la guerre c'est leur métier. »

La cible de ces frappes, des « sites radars » en territoire contrôlé par les Houthis, ces « rebelles » chiites restés fidèles à l'ex-président Ali Abdallah Saleh destitué par le « Printemps arabe » et depuis 2014 en butte aux partisans d'Abd Rabbo Mansour Hadi, le nouveau président et à l'Arabie saoudite depuis 2015. Ils jugent les accusations américaines « sans fondement ». Pour Fayçal Jalloul, les rebelles « font profil bas » et n'ont pas vraiment intérêt à pousser la résilience de la population à ses limites en multipliant les belligérants:

« La population yéménite supporte un certain niveau de guerre, de bombardements […], mais pousser les Américains à intervenir dans la guerre, je ne pense pas qu'ils osent ce calcul-là. »

Pour le chercheur, il est plus envisageable que les forces yéménites aient recherché à intimider les vaisseaux américains, qui croisaient là afin de limiter l'approvisionnement des forces rebelles par la mer:

« Toute aide militaire […] provient de la mer, car il y a deux mille kilomètres de côtes yéménites difficilement contrôlables. Peut-être, les Américains ont essayé de s'approcher de la côte yéménite pour entraver toute aide aux Yéménites et ils ont riposté. »

Pour Fayçal Jalloul, si les États-Unis ne recherchent pas à ouvrir un nouveau front à l'approche du changement de législatures à Washington, le danger — minime, mais existant — d'un élargissement du conflit existe si les vaisseaux américains persistent à vouloir contrôler le littoral yéménite:

« Ce glissement dans la guerre du Yémen, pourrait transformer ce conflit, aujourd'hui entre l'Arabie saoudite et le Yémen, en un conflit régional et même international. »

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En effet, l'allié américain s'était jusqu'alors contenté de fournir renseignements, munitions et aide logistique de grande ampleur à Ryad. Un support tellement soutenu qu'il avait d'ailleurs laissé les chasseurs-bombardiers français du Charles de Gaulle sur le carreau lorsqu'ils avaient manqué de munitions après le redoublement des frappes contre Daech suite aux attentats de Paris. Les États-Unis avaient alors mis un point d'honneur… à réapprovisionner Ryad en premier.

Mais l'allié saoudien s'enlise au Yémen depuis un an et demi. Malgré les moyens considérables de la coalition dirigée par l'Arabie saoudite, aucune victoire décisive n'est en vue. Au contraire, les rebelles arrivent encore à porter des coups sévères aux Saoudiens jusque dans leurs contrées:

« Les Yéménites arrivent à pénétrer, à faire des avancées, à attaquer, loin de leurs frontières: au fond des gouvernorats saoudiens de Jizane et de Najran — 100 à 150 km — et ils ont pu occuper les trois plus importantes montagnes saoudiennes à la frontière entre les deux pays. Ils font du dégât face à l'armée saoudienne… ils font vraiment du dégât. »

En retour, les Saoudiens ne font pas dans la dentelle. Samedi dernier encore, la frappe d'un missile sur une veillée funéraire tuait 140 participants et en blessait 525 autres dans la capitale du pays, toujours aux mains des « rebelles ». Devant l'indignation internationale, son excellence le Roi Salmane d'Arabie Saoudite a daigné, dans son infinie bonté, autoriser l'évacuation vers l'étranger des 300 blessés graves afin qu'ils puissent recevoir les soins appropriés.

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Le seul résultat tangible du conflit est la situation humanitaire catastrophique dans le pays. En janvier dernier, l'Obs relayait les mots de Peter Maurer, Président du Comité international de la Croix-Rouge: « Le Yémen, après cinq mois, ressemble à la Syrie après cinq ans. » » Et encore, le choléra ne s'était pas encore déclaré dans le pays… Vendredi, les premiers cas de la maladie ont été révélés par l'OMS.
Pour ne rien arranger, depuis la multiplication des « bavures » de la coalition contre ses hôpitaux et ses cliniques, Médecins Sans Frontières s'est retiré en août dernier des zones sous le feu de la coalition arabe.

Est-ce pour mettre un terme à ce bain de sang que les Américains semblent vouloir donner un coup de pouce à leurs alliés saoudiens? Une stratégie risquée face à des rebelles qui n'ont plus grand-chose à perdre.

« Je pense que si les Américains s'enfoncent dans la guerre du Yémen, leurs bases militaires dans la région seront attaquées par des missiles yéménites. »

Mais le plus inquiétant pour Fayçal Jalloul, c'est la présence à proximité directe du Yémen, de la base de Djibouti, la plus grande base française dans le monde et où stationnent des forces américaines qui en louent une partie.

« Cette base jouent pour un rôle très stratégique pour les Français et les Américains. Si cette guerre se développe, glisse, vers une situation incontrôlable, cette base sera à mon avis attaquée par les yéménites et pas seulement cette base, mais toutes les bases de la région. »

Djibouti, à 30 kilomètres des côtes yéménites, est à portée des missiles rebelles. Il paraît difficile d'envisager que Paris ne réagisse pas en cas de chute d'une ogive à proximité de ces installations, ce qui entraînerait ainsi à son tour et malgré elle, la France dans le conflit.

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