Pourquoi le cosmos n'est pas (encore) devenu un champ de bataille?

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On pourrait croire que l'espace est un lieu assez pacifique mais en réalité, les différentes puissances mondiales cherchent régulièrement à concevoir des armes qui nous sont habituellement plus familières dans les films ou les jeux vidéo.

Avant même le vol de Iouri Gagarine dans l'espace, les ingénieurs soviétiques et américains avaient commencé à étudier la possibilité de lancer des vaisseaux de combat en orbite. Avant cela, les Allemands avaient eux aussi tenté de militariser l'espace avec un bombardier orbital mais le sombre génie teutonique n'a pas eu le temps d'être concrétisé. Cependant, après le partage du monde entre les camps soviétique et américain, Moscou et Washington ont commencé à s'intéresser à l'espace d'un point de vue militaire, sachant que les plans des généraux et des scientifiques ne se limitaient pas à l'espionnage.

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Le lancement du premier satellite soviétique en 1957 a poussé les militaires, les ingénieurs et les scientifiques de l'autre côté de l'océan à réfléchir à une réaction à la domination de l'URSS dans l'espace. Le projet le plus grandiose de la compagnie General Atomics, « Deep Space Bombardment Force », prévoyait la construction d'un vaisseau spatial de combat Orion. Ce véritable monstre était censé embarquer des ogives nucléaires, des canons à poudre et se déplacer dans l'espace à l'aide d'une propulsion nucléaire à impulsion.

De cette manière, il aurait été possible d'envoyer dans l'espace des milliers de tonnes de cargaisons, ce qui aurait également permis des vols interstellaires. A l'étape de planification déjà, le projet avait un air de noble folie. Il était supposé utiliser des « cuirassés spatiaux » au sein de deux flottes: une sur orbite terrestre et l'autre sur orbite lunaire. Pour communiquer avec la Terre, il était prévu d'utiliser des planeurs spatiaux basés sur les Orion. Même le décollage de ce monstre paraissait étrange et représentait de facto une chaîne d'explosions nucléaires contrôlées à différentes altitudes. On s'attendait à ce que des bombes nucléaires de faible puissance soient lancées à une certaine distance pour propulser le vaisseau en envoyant une impulsion à une plaque renforcée à l'arrière.

Le projet était extrêmement coûteux ( environ le PNB annuel des USA ) et risqué, c'est pourquoi les militaires et les industriels ne l'ont jamais étudié sérieusement. Orion est resté sur le papier mais certains des systèmes le composant ont été testés. En principe, on peut comprendre les ingénieurs qui ont tenté d'engendrer ce monstre industriel: le coefficient d'efficacité des fusées ordinaires était bas et les ingénieurs étaient tentés de construire quelque chose de plus original et efficace.

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Cependant, l'armée de l'air américaine et le comité pour l'aéronautique ont poursuivi leurs recherches. Le début des années 1960 s'est déroulé sous le signe du projet Dyna-Soar — une idée plus proche de la Terre dans tous les sens du terme. Le projet impliquait le développement d'un planeur spatial suborbital hypersonique. Les missions à remplir, par contre, ne faisaient pas l'unanimité: le Pentagone voulait uniquement se doter d'un appareil de recherche alors que l'armée de l'air insistait sur la création d'un vaisseau polyvalent.

Les forces aériennes souhaitaient un bâtiment capable de mener des missions de reconnaissance, des recherches scientifiques, d'abattre des satellites ennemis ( comprendre soviétiques ) et, enfin, de bombarder des sites terrestres avec des missiles et des bombes depuis une altitude de 100 km. L'appel d'offres a été remporté par Boeing, qui a devancé d'innombrables concurrents dont des géants comme Lockheed, General Electric et Bell. 1 600 ingénieurs travaillaient sur ce projet. Il y a eu de nombreuses exigences spécifiques et autres solutions inattendues. Par exemple, au lieu d'un châssis à roues classique l'appareil était équipé de patins spéciaux.

Parmi les sept pilotes sélectionnés pour les essais du programme se trouvait Neil Armstrong, qui deviendra un peu plus tard astronaute de la NASA avec le succès que l'on sait. Une maquette du nouveau vaisseau a été construite et les pilotes s'entraînaient activement à le manier sur des simulateurs.

Cependant, les militaires ont progressivement perdu leur intérêt pour le programme. Dyna-Soar absorbait de plus en plus d'argent alors que les résultats pratiques se faisaient attendre. De plus, des concurrents sont apparus: les satellites espions ordinaires remplissaient les mêmes tâches de reconnaissance sans investissements conséquents. Pour attaquer les cibles au sol, il s'est avéré plus simple d'utiliser les bombardiers habituels. En fin de compte, en 1963, la commission de l'armée de l'air a présenté un rapport selon lequel la version antisatellite nécessitait un financement supplémentaire de 1,2 milliard de dollars pour sa mise au point. Pour les années 1960, cette somme était astronomique et les militaires ont définitivement renoncé au projet. Les plus de 400 millions de dollars déjà investis dans le développement ont donc été dépensés en vain. La recherche et développement est toujours un domaine délicat et malgré son abandon, on ne peut pas dire que Dyno-Soar n'aura servi à rien: ce projet a permis de tester une multitude de solutions techniques. Par contre, l'idée d'un chasseur bombardier orbital a été mise de côté définitivement.

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Le projet de défense antisatellite semblait plus plausible. Les Américains avaient choisi une méthode rustique mais efficace, supposant l'interception des satellites avec des missiles Thor dotés d'une ogive nucléaire. Le vaisseau spatial devait être touché par une ogive d'une mégatonne, sachant que pour plus de fiabilité il fallait les lancer par paires. Les Américains craignaient un bombardement nucléaire depuis les hauteurs de résonance, et pour éviter un tel sort ils étaient prêts à faire exploser des ogives nucléaires en orbite. Les expériences ont été suspendues en 1968 quand l'URSS et les États-Unis ont conclu un accord sur le non-déploiement de l'arme nucléaire dans l'espace.

L'espace est rouge

L'Union soviétique avait choisi sa propre voie. Le pays s'efforçait également d'envoyer ses chiens de guerre dans l'espace. Toutefois les premiers projets de l'URSS pour le lancement des armements dans l'espace poursuivaient, aussi étrange que cela puisse paraître, des fins pacifiques. En lançant vers la Lune le premier satellite soviétique, les chercheurs avaient au moins besoin d'une confirmation que l'appareil lancé avait atteint avec succès la superficie d'un autre monde. L'académicien nucléaire Zeldovitch avait proposé la solution la plus exotique (et parfaitement dans l'esprit de l'époque): équiper le satellite d'une bombe nucléaire. Zeldovitch supposait qu'une explosion nucléaire ne passerait certainement pas inaperçue. Cependant, après des calculs plus détaillés, il s'est avéré qu'il était possible de manquer une explosion nucléaire dans le vide. Les satellites ont finalement été éclairés avec une "torche" de sodium en feu et le bombardement nucléaire de la Lune n'a pas eu lieu.

Mais au lieu de cette « bombe nucléaire pacifique », il a été décidé d'envoyer dans l'espace une véritable plateforme de combat. Le père de la cosmonautique soviétique, Sergueï Korolev, voulait obtenir une plateforme orbitale pour mener des expériences scientifiques. Cependant, la rivalité militaire et technique avec les USA dictait ses exigences. Tout comme aux États-Unis, l'Union soviétique construisait des satellites de reconnaissance mais planchait aussi sur des projets de vaisseaux d'attaque. La première idée de ce genre remonte aux planeurs spatiaux de Vladimir Tchelomeï, qui avait l'intention d'utiliser ses inventions à des fins diverses: l'élimination des satellites ennemis, la reconnaissance, l'étude d'autres planètes. Vladimir Tchelomeï cherchait à simplifier au maximum le projet en espérant qu'à terme, même un pilote militaire ordinaire serait capable d'opérer en orbite.

Pour s'assurer le soutien de ses projets au plus haut niveau des autorités, Tchelomeï a eu la bonne idée d'inviter Sergueï Khrouchtchev, fils du secrétaire général, à travailler dans son bureau de construction. Cependant, l'idée n'était pas si bonne qu'elle n'en avait l'air: après le départ de Nikita Khrouchtchev le scientifique a perdu tous ses privilèges. Le projet de planeur spatial de combat a été abandonné. Et si les Allemands avaient manqué de temps et les Américains avaient manqué de financement, l'URSS a tiré un trait sur les planeurs spatiaux de combat à cause de jeux politiques intérieurs.

Les constructeurs soviétiques ont tout de même rapidement connu des succès impressionnants.

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Le nouveau projet, nommé « Chasseur de satellites », consistait à envoyer en orbite un satellite « kamikaze » qui devait s'approcher de sa cible pour exploser à proximité. Le 1er novembre 1968, le « chasseur de satellites » a éliminé un satellite cible — un succès sans précédent car c'était la première fois qu'un vaisseau spatial en détruisait un autre. Mais les essais qui ont suivi ne furent pas aussi brillants et les missiles manquaient parfois leur cible.

Les ingénieurs perfectionnaient progressivement les technologies et étaient sur le point de construire un système vraiment fiable pour intercepter des engins spatiaux. En comparaison avec les plans américains de frapper l'orbite avec des ogives nucléaires, le schéma soviétique était très subtil mais aussi plus tardif. Les travaux avançaient lentement. En 1983, dans le cadre des initiatives de paix, le secrétaire général Iouri Andropov a annoncé unilatéralement la fermeture des travaux pour la conception des systèmes de défense antispatiale, puis l'URSS s'est effondrée. En 1993, le système d'élimination des satellites a été retiré du service.

Plusieurs autres tentatives d'armer un vaisseau spatial ont été entreprises. Dans certains cas, il était même prévu d'installer des armes pour la défense du vaisseau spatial. On avait une certaine idée des élaborations américaines, mais assez floue. Ainsi, les développeurs du complexe orbital Almaz craignaient une tentative de capture ou élimination directement dans l'espace. Pour empêcher une telle attaque il a été décidé d'essayer d'installer un canon automatique sur Almaz. Le NR-23 du bombardier a été modernisé pour pouvoir tirer à partir d'un vaisseau spatial. Le fonctionnement des moteurs était censé compenser le recul. Avant de noyer dans l'océan Almaz-2, qui avait rempli sa mission, sur ordre du Centre de contrôle des vols le vaisseau a tiré une rafale dans l'espace. Les balles ont brûlé dans l'atmosphère avant de continuer leur route pour devenir la première salve à avoir jamais « retenti » dans l'espace.

Dans un certain sens, les travaux menés aux USA ont également influencé les projets soviétiques. Même si le projet Dyno-soar a été abandonné aux États-Unis, les Russes ont lancé le développement de leur propre analogue. C'est ainsi qu'est né le système Spiral, un lanceur censé envoyer en orbite un avion de combat habité capable de remplir les mêmes fonctions que son rival américain: du renseignement photo et radar aux bombardements. Spiral pouvait embarquer jusqu'à deux tonnes de charge de combat mais il a été victime des mêmes problèmes que les nombreux autres projets prometteurs. L'État soviétique manquait de ressources pour tous les projets spatiaux ambitieux à la fois et au final, le ministre de la Défense Gretchko a enterré le projet sur la phrase «  aissons tomber les fantaisies » .

Au final, ni l'URSS ni les USA n'ont réussi à construire un système opérationnel permettant d'infliger des dommages à l'ennemi en orbite. Aucun projet n'a été concrétisé à grande échelle. Il ne faut pas croire pour autant que tous les travaux ont été complètement inutiles: de nombreuses solutions techniques utilisées sur les avions de série et sur les vaisseaux spatiaux ont été préalablement testées sur les systèmes de combat spatiaux et antispatiaux. Ainsi, le célèbre chasseur Su-27 est né grâce à l'expérience acquise dans l'élaboration d'un chasseur antisatellite qui n'a pas vu le jour. Contrairement à certaines prévisions, la confrontation des puissances n'a pas disparu au XXIe siècle. Il est impossible de prévoir le tournant que prendra la politique mondiale à terme et c'est pourquoi il est tout à fait possible qu'un jour, les anciennes et les nouvelles puissances spatiales reviennent à leurs inventions abandonnées de la Guerre froide.

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