Le viol politiquement correct de la langue française

Le viol politiquement correct de la langue française
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Quand une agence de communication formalise l’écriture politiquement correcte pour lutter contre les inégalités hommes-femmes, cela donne le Manuel d’écriture inclusive. Si la langue française y perd son latin, il est au moins rassurant de se dire que la syntaxe est le dernier champ de bataille de la parité.

Aahhh ! Au viol ! Au secours ! au viol !

Ah, Monsieur le Commissaire, c'est horrible ! je viens d'être témoin d'un viol en bande organisée ! il faut arrêter les coupables !

Calmez-vous, Monsieur ! Énoncez-moi les faits !
Une vraie tournante, comme dans les cités, Monsieur le Commissaire ! ils étaient plusieurs, la victime ne pouvait se défendre. Mais… mais les auteurs seront faciles à trouver, ils ont diffusé les preuves de leur forfait partout sur internet !

Reprenons dans l'ordre. Qui est la victime ?
La langue française, Monsieur le Commissaire ! elle a été agressée avec une brutalité inouïe par une bande de sauvages, ils la tenaient, elle ne pouvait rien faire, elle a subi les pires sévices, c'était horrible !

Ah ! La langue française… je vois, je vois… et vous dites qu'ils ont laissé des preuves derrière eux ? L'enquête sera bouclée en deux-deux !

Oui, Monsieur le Commissaire, regardez ! C'est même mieux que ça, ils revendiquent leur acte immonde ! C'est une agence de « communication d'influence », je ne vais pas dire leur nom, ce serait leur faire trop d'honneur. Ils ont sortis un Manuel d'écriture inclusive, ou ils expliquent comment ils violent et torturent la langue française, soi-disant pour lutter contre les inégalités entre hommes et femmes.

Allons, Monsieur, l'égalité hommes-femmes, c'est une cause honorable. Ces gens ne peuvent être aussi mauvais que vous le dites !

C'est vite dit, Monsieur le Commissaire ! Bien sûr que c'est bien, l'égalité. Mais a-t-on le droit, au nom de l'égalité, de faire subir les pires sévices à la langue française, qui n'y est pour rien ? Regardez par vous même ! Ces barbares ont carrément prémédité leur coup !

« C'est donc par un travail sur les mots que nous avons décidé d'agir en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes. Notre approche : l'écriture inclusive. L'écriture inclusive désigne l'ensemble des attentions graphiques et syntaxiques qui permettent d'assurer une égalité de représentations des deux sexes. »

En effet, la préméditation semble avérée… 

Et ce n'est que le début. Regardez les sévices :

Accorder en genre les noms de fonctions, grades, métiers et titres

Bien sûr, il y a de nombreux métiers et titres qui se déclinent au masculin et au féminin, moi-même, je rends la monnaie de mon pain à la boulangère. Mais ça, c'est quand la langue française est consentante. Il y a des formes qui ne se prêtent pas à la féminisation et les y contraindre, c'est du viol, monsieur le commissaire.

Vous n'y allez pas un peu fort, là ?

Monsieur le commissaire, il suffit d'écouter : professeure, recteure, ou recteuse sapeuse-pompière…

Ahh, arrêtez là, ça va, j'ai compris !

Quant aux noms de grade ou de fonction, c'est clair, ils sont attachés à la fonction, justement et non à la personne qui l'occupe à un moment donné. Les féminiser de force s'apparente à une torture barbare, par exemple la première ministresse.

Et franchement, qu'est-ce que ça va apporter à Theresa May d'être affublée d'un tel barbarisme ?

C'est vrai, l'Académie est formelle sur ce point. Mais ce n'est pas tout ce que vous avez vu ?

Non, Monsieur le Commissaire, ils veulent aussi

User du féminin et du masculin, par l'épicène, la double flexion ou le point milieu.

Voyez, par exemple « elles et ils font », « les électeurs et les électrices ». Bon, dans ce dernier cas, je vous avoue que cet attouchement racoleur est déjà largement employé dans le monde politique. Mais ce n'est pas une raison. En bon français, le genre neutre, qui inclut le masculin et le féminin, s'écrit comme le masculin ; c'est simple et il faut être pervers pour y voir autre chose.
Mais ils veulent aussi rajouter des « e » féminins entre deux points à tous les mots :

candidat·e·s à la Présidence de la République

Ah, en effet, voilà des traitements particulièrement dégradants. Leur compte est bon !

Bon, mais ils n'ont pas fini, Monsieur le Commissaire ! Ils veulent aussi enlever la majuscule à « Femme » et « Homme », qui sert à marquer la déférence envers l'homme ou la femme en général. Et donc ils veulent aussi qu'on ne parle plus de l'Homme, mais de l'Humain. Voyez, si on les écoutait, notre Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, deviendrait la

Déclaration des droits humains et du·de la citoyen·ne

Les droits humains ! Je vous demande un peu ! Un calque de l'Anglais pour une chose si importante !

Et le pire, c'est qu'ils ont l'intention de recommencer, Monsieur le Commissaire ! ils pensent être dans leur bon droit et ils veulent même que tout le monde fasse comme eux ! c'est pourquoi ils ont diffusé leurs sévices horribles sur internet et dans toutes les agences de presse !

Ah, mais monsieur, dans ce cas ce n'est plus un simple viol, c'est du terrorisme ! je transmets le dossier à mes collègues de la section antiterroriste !

Merci, Monsieur le Commissaire ! 

[Mise à jour du 2 novembre]

À la suite de la publication de ce billet, l'agence de communication qui a publié le Guide de l'écriture inclusive a souhaité exercer un droit de réponse, que nous leur accordons bien volontiers. M. Haddad, fondateur et directeur associé de l'agence de communication Mots-Clés ayant été très prolifique, nous vous proposons de prendre connaissance de son texte complet ici

Ses arguments sont de quatre ordres:

Pour M. Haddad, l'emploi des mots reflète une vision du monde et en modifiant sa façon d'écrire et de parler, on peut influer efficacement sur les phénomènes sociaux. Les règles de grammaire ont été édictées par des individus privilégiant le masculin sur le féminin et ce que certains ont construit, d'autres peuvent, doivent, le déconstruire.

M. Haddad argumente ensuite sur le fait que certains noms de métiers ne se prêtent pas à la féminisation, puis il réfute l'argument du billet sur le genre neutre en français. Enfin, il se défend de vouloir changer certains termes et expressions rentrés dans le langage courant.

Je profite de cette occasion pour le remercier d'avoir relevé deux horribles coquilles dans le texte, qui ont été corrigées à l'occasion de la mise à jour de cet article.

Quant au fond du débat, si je respecte parfaitement ses arguments, je persiste à trouver que les manipulations orwelliennes de la langue sont un mauvais outil au service d'une bonne cause et suis en plein accord avec lui sur l'importance de l'égalité homme-femme.

Stanislas Tarnowski

PS: Notre présentatrice et chroniqueuse, Marie Clareville, revient sur le sujet dans sa chronique du 2 novembre. Et vous verrez que les opinions au sein de la rédaction sont contrastées!

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