Pourquoi Trump entretient les mythes polonais

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Le président américain Donald Trump sait parfaitement où se rendre en visite officielle, et quoi dire à cette occasion.

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Son déplacement à Varsovie à la veille du G20 est donc tout à fait compréhensible: la Pologne est le leader d'une Europe qui parle la même langue de «souveraineté nationale» que lui et pourrait l'aider dans son conflit avec la bureaucratie mondialiste de Bruxelles, Berlin, et probablement Paris si Macron ne changeait pas de position. Trump a besoin de s'attirer les sympathies de la population de cette Europe.

Le baume polonais

Cette sympathie n'est pourtant pas garantie. Selon un sondage du Pew Research Center, le soutien de la politique étrangère de Trump est de seulement 23% en Pologne — contre 58% à l'époque d'Obama. C'est pourquoi suite à son arrivée dans ce pays, Trump n'a pas tari de compliments en direction de ses hôtes et a flatté la nation polonaise, ses accomplissements historiques et même sa position géographique. «La Pologne est le cœur de l'Europe», a-t-il notamment affirmé. Les Polonais, qui font actuellement face à une percée du nationalisme polonais et à un conflit avec le «cœur» de Bruxelles et le «cerveau» de Berlin, porteront le leader américain en triomphe pour ces propos.

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Selon la même logique, Trump a déformé les faits historiques pour flatter la vision polonaise de l'histoire. Il a notamment dit que les Polonais avaient repoussé en 1920 l'armée bolchevique qui voulait conquérir toute l'Europe (en réalité le conflit avait débuté à cause de la volonté de la Pologne reconstituée de prendre des terres fertiles à la Biélorussie et à l'Ukraine), et qu'en 1939 le pays avait «subi deux attaques: par l'Allemagne nazie de l'ouest et par l'Union soviétique de l'est» (la Pologne avait pourtant partagé avec l'Allemagne la Tchécoslovaquie vaincue, cédée aux fascistes par les puissances européennes).

«Je n'exclus pas que ce discours ait été préparé pour Trump par un Polonais ethnique de son administration. Il témoigne d'une connaissance atypiquement bonne des points douloureux de l'histoire polonaise et porte des coups trop précis», estime Dmitri Ofitserov-Belski, doyen de l'École des hautes études en sciences économiques.

Il reprend par exemple la version polonaise de l'histoire de l'insurrection de Varsovie. "En 1944, les armées soviétique et nazie se préparaient aux combats ici, à Varsovie. Dans ce contexte, les habitants de la ville ont lancé une insurrection. […] Plus de 150 000 Polonais ont perdu leur vie au cours de ce combat désespéré contre l'envahisseur. Situées à l'autre bord du fleuve, les forces de la Russie soviétique observaient tranquillement les nazis détruire la ville, tuer les hommes, les femmes et les enfants".

Semi-vérités

On dit qu'un mensonge contient toujours une moitié de vérité. Les armées soviétique et nazie se préparaient aux combats à Varsovie et dans ce contexte, les habitants de la ville ont lancé une insurrection. Mais pourquoi? Il ne s'agissait pas du réveil de leur fierté nationale: dans ce cas-là ils auraient combattu du côté des juifs lors de la défense héroïque de leur ghetto en 1943. Les activistes polonais de la ville ont lancé leur insurrection car le gouvernement en exil qui se trouvait à Londres avait décidé de renforcer ses positions au cours des négociations éventuelles sur l'avenir de la Pologne.

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«L'initiative et le moment choisi ont été bien sûr décidés par le gouvernement en exil avec une participation active du gouvernement britannique. Ils voulaient mettre l'URSS devant le fait accompli de la libération de Varsovie pour éviter ainsi la transmission du pouvoir à un gouvernement formé de partisans de l'URSS. Il s'agissait, en un sens, d'une réaction à la formation à Moscou le 21 juillet 1944 du Comité polonais de libération nationale qui sera transformé le 31 décembre en Gouvernement provisoire de la République de Pologne», souligne Dmitri Ofitserov-Belski. Il fallait donc lancer une insurrection dans la ville avant l'entrée des forces soviétiques. Les rebelles ont pourtant commis une erreur: les forces allemandes de Walter Model, commandant du groupe Centre de l'armée allemande, ont finalement refusé de partir et ont renforcé leur garnison.

Concernant l'aide soviétique, comme le dit Trump, «les forces de la Russie soviétique observaient tranquillement les nazis détruire la ville, tuer les hommes, les femmes et les enfants». Mais que pouvaient-elles faire?

«Il n'était possible de traverser la Vistule que dans le cadre d'une opération large et bien préparée comme l'a été l'offensive Vistule-Oder en janvier 1945. Il était impossible de la lancer plus tôt. Tout connaisseur de l'histoire militaire vous dira que l'offensive précédente des forces soviétiques dans le cadre de l'opération Bagration était trop rapide: les lignes ferroviaires biélorusses avaient été détruites par les partisans lors de l'opération Concert en 1943 et il fallait donc du temps pour transporter les réserves et les armes vers la ligne du font déplacée trop loin à l'ouest. L'objectif principal du commandement soviétique était à l'époque de prévenir une contre-attaque, et il n'avait aucune envie de jeter ses troupes dans une poche sur la rive gauche de la Vistule», explique Dmitri Ofitserov-Belski.

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Le commandement soviétique a pourtant offert son aide. «En 2014, l'Agence fédérale des archives de Russie a publié une sélection de documents témoignant des tentatives régulières et considérables, de la part des Soviétiques, d'aider l'insurrection. L'état-major du 1er Front biélorusse était dès le 24 septembre en contact avec les foyers principaux de la rébellion. Il coordonnait la livraison de l'aide et les frappes d'artillerie. Les pilotes soviétiques ont effectué 4 821 vols à Varsovie, dont 2 435 pour transporter des frets, 100 pour supprimer les systèmes nazis de DCA et 1 361 pour jeter des bombes et tirer sur l'ennemi à la demande des insurgés. Ils ont effectué 925 vols pour couvrir des régions occupées par les rebelles et mener des opérations de renseignement pour leur compte», raconte Alexandre Dioukov, historien, directeur de la fondation Mémoire historique.

Qui plus est, les troupes du général Zygmunt Henryk Berling, commandant de la 1ère Armée polonaise faisant partie du 1er Front biélorusse, ont tenté de traverser la Vistule en septembre 1944. Plus de 3 000 soldats voulant sauver les habitants de Varsovie ont péri à cause de l'aventurisme de Londres et du gouvernement polonais en exil.

Dans tous les cas, l'homme d'affaires Donald Trump n'avait pas besoin de la vérité historique mais de faire bonne impression. Et il a réussi. "La Pologne est ravie. On compare le discours de Trump avec celui de Jean-Paul II lors de sa première visite officielle dans le pays", indique Dmitri Ofitserov-Belski. Le président américain part donc après avoir menti, mais en ayant augmenté considérablement sa popularité.

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