Les différences dans la représentation à l'assemblée nationale des partis minoritaires sont effectivement très importantes entre le système traditionnel et un hypothétique scrutin proportionnel: de l'ordre de 1 à 4 pour la France Insoumise et de 1 à 20 pour le Front National. Mais, cette question qui est engendrée par le décalage entre le faible pourcentage des voies qui se sont portées vers les candidats issus ou soutenus par le parti du Président (LREM et MODEM) pourrait bien être l'arbre qui cache la forêt.
Le facteur instituionnel
Tableau 1
Articles 20 et 21 de la Constitution |
Article 20 : Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation. Il dispose de l'administration et de la force armée. Il est responsable devant le Parlement dans les conditions et suivant les procédures prévues aux articles 49 et 50. |
Article 21 : Le Premier ministre dirige l'action du Gouvernement. Il est responsable de la défense nationale. Il assure l'exécution des lois. Sous réserve des dispositions de l'article 13, il exerce le pouvoir réglementaire et nomme aux emplois civils et militaires. Il peut déléguer certains de ses pouvoirs aux ministres. Il supplée, le cas échéant, le Président de la République dans la présidence des conseils et comités prévus à l'article 15. Il peut, à titre exceptionnel, le suppléer pour la présidence d'un conseil des ministres en vertu d'une délégation expresse et pour un ordre du jour déterminé. |
Nous avons eu, dans l'importance de l'abstention, l'écho de cette modification constitutionnelle introduite par Jacques Chirac. Nombre de Français ont considéré que la séquence politique s'était jouée lors de l'élection présidentielle, et se sont désintéressés des élections législatives.
La proportionnelle est-elle une solution?
Dès lors, le problème de la représentation des députés de LREM et du MODEM n'est pas tant leur nombre. Un système électoral doit concilier deux objectifs, une représentation plus ou moins juste du pays et des opinions qui s'y affrontent ET la constitution d'une majorité. De ce point de vue, que le Parlement ne soit pas à l'image exacte des opinions n'est pas en soi un problème.
Le fait est aujourd'hui que la majorité qui a soutenu le Président fait le score le plus faible depuis 1981. Pourtant, elle peut espérer avoir entre 410 et 450 députés, sur 577.
Tableau 2
Comparaison des résultats des élections législatives (1er tour) après les élections présidentielles
Président |
Majorité |
Total en voix |
François Mitterrand (1981) |
PS + divers gauche + PCF |
53% |
François Mitterrand (1988) |
PS + divers gauche |
37% |
Jacques Chirac (2002) |
RPR-UDF + divers droite |
43% |
Nicolas Sarkozy (2007) |
UMP + divers droite |
46% |
François Hollande (2012) |
PS + divers gauche + EELV |
40% |
Emmanuel Macron (2017) |
LREM + MODEM |
32,6% |
La question qui se pose n’est donc pas l’ampleur de cette majorité mais d’une part qu’elle corresponde à un record historiquement bas des voix exprimées (à peine plus de 32%), ceci étant aggravé par le phénomène de l’abstention massive que l’on a connu. Cette « majorité » ne représente que 16% des électeurs.
Vague de macronisme ou crise des autres partis?
La surreprésentation au Parlement, s’accompagne d’une sous représentation massive des autres partis, une sous représentation particulièrement évidente pour le Front National, qui pourrait avoir moins de 5 députés, et pour la France Insoumise (avec moins de 20 députés). La situation des Républicains n’est meilleure qu’en apparence, car ce parti est déchiré par des contradictions de plus en plus importantes. De fait, la combinaison de la « prime à la majorité » et du report des voix pourrait aboutir à une sous-représentation massive de ces deux partis.
De fait, ce résultat est aussi le produit du comportement des partis d’opposition. Si la France Insoumise a lancé le slogan « pas un député pour le Front National », cela semble moins vrai dans les rangs de ce dernier. Ainsi, Eric Dillies, le candidat malheureux du FN s’est désisté pour…la France Insoumise. Ce désistement ne vaut pas ralliement, mais, si l’on reprend les mots du candidat frontiste: « « Je vais voter pour lui, et j’appelle mes électeurs à suivre mon exemple, (…). J’ai rencontré Adrien Quatennens, c’est quelqu’un de bien. Face à une majorité pléthorique, il défendra le peuple, il s’opposera, il ne sera pas un béni-ouioui ».
Une crise de crédibilité
Ce qui renvoie, en réalité, à la question de savoir pourquoi l’abstention a-t-elle été bien plus forte chez les électeurs du Front National et de la France Insoumise que chez les électeurs de LREM?
Pour le Front National, on peut penser que nombre de ses électeurs ont été désorientés par les tergiversations de Marine le Pen à la fin de la première semaine de campagne du second tour, et écoeurés par sa prestation au débat télévisé. C’est ce qui explique que la dynamique qui semblait la porter immédiatement après le 1er tour de l’élection présidentielle, dynamique la mettant à plus de 40% des anticipations de voix, se soit brutalement inversée. Le Front National a subi alors une perte massive de crédibilité, perte qui continue de se faire sentir aujourd’hui.
Pour la France Insoumise, l’incapacité d’avoir une position unifiée, comme cela avait été le cas lors de l’élection de 1969 quand Jacques Duclos avait déclaré qu’il ne choisirait pas entre « blanc bonnet et bonnet blanc » a elle aussi largement contribué à désorienter les électeurs. Cette désorientation se paye par une crise de crédibilité, mais aussi de légitimité, de la posture de Jean-Luc Mélenchon.
Cette double crise de crédibilité est aujourd’hui ce qui permet à un système exsangue de survivre et de prospérer.
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