La Tunisie, futur eldorado des ex-djihadistes ?

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Le retour des djihadistes, un lourd défi pour la Tunisie, pays du Maghreb le plus touché par les départs vers la Syrie ou l’Irak. En Europe, c’est la France qui détient ce triste record. Mais avec 11 000 ressortissants partis contre 700, le défi est autrement plus difficile à relever pour Tunis que pour Paris.

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« La menace est imminente et très grave. Le gouvernement tunisien a raison de s'inquiéter », assure le politologue Mezri Haddad à propos du retour des djihadistes en Tunisie, rappelant, au passage, que Tunis n'est qu'à deux heures de Paris. La question du retour divise le pays, alors que cet ancien ambassadeur de la Tunisie auprès de l'UNESCO et actuel président du Centre international de géopolitique et de prospective analytique (CIGPA) estime à 11 000 le nombre de Tunisiens partis en Syrie « avec un financement qatari et une logistique turque ». Qu'ils soient 5 500, comme l'avance l'ONU ou 3 000, comme l'affirme le gouvernement, la Tunisie reste le pays du Maghreb le plus touché par ce fléau.

Comment la Tunisie a-t-elle pu devenir un tel fournisseur de djihadistes? Les facteurs sont multiples: avec la crise sociale aiguë au début des années 2000 et le durcissement du régime de Ben Ali, le djihadisme en a profité pour s'étendre; une partie de la classe politique accuse la Troïka, la coalition dirigée par Ennhada le parti islamique local, de 2011 à 2014, de laxisme. Elle aurait laissé prospérer ces réseaux, profitant de la misère sociale des quartiers populaires pour endoctriner les jeunes.

« Ce sont des mercenaires et des jeunes égarés. […] Le Qatar a financé ce mouvement vers la Syrie avec la complicité du gouvernent à l'époque, sous la présidence de Moncef Marzouki, et sous la "chefferie spirituelle" du Frère musulman Rached Ghannouchi », poursuit Mezri Haddad.

Dans un pays qui jongle toujours entre obligations en matière de droits de l'homme, exigences de sécurité et reconstruction socio-économique, se pencher sur l'origine du fléau est encore difficile, estime Ayman Alaoui, député du parti d'opposition de gauche Front populaire:

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« La Tunisie est encore menacée de la destruction de l'État et nous voulons éviter le scénario de la Libye ou de la Syrie. Avant de poser la question du retour de ces djihadistes, il faut une enquête pour savoir comment ils sont sortis de Tunisie. Nous considérons de que la période de la Troïka, guidée par le parti Ennhada, a facilité leur sortie et leur voyage. »

Autre reproche fait à la coalition, la rupture des liens entre Damas et Tunis en février 2012, qui complique les enquêtes, rend difficile l'établissement des preuves et l'identification des revenants:

« Le gouvernement tunisien a commis la même erreur que le gouvernement français, la rupture de toutes relations avec la Syrie. Comment voulez-vous traiter un phénomène qui vient principalement de la Syrie et de l'Irak sans avoir de relations, au moins sécuritaire? » s'interroge Mezri Haddad.

Avec le recul de Daesh en Syrie et en Irak, les autorités craignent un repli vers la Libye, dont la frontière avec la Tunisie est extrêmement poreuse. Selon Hamza Meddeb, spécialiste du Maghreb, l'approche sécuritaire mise en place dans le cadre de la guerre contre le terrorisme et le crime organisé « a favorisé le développement de la corruption au sein des services de sécurité chargés du contrôle des frontières », car il a exclu les communautés locales qui comptaient sur l'économie transfrontalière pour survivre. En décembre dernier, le ministère tunisien de l'Intérieur révèle que 800 djihadistes sont déjà rentrés chez eux, mais a assuré qu'il détenait « toutes les informations sur des individus »:

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« Sur quels critères ils se basent? Sur les retours dans les aéroports? Beaucoup rentrent avec de faux passeports. Beaucoup rentrent par la frontière ouverte et incontrôlée entre la Libye et la Tunisie. Ce n'est pas sérieux, quand ils parlent de 800 personnes. Mais je peux les comprendre, c'est pour ne pas effrayer la population et les pays partenaires » , ironise Mezri Haddad.

Face à la grogne populaire, le Premier ministre Youssef Chahed joue la carte de la fermeté. La loi antiterroriste de 2 015, qui permet à la police de détenir des suspects sans inculpation pendant 15 jours et sans possibilité de voir un avocat, sera systématiquement appliquée: « elle dit que chaque citoyen tunisien qui a commis des crimes de guerre et mené des combats militaires hors de Tunisie sera directement et impérativement arrêté », explique Ayman Alaoui: « peut-être que c'est efficace ». Pour l'instant, les 800 seraient « tous arrêtés ou sous surveillance ».

La Tunisie entame sa quatrième année sous état d'urgence, mesure censée être exceptionnelle, mais qui semble se normaliser. Dans un pays encore marqué par plusieurs attaques sanglantes qui ont causé la mort de policiers, militaires et de touristes, la proposition de Rached Ghannouchi, chef du parti Ennhada, de gracier les terroristes qui se repentiraient a révélé encore un peu plus l'absence de stratégie pérenne au plus haut niveau.

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Face au péril, citoyens et forces de sécurité étaient descendus dans les rues, les uns pour exiger le refus d'accueillir les djihadistes sur le retour, les autres pour les déchoir de leur nationalité. Propositions balayées par le président Béhi Caïd Essebi, arguant l'inviolabilité de la Constitution. « On ne peut empêcher un Tunisien de revenir dans son pays », « mais évidemment, nous allons être vigilants », avait-il confié à l'AFP lors d'un passage à Paris en décembre dernier, ajoutant qu'il était impossible de « les mettre tous en prison, parce que si nous le faisons, nous n'aurons pas assez de prisons. »

La contagion djihadiste est ancienne, mais le gouvernement fait mine de prendre le problème à bras le corps. En guise de complément à la loi antiterroriste, il annonce l'adoption d'une « stratégie de lutte contre l'extrémisme », en quatre axes: « prévention, protection, poursuites (judiciaires) et riposte ». Les blocages politiques ont retardé son adoption, actée seulement en novembre 2016, et dont le contenu détaillé est toujours inconnu. Il reste notamment des questions en suspens, probablement source de nouveaux clivages: le sort des femmes, qui n'ont pas forcément combattu ou des enfants nés durant le conflit.

Les décisions prises sont faites pour calmer l'opinion, estime l'ancien ambassadeur Mezri Haddad: « Je sais ce que valent ces propos, c'est pour la consommation locale et les médias. La vraie question c'est: y a-t-il une volonté politique? J'espère que oui. Sans elle, il n'y aura aucun traitement sérieux de cette menace, qui pèse lourd sur la Tunisie. » Peut mieux faire, consent le député de gauche Ayman Alaoui, qui rappelle les difficultés économiques et sociales du pays « la Tunisie ne peut pas gérer, seule, ce retour. »

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