Pourquoi les Turcs restent-ils dans le nord de l’Irak ?

© AFP 2023 MUSTAFA OZERTurkish soldiers return from Iraq near the Turkey-Iraq border in the mainly Kurdish southeastern Cukurca province of Hakkari, on February 29, 2008.
Turkish soldiers return from Iraq near the Turkey-Iraq border in the mainly Kurdish southeastern Cukurca province of Hakkari, on February 29, 2008. - Sputnik Afrique
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« Reste à ta place » dit Erdogan à Al-Abadi, qui entend rester à la sienne, sur la base de Bashika, au nord-est de Mossoul. Alors que l’offensive pour libérer la ville est imminente, les Américains feraient-ils pression pour y maintenir les troupes turques, au nom de lutte antiterroriste, mais contre l’avis de l’Irak ?

Les relations entre Ankara et Bagdad s'enveniment et Washington tenterait de jouer aux arbitres. C'est ce qu'estime Aydin Selcen, ex-consul turc à Erbil, capitale du Kurdistan irakien. Face à Daech, les représentants américains prônent une stratégie unifiée, à tel point que l'influence exercée sur Ankara a pu conduire les Turcs à maintenir leur présence militaire sur la base de Bashika, au grand dam des autorités irakiennes. Possible, même si la Turquie suit une voie bien à elle, selon Hosham Dawod, chercheur au CNRS, anthropologue et spécialiste de l'Irak.

Certainement Washington exerce-t-elle des pressions sur la Turquie, pour qu'elle s'intègre dans sa stratégie anti Daesh. Vous savez, il y a plus d'une nuance concernant cette réponse. Parce que la Turquie a sa propre ligne, qu'elle suit depuis des années. Quelquefois, elle était critiquée et présentée tantôt comme complice des djihadistes et tantôt comme leur ennemie. Néanmoins, il y a eu et il y a toujours des pressions sur la Turquie. Je crois que les Russes sont passés par là avant, quand il y avait des problèmes concernant la politique turque en Syrie. Les Américains ont encore quelques difficultés avec leurs alliés turcs.

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La Turquie a plus de 1 000 km de frontière avec la Syrie et l'Irak. En plus de la lutte contre Daesh, elle entend également résoudre le « problème kurde », à l'intérieur comme à l'extérieur de ses frontières. La Turquie compte empêcher les militants du PKK, le parti des travailleurs kurdes, installés dans la région de Sinjar, à l'ouest de Mossoul, de renforcer leurs positions. Le maintien de sa présence sur la base irakienne Bashika, au nord de Mossoul, est contesté. On compte 1 000 à 2 000 soldats déployés en Irak et particulièrement sur cette base. Selon Ankara, les troupes turques seraient venues à l'invitation des peshmergas irakiens de Massoud Barzani, président du gouvernement régional du Kurdistan. Ce qui pose problème, c'est la position ambigüe d'Ankara, estime Hosham Dawod, qui finalement multiplie les justifications contradictoires, et perd en crédibilité :

L'ennui, c'est que les Turcs disent tantôt qu'ils sont au nord de l'Irak à la demande de l'ancien gouverneur de Mossoul, Athil al-Nujaifi. Peu de temps après, ils déclarent qu'ils sont à Bashika à la demande de Massoud Barzani, président toujours en fonction après avoir dépassé son mandat officiel à la tête du GRK au nord de l'Irak. Les autorités turques déclarent également que leurs forces se trouvent près de Mossoul à la demande des autorités fédérales irakiennes, « d'après un accord que nous ne voulons pas divulguer ». En vérité, il y a un manque de crédibilité. La vraie raison, c'est : tout le monde se positionne en vue de l'après Daesh et de ce qui va advenir de cette région après la libération de Mossoul. L'État turc a le droit d'être inquiet devant des questions importantes : Le PKK sera-t-il un peu plus fort ? Les Iraniens avanceront-ils un peu plus vers le nord de l'Irak, près de la frontière turque ? Cette évolution améliorera-t-elle la position des Kurdes en Syrie ? Mais l'erreur d'Ankara est qu'elle passe outre Bagdad et multiplie le nombre de ses adversaires dans la région. Force est de reconnaître que la politique turque est aujourd'hui plus que jamais isolée.

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Alors que la bataille pour la libération de Mossoul est imminente, le ton est encore monté d'un cran entre Ankara et Bagdag. L'Irak souhaite la tenue d'une réunion du Conseil de Sécurité de l'ONU pour statuer sur la présence militaire turque à Bashika, et mettre un terme à la « violation de sa souveraineté ». Le Premier ministre irakien, Haïder al-Abadi, ne veut pas voir les Turcs, perçus comme une « force d'occupation », participer à la reconquête de Mossoul. Ce à quoi le président Recep Erdogan a rétorqué : « Reste à ta place ».

« La Turquie sent qu'elle est une force majeure dans la région et il faut le prendre en considération. Or, les Turcs pensent avoir été marginalisés par leurs alliés américains d'abord, russes et autres ensuite. Aujourd'hui, ils souhaitent rappeler de façon bruyante qu'ils sont concernés par ce qui se passe dans la région. Ils ne cessent de répéter : "Nous avons notre vision, nos intérêts".  Il y a probablement un deuxième point important, c'est ce qui touche au comportement même du président turc Ergodan : beaucoup d'observateurs régionaux et internationaux, voire des décideurs politiques, trouvent qu'il est ombrageux, se laisse facilement emporter et manque de diplomatie dans une région suffisamment tendue et éclatée. Il suffit d'observer la place et la crédibilité du président turc dans la région dans le monde : il a peu d'alliés et son pays est presque encerclé par des adversaires. Et sa manière de parler avec le Premier ministre irakien, même si c'est un pays qui traverse des difficultés, n'est pas celle d'un chef d'État. »

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Le Premier ministre irakien Haïder al-Abadi a qualifié les propos d'Erdogan d'irresponsables et exagérés. « Mossoul est un combat réel d'hommes sur le terrain et non pas une guerre menée par Skype », ajoutant qu'il n'est pas à la hauteur de ce combat. Au lieu de s'asseoir à une table de négociation avec les autorités légitimes de Bagdad et de discuter, la Turquie se met à dos tantôt Bagdad, tantôt la Syrie, tantôt la Russie, ou les États-Unis. Mais finalement, « Erdogan malgré lui, a un peu ressoudé ce que l'on croyait disparu, le nationalisme irakien. Aujourd'hui, la plupart des Irakiens, Kurdes compris, exigent que l'armée turque se retire du nord de l'Irak, comme les autres forces non autorisées par le pouvoir irakien. Vous voyez, ce qui était mal calculé par Ankara, a plutôt rendu service à Bagdad ».

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