Crise politique et crise d’une politique?

© REUTERS / Charles PlatiauEmmanuel Macron
Emmanuel Macron - Sputnik Afrique
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Ce qui aurait dû n’être un «simple remaniement technique», le remaniement consécutif à l’élection législative du 18 juin, s’est ainsi transformé en cauchemar (ou presque) pour Emmanuel Macron et son Premier-ministre, Édouard Philippe.

La démission de 4 ministres, plus ou moins compromis dans différentes affaires, depuis le lundi 19 juin, soit Mme Goulard et Mme de Sarnez et MM. Ferrand et Bayrou, a secoué le cocotier. Elle a aussi fait tâche. On notera que 2 de ces 4 ministres, Mme Goulard et M. Bayrou, occupaient des portefeuilles régaliens dans le gouvernement: la défense et la justice. Cela n'est pas rien. De plus, on peut penser que l'on n'en restera pas là. Le nom de Mme Pénicaud, la Ministre du Travail, est désormais cité de manière récurrente en liaison avec le financement du voyage d'Emmanuel Macron en Californie en 2016.

Bref, trois jours après l'élection de l'Assemblée Nationale qui avait donné une majorité absolue au Président, le voici confronté aux vieux démons de la politique française, avec une crise politique, en bonne et due forme.

Le cas de Bayrou n'était pas fixé…

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La démission de Bayrou, «une sage décision»
On peut, assurément, prétendre que ceci n'est qu'une péripétie; mais cela reste néanmoins à prouver. Que le Garde des Sceaux, Ministre de la justice, en charge d'une loi à venir sur la moralisation de la vie politique, se soit pris les pieds dans les pratiques qu'il entendait proscrire, n'est pas exactement anodin. On peut aussi dire que cela permet à Emmanuel Macron de se dégager à moindre fais de l'emprise du MODEM (dont trois sur quatre des ministres démissionnaires faisaient partie). On constate que François Bayrou n'était pas irremplaçable… Cela pourrait permettre à la famille politique d'origine du Premier-ministre, M. Philippe, de revenir aux affaires. Que Monsieur Philippe et Monsieur Darmanin, ex-UMP et Républicains ne voient pas d'un mauvais œil la déconfiture actuelle du MODEM ne fait aucun doute. Sauf que, justement, toute la communication d'Emmanuel Macron reposait sur la notion d'équilibre entre les différentes forces politiques. Cet équilibre est aujourd'hui mis à mal. Si le gouvernement d'Emmanuel Macron se réduit à une alliance entre certains des plus modérés des ex-membres des Républicains et certains socialistes en rupture de ban et de parti, le renouvellement politique tant promis, et en un sens tant attendu, tournera court.

Richard Ferrand, General Secretary of the political movement En Marche !, or Onwards !, leaves the campaign headquarters of French President Elect Emmanuel Macron after results in the second round vote of the 2017 French presidential elections, in Paris, France, May 7, 2017. - Sputnik Afrique
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Il en faudrait plus, cependant, pour distraire notre nouveau Président de ses grands projets. Il n'a, arithmétiquement, nullement besoin du MODEM pour avoir une majorité à l'Assemblée Nationale. De plus, le groupe des Républicains vient de se diviser et une vingtaine de députés, par l'odeur du brouet ministériel alléchés, se préparent à rejoindre la majorité présidentielle.

Sauf que, dans ce cas, cela marquera de plus en plus à droite Emmanuel Macron. Or, une parie de son succès reposait justement sur l'ambiguïté qu'il avait su faire régner sur ce point. S'il est renvoyé aux classiques équilibres de la vieille politique, il ne faudra guère longtemps pour que l'on soulève, aussi, la question de la légitimité même de l'Assemblée. Rappelons que cette dernière ne fut élue que par 38,5% des inscrits, un triste record dans les annales de la République. Ce chiffre porte en lui l'interrogation qui va tarauder l'Assemblée: celle sur sa légitimité.

Façade et dépendances…

Les tractations qui se sont déroulées dans les heures qui ont suivie l'annonce de ces démissions avaient pour but reconstruire la façade de l'édifice macronien. Nul ne doute que l'on trouvera nombre de journalistes pour applaudir et féliciter le Président et le Premier-ministre. Pourtant, derrière l'apparence d'un gouvernement ouvert sur la société civile, on devine une vérité plus déplaisante: le pouvoir des communicants, mais aussi d'une technocratie irresponsable car non élue. Et, en ces jours de fête de la musique, il y a un instrument que l'on commence à beaucoup entendre: c'est le pipeau.

Newly-appointed French Prime Minister Edouard Philippe attends a handover ceremony at the Hotel Matignon, in Paris, France, May 15, 2017 - Sputnik Afrique
Le gouvernement Philippe remet sa démission
Emmanuel Macron se voyait donc en joueur de flûte de Hamelin. Au son entraînant de son instrument, il voulait conduire les français, hypnotisés, sur la route du néo-libéralisme et du fédéralisme européen. C'est ce qu'il répété au Conseil Européen qui s'est tenu les jeudi et vendredi 22 et 23 juin. Mais, si sa flûte magique, qui a réussi à enchanter une large partie des médias tant en France qu'à l'étranger le temps de l'élection, devait se révéler n'être que le traditionnel pipeau dont on apprend à jouer dans tous les cabinets ministériels depuis de nombreuses générations, il se prépare alors à de grosses désillusions.

Car, c'est la confrontation au réel qui peut s'avérer la plus destructrice pour le projet macronien. Confrontation aux questions économiques et sociales, comme on le pressent avec la question de la réforme du code du travail. Signalons ici que l'INSEE, dans sa note de conjoncture du mois de juin, détruit largement l'idée macronienne que les rigidités du code du travail seraient à l'origine du chômage. Mais aussi confrontation au réel sur la question de la moralisation de la vie politique ou du terrorisme islamiste. Enfin, Emmanuel Macron n'échappera pas à une confrontation avec le réel en ce qui concerne les relations franco-allemandes. A en juger à l'enlisement probable de son offensive sur les travailleurs détachés, il semble bien que cette confrontation ait déjà commencé. Et cette confrontation pourrait bien faire éclater toutes les illusions qui, encore aujourd'hui, entourent son projet.

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La crise politique actuel, car quand 4 ministres démissionnent en 48 heures dont le Ministre de la Défense et celui de la Justice, c'est bien d'une crise politique qu'il s'agit, pourrait être le début de l'éclatement de la « bulle » Macron. En cela, elle est hautement significative. Le fait que cette crise politique survienne un mois à peine après la formation du gouvernement est significatif. Quels que soient les artifices dont le Président de la République usera pour chercher à redorer son blason, il vient d'entrer dans cette spirale qui voit les dirigeants de notre pays, parce qu'ils sont incapables ou se refusent à apporter des solutions réelles aux problèmes des Français, perdre — plus ou moins rapidement — de leur popularité. Mais, pour un homme élu par défaut et appuyé par l'Assemblée Nationale la plus mal élue de la Vème République, et certainement la moins apte à faire face aux défis auxquels le pays est confrontés, cette perte de popularité pourrait prendre véritablement un tour tragique.

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