Législatives: l’effet déformant du scrutin majoritaire

© AFP 2023 GEOFFROY VAN DER HASSELT Voters line up to cast their ballots in the first round of the legislative elections, at the City Hall in Evry, suburban Paris on June 11, 2017.
Voters line up to cast their ballots in the first round of the legislative elections, at the City Hall in Evry, suburban Paris on June 11, 2017. - Sputnik Afrique
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Avec le soutien de moins de 13,5 % des électeurs, LREM est sur le point de rafler près des ¾ des sièges à l’Assemblée nationale. À l'inverse, des partis d'opposition comme le FN pourraient ne pas pouvoir créer de groupe parlementaire. Retour sur un mode de scrutin qui, au-delà du FN, ne favorise pas la représentativité nationale.

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Entre 400 et 440, c'est le nombre de sièges de députés que pourrait remporter dimanche prochain l'alliance entre la République en Marche (LREM) et le MoDem. Si on n'atteint pas les 473 sièges remportés en 1993 par le duo RPR — UDF (apparentés inclus), emmené par Jacques Chirac, le résultat pose néanmoins quelques questions, notamment en raison des 51,3 % d'abstention, record absolu sous la Vème République. Ainsi, en calculant rapidement, on réalise que le Palais Bourbon pourrait être au ¾ tenu par la majorité présidentielle, alors même que seuls 13,44 % des électeurs lui ont apporté leur soutien.

Un résultat d'autant plus marquant que le principal opposant à En Marche! durant la campagne présidentielle, le Front national, dont la candidate était parvenue à se hisser au second tour, pourrait quant à lui ne pas être en mesure de former un groupe parlementaire, n'étant crédité — suivant les projections — que de 2 à 5 députés. Un comble.

« Il est bien évident que le mode de scrutin majoritaire uninominal à deux tours a un effet déformant, c'est-à-dire qu'il amplifie la victoire de ceux qui gagnent et évidemment il rétrécit le nombre d'élus obtenus par les partis politiques qui perdent », décrypte le politologue Guillaume Bernard, maître de conférences à l'Institut Catholique d'Études supérieures (ICES). Un scrutin majoritaire qui par cet effet « déformant » perturbe « la représentation des différents mouvements politiques » d'autant plus qu'à ses yeux, l'abstention de dimanche dernier témoigne d'un rejet des forces politiques plus que d'une adhésion à la formation du nouveau président.

C'est dans ce contexte électoral qu'Édouard Philippe, invité de France info mardi matin pour commenter les résultats du premier tour des législatives, a jugé « utile » l'introduction « d'une dose de proportionnelle » à l'Assemblée nationale, un point qui avait été évoqué par Emmanuel Macron lors de sa campagne. Tout comme ce dernier, le Premier ministre ne s'est pas avancé sur les modalités d'introduction d'un tel mode de scrutin.

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Faire entrer la proportionnelle à l'Assemblée, « une bonne proposition » juge le sénateur de Paris Yves Pozzo di Borgo, qui souligne également le degré d'abstention et l'incongruité de la situation actuelle. Il espère néanmoins qu'il ne s'agit pas là d'une « proposition tactique » du Premier ministre en prévision du second tour des législatives. En effet, de telles propositions ne sont pas sans effet sur les électeurs des petits partis, souffrant d'une absence de représentation au palais Bourbon.

L'avis du Sénateur UDI tranche avec celui de nombreux ténors de ses alliés Républicains, qui continuent à s'opposer vigoureusement à l'introduction de toute proportionnelle aux législatives, à commencer par Jean-François Copé.

Celui-ci explique d'une part son refus d'ouvrir les portes du palais Bourbon à deux partis « extrémistes » qui « contestent le régime » et d'autre part oppose la représentativité à l'efficacité, rappelant dans une interview au Parisien « les ravages de la IVe République », qu'il aurait mesurés. Une instabilité de la IVe avec laquelle les pères fondateurs de notre Constitution actuelle auraient voulu trancher. Faire passer l'efficacité au détriment de la représentativité, un avis que ne partage pas Yves Pozzo di Borgo.

« Je crois qu'ils font une erreur, ils se disent gaullistes et considèrent que de Gaulle avait choisi le scrutin majoritaire, c'est vrai, mais il a longtemps hésité s'il fallait prendre la proportionnelle ou le scrutin majoritaire. »

Pour lui, le faux débat est de considérer qu'un Président a besoin d'une majorité parlementaire absolue. D'autant plus que durant la période suivant son retour à la tête du pays (1958 — 1962), Charles de Gaulle n'avait pas de majorité absolue au Parlement, ce qui ne l'a pas empêché de prendre des décisions capitales, notamment sur l'Algérie ou la décolonisation. « C'est une période qui a été très intense pour la France, et avec une chambre où il n'avait pas de majorité, il a obtenu un consensus », rappelle le Sénateur.

Au-delà d'une représentativité de principe, permettre au Parlement de refléter les courants politiques qui traversent la population française serait un acte salvateur pour la séparation des trois pouvoirs:

« Nous avons un exécutif qui est très puissant — une énorme tête — et nous avons un législatif qui est très impuissant et donc la proportionnelle, d'après moi, redonnerait vie à l'élection législative, parce que le peuple se sentirait représenté. Les millions d'électeurs du Front national, croyez-vous qu'ils vont adhérer à l'action du président de la République quand ils voient qu'à l'Assemblée nationale, ils n'ont pratiquement aucun parlementaire? Mais tout cela est une injustice terrible… C'est pareil, d'ailleurs, pour la France insoumise ou pour d'autres. »

Néanmoins, si la proportionnelle favorise en effet la représentation des différents courants d'opinion, ce mode de scrutin présente un « énorme inconvénient » aux yeux du politologue Guillaume Bernard  :

« Dans le fond, elle donne quasiment le monopole aux instances dirigeantes des partis politiques pour désigner qui est élu. »

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En tout état de cause, LREM s'apprête à vivre un véritable raz-de-marée législatif, qui aura emporté en premier lieu les partis dits « de gouvernement » et tout particulièrement le Parti socialiste. Mais l'autre information principale de ce scrutin demeure le score blafard du Front national. En effet, sans même parler d'un éventuel front républicain qui n'a pas encore eu l'occasion de faire son effet, le parti frontiste s'est littéralement effondré entre le premier tour de la présidentielle et celui des législative, passant de 7,7 à 2,9 millions d'électeurs.

Une chute spectaculaire, en moins l'espace de 7 semaines, qui ne surprend pas Guillaume Bernard. S'il tient à rappeler que les élections législatives n'ont jamais été favorables au Front national, tout particulièrement en comparaison aux élections présidentielles ou historiquement il réalise ses meilleurs scores, le facteur sociologique des électeurs frontiste amplifie le découragement observé habituellement chez les électeurs des partis défaits lors des présidentielles.

« Les catégories populaires, qui votent en grande partie pour le Front national, sont généralement des catégories qui votent à l'élection présidentielle, mais qui ensuite se démobilisent. D'autant plus quand c'est un camp, une option, politique qui a perdu. De manière générale, les camps politiques qui ont perdu l'élection présidentielle voient leur électorat se démobiliser lors des législatives qui suivent. »

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Pour lui, cette « contre-performance des législatives suit la contre-performance des présidentielles ». En somme, la dynamique électorale du FN observée depuis 2012 est « freinée ». Une démobilisation d'autant plus forte que, selon l'expert, le positionnement stratégique et le discours du Front national a manqué de clarté durant l'entre-deux tours des présidentielles. Un phénomène électoral d'autant plus lourd de conséquences pour le parti que celui-ci se conjugue au phénomène du fameux « plafond de verre » que rencontre le FN depuis ses débuts.

« Il semblerait qu'effectivement toute une partie de son électorat a été déboussolé par le second tour de la présidentielle où, à l'évidence, Marine Le Pen a cherché à faire des appels du pied à l'électorat Mélenchoniste et pas à l'électorat Filloniste et par conséquent la démobilisation a été encore plus exacerbée. »

« Est-ce qu'il doit essayer ce qu'il n'a évidemment pas réussi à faire, à capter une partie de l'électorat venant de la gauche et de l'extrême gauche? » Pour le politologue, cette question s'imposera au parti « dans les semaines, dans les mois » à venir.

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Une question de positionnement déjà soulevée dès la fin de la campagne présidentielle, au regret de certains candidats FN aux législatives, qui — sur le terrain —, ne cachent pas leur amertume.

Des questions qui « dès l'instant où elles n'avaient pas de fondements idéologiques, auraient dû rester en circuit fermé, au moins le temps des élections et surtout des élections législatives » explique Christelle de l'Épinois, qui dit avoir constaté l'impact de ces divisions sur l'électorat. Amère, elle raconte que « tous mes interviewers m'annonçaient présente au second tour ».

Pourtant, cette candidate frontiste dans la 3e circonscription de l'Aude, un département historiquement classé à gauche — particulièrement touché par le chômage (13,3 % au 4e trimestre, d'après l'INSEE) — et où Marine Le Pen avait réalisé plus de 44 % au second de la présidentielle, a finalement été devancée d'à peine 400 voix par le socialiste André Viola Président du conseil départemental. « La situation est tragique, donc l'échec est tragique » lâche la candidate, pour elle ce scrutin 2017 restera une opportunité manquée de changer les choses.

« Il y a eu indéniablement entre le second tour des présidentielles et le premier tour des législatives, un mois de campagne démobilisatrice de l'électorat du Front national, dépréciateur de la stratégie du Front national, de la personne de Marine Le Pen, pourvoyeur de divisions étalées sur la place publique. »

Pour Christelle de l'Épinois, la droite a tendu le bâton pour se faire battre, regrettant le manque de recul de certains observateurs.

« J'en veux un petit peu aux médias patriotes même, c'est-à-dire à notre camp, d'avoir cédé à la tentation, à la démangeaison d'une analyse des erreurs de stratégie commises tout de suite après les élections présidentielles, alors que nous nous étions encore le nez dans le guidon, dans la bataille et qu'il ne fallait pas lâcher prise! »

Pour Guillaume Bernard, il aurait au contraire été très étonnant que les médias ne fissent pas état de ces dissensions, — en somme « de rendre compte d'une réalité », que sont ces « querelles entre camps, doctrinales et stratégiques », une « réalité profonde » de la « crise de croissance » que rencontre le parti qui doit assumer « qu'il n'y ait pas une ligne monolithique » en son sein. Une croissance qui reste indéniable malgré la faible mobilisation de l'électorat: 110 candidats FN sont encore en lice pour la députation. Un chiffre que rappelle le secrétaire général du Front national, Nicolas Bay dans un tweet qui n'a, malgré les apparences, rien de triomphaliste.

​Reste donc à savoir si cette promesse d'Emmanuel Macron et d'Édouard Philippe d'introduire une part de proportionnelle au scrutin se concrétisera. En effet, nombreux sont les présidents en campagne, à commencer par Nicolas Sarkozy et François Hollande, pour ne citer que les derniers en date, à avoir promis l'introduction d'une dose de proportionnelle… avant de jeter aux orties l'imprudente proposition.

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