Un résultat en trompe l’œil?

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Les résultats des élections législatives posent à nouveau le problème du mode de scrutin. Doit-on conserver le système « traditionnel » en France (dit scrutin uninominal d’arrondissement à deux tours) ou doit-on passer à la proportionnelle.

Les différences dans la représentation à l'assemblée nationale des partis minoritaires sont effectivement très importantes entre le système traditionnel et un hypothétique scrutin proportionnel: de l'ordre de 1 à 4 pour la France Insoumise et de 1 à 20 pour le Front National. Mais, cette question qui est engendrée par le décalage entre le faible pourcentage des voies qui se sont portées vers les candidats issus ou soutenus par le parti du Président (LREM et MODEM) pourrait bien être l'arbre qui cache la forêt.

Le facteur instituionnel

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Avec plus de 51% d'abstentions, ce 1er tour des élections législatives marque un véritable tournant pour les institutions de la Vème République, ou plus précisément pour ce qu'il en reste. Car, en décidant de ramener la mandature du Président de 7 à 5 ans, Jacques Chirac a porté un coup, sans doute fatal, à la Vème République. Dans les faits, ce changement a institué le Président comme « chef de la majorité », ce qui n'était pas l'intention des concepteurs de notre Constitution. Il en découle le rabaissement du Premier-ministre, réduit à un rôle d'exécutant. Pourtant, le texte de la Constitution est clair:

Tableau 1

 

Articles 20 et 21 de la Constitution

Article 20 :

Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation.

Il dispose de l'administration et de la force armée.

Il est responsable devant le Parlement dans les conditions et suivant les procédures prévues aux articles 49 et 50.

Article 21 :

Le Premier ministre dirige l'action du Gouvernement. Il est responsable de la défense nationale. Il assure l'exécution des lois. Sous réserve des dispositions de l'article 13, il exerce le pouvoir réglementaire et nomme aux emplois civils et militaires.

Il peut déléguer certains de ses pouvoirs aux ministres.

Il supplée, le cas échéant, le Président de la République dans la présidence des conseils et comités prévus à l'article 15.

Il peut, à titre exceptionnel, le suppléer pour la présidence d'un conseil des ministres en vertu d'une délégation expresse et pour un ordre du jour déterminé.

Source

Nous avons eu, dans l'importance de l'abstention, l'écho de cette modification constitutionnelle introduite par Jacques Chirac. Nombre de Français ont considéré que la séquence politique s'était jouée lors de l'élection présidentielle, et se sont désintéressés des élections législatives.

La proportionnelle est-elle une solution?

Dès lors, le problème de la représentation des députés de LREM et du MODEM n'est pas tant leur nombre. Un système électoral doit concilier deux objectifs, une représentation plus ou moins juste du pays et des opinions qui s'y affrontent ET la constitution d'une majorité. De ce point de vue, que le Parlement ne soit pas à l'image exacte des opinions n'est pas en soi un problème.
Le fait est aujourd'hui que la majorité qui a soutenu le Président fait le score le plus faible depuis 1981. Pourtant, elle peut espérer avoir entre 410 et 450 députés, sur 577.

Tableau 2

Comparaison des résultats des élections législatives (1er tour) après les élections présidentielles

 

Président

Majorité

Total en voix

François Mitterrand (1981)

PS + divers gauche + PCF

53%

François Mitterrand (1988)

PS + divers gauche

37%

Jacques Chirac (2002)

RPR-UDF + divers droite

43%

Nicolas Sarkozy (2007)

UMP + divers droite

46%

François Hollande (2012)

PS + divers gauche + EELV

40%

Emmanuel Macron (2017)

LREM + MODEM

32,6%

La question qui se pose n’est donc pas l’ampleur de cette majorité mais d’une part qu’elle corresponde à un record historiquement bas des voix exprimées (à peine plus de 32%), ceci étant aggravé par le phénomène de l’abstention massive que l’on a connu. Cette « majorité » ne représente que 16% des électeurs.

Vague de macronisme ou crise des autres partis?

La surreprésentation au Parlement, s’accompagne d’une sous représentation massive des autres partis, une sous représentation particulièrement évidente pour le Front National, qui pourrait avoir moins de 5 députés, et pour la France Insoumise (avec moins de 20 députés). La situation des Républicains n’est meilleure qu’en apparence, car ce parti est déchiré par des contradictions de plus en plus importantes. De fait, la combinaison de la « prime à la majorité » et du report des voix pourrait aboutir à une sous-représentation massive de ces deux partis.

De fait, ce résultat est aussi le produit du comportement des partis d’opposition. Si la France Insoumise a lancé le slogan « pas un député pour le Front National », cela semble moins vrai dans les rangs de ce dernier. Ainsi, Eric Dillies, le candidat malheureux du FN s’est désisté pour…la France Insoumise. Ce désistement ne vaut pas ralliement, mais, si l’on reprend les mots du candidat frontiste: « « Je vais voter pour lui, et j’appelle mes électeurs à suivre mon exemple, (…). J’ai rencontré Adrien Quatennens, c’est quelqu’un de bien. Face à une majorité pléthorique, il défendra le peuple, il s’opposera, il ne sera pas un béni-ouioui ».

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Ce qui pose alors un problème de cohérence: peut-on dire, et à juste raison, que l’élection d’une immense majorité de députés LREM aboutirait à donner un pouvoir extraordinaire au Président pour mettre en œuvre la casse du Code du Travail et se refuser à faire élire ses opposants dont on peut penser qu’ils combattront, et ce quelle qu’en soit la raison, cette réforme? Si l’on adopte cette attitude, cela revient à dire que l’on préfère Macron, et sa politique, au Front National. C’est une attitude qui peut se défendre, mais qui doit être alors clairement assumée, et qui surtout fait l’impasse justement sur la question du Code du Travail…Car, quelle sera la crédibilité des militants de la France Insoumise quand, après le 18 juin, ils voudront s’opposer aux ordonnances du docteur Macron?

Une crise de crédibilité

Ce qui renvoie, en réalité, à la question de savoir pourquoi l’abstention a-t-elle été bien plus forte chez les électeurs du Front National et de la France Insoumise que chez les électeurs de LREM?

Pour le Front National, on peut penser que nombre de ses électeurs ont été désorientés par les tergiversations de Marine le Pen à la fin de la première semaine de campagne du second tour, et écoeurés par sa prestation au débat télévisé. C’est ce qui explique que la dynamique qui semblait la porter immédiatement après le 1er tour de l’élection présidentielle, dynamique la mettant à plus de 40% des anticipations de voix, se soit brutalement inversée. Le Front National a subi alors une perte massive de crédibilité, perte qui continue de se faire sentir aujourd’hui.

Pour la France Insoumise, l’incapacité d’avoir une position unifiée, comme cela avait été le cas lors de l’élection de 1969 quand Jacques Duclos avait déclaré qu’il ne choisirait pas entre « blanc bonnet et bonnet blanc » a elle aussi largement contribué à désorienter les électeurs. Cette désorientation se paye par une crise de crédibilité, mais aussi de légitimité, de la posture de Jean-Luc Mélenchon.

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Chercher à expliquer la totalité de cette abstention différentielle par les mécanismes institutionnels, même si ces derniers existent à l’évidence et ont joué un rôle non négligeable, c’est passer à côté du véritable problème de crédibilité qui se pose tant pour le Front National que pour la France Insoumise. Ni l’un ni l’autre de ces partis ne pourront faire l’économie d’un examen approfondi de leurs lignes politiques et des causes profondes de cette perte de crédibilité qui, aujourd’hui, est le principal, voire le SEUL facteur, de l’apparent triomphe d’Emmanuel Macron.

Cette double crise de crédibilité est aujourd’hui ce qui permet à un système exsangue de survivre et de prospérer.

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