Justin Trudeau, adoré sur internet mais peu apprécié au Canada

© AFP 2023 Geoff RobinsJustin Trudeau
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Après la victoire de Donald Trump à la présidentielle aux USA, de nombreux Américains ont sérieusement songé à déménager au Canada.

D'autant que les médias couvrent avec intérêt l'activité du chef du gouvernement canadien Justin Trudeau: il est présenté comme un politicien d'une nouvelle ère, qui porte des chaussettes de couleur lors des pourparlers diplomatiques, prononce des discours inspirants et n'a pas peur du ridicule.

Cependant, Trudeau ne fait pas l'unanimité. Même s'il a mérité les sympathies d'internet, dans son pays Trudeau est activement critiqué pour son hypocrisie et ses promesses non tenues. En juin, la revue The Outline a critiqué la politique de Trudeau, listé les raisons de la popularité du premier ministre et répertorié ses décisions contestables.

Trudeau: le parcours politique et la course électorale

Le public mondial a commencé à s'intéresser à Trudeau après les élections américaines mais il était sous le feu des projecteurs de la presse canadienne bien avant l'apparition de Trump sur la scène politique. Il a en effet hérité de la célébrité nationale de son père, Pierre Trudeau, ex-premier ministre canadien et l'un des politiciens les plus populaires de la seconde moitié du XXe siècle.

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Ce fervent libéral est en effet resté dans l'histoire pour avoir abrogé la peine de mort, autorisé les avortements, stoppé les persécutions des homosexuels, réduit les impôts et augmenté les retraites. En politique étrangère il a renforcé les relations avec les USA, l'URSS, la Chine et Cuba.

Le décès tragique de Pierre Trudeau en 2000 a marqué le début de la carrière de son fils. Lors des obsèques de son père, il a prononcé un discours marquant apprécié par les médias. Le futur chef de gouvernement travaillait à l'époque en tant qu'enseignant de français et de mathématiques, mais après la mort de son père il s'est intéressé à l'activité publique. En 2005 il s'est engagé pour la défense de la nature et s'est battu contre un projet d'exploitation du zinc, trois ans plus tard il appelait les autorités canadiennes à participer au conflit interethnique au Soudan et la même année il a rejoint la Chambre des communes. Cinq ans plus tard, en 2013, il est devenu chef du parti libéral autrefois dirigé par son père. Le futur premier ministre a aisément dépassé ses concurrents du parti avec 80% des voix.

Il est difficile de dire avec certitude pourquoi Trudeau a gagné avec une telle avance. Un rôle décisif a pu être joué par sa parenté avec le dirigeant éminent, la faiblesse des autres candidats ou son charisme naturel. Sa victoire a probablement été assurée par les trois. Trudeau, jeune, convivial, se tenait très bien en public — comme il l'a si bien montré pendant les deux années qui ont suivi.

Au début de l'automne 2015, alors que s'achevait la préparation de l'élection du premier ministre, les principaux concurrents de son parti étaient les «nouveaux» démocrates, les libéraux et les conservateurs. Ses rivaux tentaient de discréditer Trudeau en pointant son jeune âge et son manque d'expérience. Les faiblesses du candidat au poste de chef de gouvernement étaient mises en exergue par les médias.

La journaliste qui couvrait l'activité du leader du parti libéral affirmait qu'il n'était «pas aussi intelligent que son père», tout en reconnaissant que Trudeau disposait d'un «intellect émotionnel développé» — autrement dit, il était capable de conquérir le public par l'émotion, et non par l'érudition. C'est probablement ce qui a contribué à la victoire du politicien aux élections.

Ses atouts

La sympathie et le charme

Selon les critiques de Trump, les USA sont condamnés à subir une dégradation sociale et politique, ainsi qu'un durcissement des lois d'immigration. Après son investiture, les réfugiés des pays en détresse, les homosexuels et les femmes, préoccupées par les déclarations sexistes du nouveau président, se sont retrouvés dans une situation ambiguë.

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Pour tous les critiques radicaux du président américain, le Canada est la meilleure solution pour émigrer. Les deux pays partagent leurs frontières, les formalités de visa sont minimes et au Canada l'attitude vis-à-vis des immigrés et la communauté LGBT est bien plus positive. Qui plus est, Trudeau semble être un politicien bien plus charismatique.

A l'instar de Trump, il gagne facilement l'attention du public mais préfère dégager une image débonnaire. Il a 45 ans mais semble bien moins âgé: il sourit constamment, fait du jogging, ne craint pas de se promener sans sa sécurité et de communiquer avec les journalistes.

Trudeau aime aussi les animaux. Sa photo avec des bébés pandas au printemps 2016 a immédiatement fait le tour du monde. Mais c'est une exception: bien plus souvent Trudeau est pris en photo pendant des fêtes, avec des enfants, des pompiers ou des policiers, toujours avec un large sourire et une foule d'admirateurs derrière lui.

Le dirigeant canadien libéral assiste aux entretiens avec d'autres chefs d'État en chaussettes de différentes couleurs à l'effigie des héros de Star Wars, fait l'idiot devant la caméra ou n'hésite pas à construire un fort avec des couvertures dans son cabinet. Tout cela s'est produit après les élections et a été largement relayé par les médias, y compris russes. Une journaliste du New York Times a même jugé que Trudeau portait des chaussettes de différentes couleurs à des fins diplomatiques.

La popularité poursuit Trudeau jusqu'au Moyen-Orient. Des milliers de réfugiés syriens ont répondu à la promesse du premier ministre de les laisser entrer dans le pays en 2015. En été 2017, le Canada avait déjà accueilli plus de 50.000 réfugiés. Le chef du gouvernement a personnellement rencontré plusieurs d'entre eux à l'aéroport pour leur donner des blousons chauds.

L'attitude positive du dirigeant canadien envers les ressortissants d'un pays en détresse a forcément attiré l'attention du peuple américain. Pendant que Trump fermait les frontières américaines aux ressortissants du Moyen-Orient et parlait à l'électorat des horreurs de Daech, les photos de Trudeau souriant à côté des réfugiés ont fait le tour du monde.

Popularité sur les réseaux sociaux et tolérance envers les minorités

Le dirigeant du Canada soutient le mouvement LGBT, partage des opinions féministes et dirige un cabinet mixte — 15 hommes et 15 femmes — composé de personnes de différentes opinions et ethnies. Il a nommé une réfugiée musulmane au poste de ministre des Institutions démocratiques, et une athlète paralympique malvoyante en tant que ministre des Sports et des Personnes handicapées.

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Les adversaires de Trudeau ont jugé ce geste «populiste», l'accusant d'avoir choisi une équipe sans évaluer les compétences politiques de ses membres. Toutefois, ces accusations isolées n'ont aucunement affecté la réputation du nouveau premier ministre.

Selon un sondage, 28% des Américains avaient l'intention de quitter le pays si Trump devenait président. Le Canada était considéré comme le pays le plus attrayant pour émigrer.

Trudeau est à la fois aimé des jeunes et des personnes âgées: il parvient à maintenir un équilibre entre les tendances progressistes et le respect des traditions de longue date.

A la fin de l'année scolaire, Trudeau s'est pris en photo avec des adolescents simplement parce qu'il passait à côté d'eux. Il compte aujourd'hui plus de 3 millions d'abonnés sur Twitter, ce qui est un bon résultat pour le dirigeant d'un pays éloigné de la politique retentissante. Le premier ministre a fait la une d'une BD de Marvel et expliqué aux journalistes les principes de fonctionnement des ordinateurs quantiques. Dans le même temps, il est père de trois enfants dans un mariage heureux et catholique.

Ses défauts

La vente d'armes au Moyen-Orient

Avant la course électorale, Trudeau avait critiqué le gouvernement canadien pour avoir bombardé le territoire de Daech au sein des forces de coalition. En 2014, alors que les terroristes renforçaient rapidement leur influence au Moyen-Orient, le chef du parti libéral préconisait de stopper les bombardements. D'après lui, le gouvernement canadien n'a toujours pas expliqué pourquoi le pays avait besoin de cette guerre.

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Trudeau a continué de prôner la suspension des bombardements en 2015 et a effectivement mis un terme à l'opération militaire après son élection. Cela ne l'a pas empêché de maintenir en vigueur le contrat de vente d'armes à l'Arabie saoudite signé par le premier ministre précédent. En hiver 2016, les autorités canadiennes ont vendu à Riyad près de mille véhicules militaires pour 15 milliards de dollars.

Les opposants à cet accord soulignaient que l'Arabie saoudite pourrait utiliser cet armement contre des innocents au Yémen, où elle combat des rebelles depuis 2014. Et ces suspicions n'étaient pas infondées: en 2015 les autorités du pays ont en effet décapité 158 personnes.

Par la suite les autorités canadiennes ont reconnu que les armes vendues pourraient effectivement être utilisées contre des innocents, tout en insistant sur le fait que l'Arabie saoudite était «un allié du Canada au Moyen-Orient».

Cette position semble assez étrange dans la mesure où la politique de ce pays du Moyen-Orient, par exemple vis-à-vis de la communauté LGBT, est complètement contraire aux valeurs du peuple canadien et du premier ministre lui-même. Les Saoudiens risquent la prison, voire la peine de mort pour des relations homosexuelles.

Quand il est devenu chef du gouvernement, Trudeau a non seulement prolongé le contrat d'exportation d'armes susmentionné, mais il s'est également mis à témoigner de sa loyauté vis-à-vis de la politique militaire de Trump. Ainsi, il a approuvé le bombardement de la base aérienne syrienne de Shayrat dans la province de Homs par les forces américaines. A son tour, Trump a salué la décision de Trudeau d'augmenter les dépenses militaires de 70% d'ici dix ans — difficile de dire dans quelle mesure cela s'inscrivait dans les plans de campagne des libéraux pour le développement de l'économie canadienne.

La rhétorique de Justin Trudeau en politique étrangère rappelle parfois celle de son père. A l'étape tardive de la guerre du Vietnam, Pierre Trudeau s'était activement opposé aux activités militaires des USA et avait accueilli personnellement les réfugiés vietnamiens à l'aéroport, comme l'a fait récemment son fils avec les réfugiés syriens.

Avant la parution du livre de John Thomson Canada et USA: des alliés ambivalents en 2010, le grand public ignorait que même si devant les caméras Pierre Trudeau s'exprimait contre la guerre, il avait conclu en coulisses avec les USA un contrat de livraison d'armes pour 2,65 milliards de dollars.

En réalité, le Canada fabriquait la plupart des munitions pour les soldats américains au Vietnam, ainsi que le napalm qui a été lancé sur le pays. Grâce à ces livraisons les troupes américaines ont anéanti des centaines de villages et ont tué des milliers de soldats, mais aussi de civils.

La situation difficile des descendants des peuples autochtones du Canada

Un autre point controversé de la rhétorique de Trudeau est la politique multiculturelle du Canada. Comme son père, il juge important d'unir tous les habitants du pays — autochtones comme réfugiés. Son cabinet réunit ainsi des hindous, des musulmans et des représentants d'autres minorités ethniques.

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Dans le reste du Canada, la situation est plus difficile. En 2016, pour la première fois dans l'histoire du Canada, le nombre de descendants de Canadiens autochtones détenus en prison a dépassé 25% du nombre total de prisonniers. Dans certaines régions, ce chiffre atteint même 48%. Ce lien fort avec les descendants des peuples autochtones s'explique par le faible niveau de prestations sociales dans les petits villages et les régions où ils vivent.

Dans les villages canadiens le niveau d'éducation, de la médecine et des prestations sociales est largement inférieur par rapport aux grandes villes. Cela a entraîné une baisse du taux d'emploi des descendants des peuples autochtones et des tribus amérindiennes. Selon les statistiques de l'été 2015, seulement 35% de la population autochtone de plus de 15 ans travaille. A titre de comparaison, le taux d'occupation de la population canadienne est légèrement supérieur à 61%.

Alors que la population autochtone traverse de plus en plus de difficultés, la promesse de Trudeau de devenir le «premier ministre de tous les Canadiens» paraît encore plus controversée.

Pour la période de 2018 à 2021, les autorités canadiennes ont prévu un budget de presque 500 millions de dollars pour assurer le bien-être des enfants descendants des Amérindiens et d'autres habitants autochtones. C'est effectivement un budget significatif qui reflète l'importance du problème. Cependant, pour le moment, les versements peuvent réconforter mais pas changer la situation.

En 2016, dans la commune d'Attawapiskat de 2.000 habitants, on a recensé 100 tentatives de suicide en automne et 41 en mars. La personne la plus âgée ayant essayé de mettre fin à ses jours avait 71 ans. La plus jeune, 11 ans. Cette crise découle de l'absence de perspectives pour les membres de la communauté: la médecine à Attawapiskat est de mauvaise qualité, et il n'y a pas d'éducation ou de travail corrects. Les habitants, dans l'incapacité de quitter Attawapiskat ou de s'y acclimater, sombrent souvent dans la dépression.

Le voyage aux Bahamas

Mais si les Canadiens peuvent encore interpréter les lacunes de Trudeau dans la politique militaire ou sociale, il est bien plus difficile de fermer les yeux sur la vie privée du premier ministre. Il s'est avéré qu'en mars 2017, pendant les vacances de Noël, il est parti se reposer sur une île privée des Bahamas: la facture total du voyage de Trudeau et de son personnel s'est élevée à 127.000 dollars.

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Cela a suffi aux Canadiens pour s'indigner du gaspillage de leurs impôts. A cela s'est ajoutée la spéculation des partis d'opposition qui ont souligné que Trudeau n'avait pas simplement dépensé l'argent du contribuable, mais également qu'il s'était rendu sur une île privée prisée des milliardaires.

Trudeau a rétorqué qu'il était prêt à répondre de ses actes devant une commission spéciale, que le propriétaire de l'île était un bon ami et qu'on ne pouvait s'y rendre qu'en hélicoptère.

C'est faux: la moitié de son service est venue en avion privé aux frais du contribuable. Des précisions ont suivi concernant les dépenses: le chiffre initial de 127.000 dollars présenté par le gouvernement n'était pas exact. L'addition s'élevait en réalité à 133.000 dollars. Même s'il s'agit d'une infime différence, les Canadiens et l'opposition ont attaqué le premier ministre pour avoir menti à deux reprises sur son voyage coûteux.

Les accusations de haute trahison

Début juillet, un soldat des forces spéciales américaines, Layne Morris, a accusé le premier ministre canadien de «haute trahison».

Cette histoire date de bien avant l'arrivée de Trudeau sur la scène politique. En 2002 Omar Hadr, Canadien de 15 ans parti en Afghanistan, a tué avec une grenade un soldat américain et a blessé Layne Morris. Omar Hadr a été capturé et, selon son témoignage, torturé pendant plus de 10 ans dans la prison américaine de Guantanamo.

En 2012, il aurait été extradé en secret au Canada sur ordre de Barack Obama, après quoi il a passé encore trois ans dans une prison canadienne. Pendant son procès, la Cour suprême du Canada a reconnu que les autorités canadiennes avaient illégalement envoyé dans la prison américaine des agents pour interroger Hadr et avaient enfreint la loi interdisant d'interroger des mineurs.

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Le gouvernement canadien a officiellement présenté des excuses à Hadr et lui a versé une indemnisation de 8 millions de dollars pour tenter d'étouffer le long procès. Mais Layne Morris, 55 ans a qualifié la décision gouvernementale de «trahison» de Trudeau. Avec la veuve du soldat tué par Hadr, il a déposé une plainte contre l'ancien prisonnier de Guantanamo pour réclamer 134 millions de dollars. Cet argent devait servir à couvrir la perte de la veuve, ainsi que celle de l'œil droit de Morris causée par la grenade lancée par Omar Hadr.

On ignore dans quelle mesure les accusations de «trahison» formulées par le vétéran américain sont justifiées. La suite de cette histoire n'affectera très probablement pas Trudeau et laissera dans le pire des cas une légère tache sur la réputation du premier ministre souriant.

Néanmoins, sa popularité a nettement chuté depuis six mois. En novembre 2016 il était soutenu par 58% de la population, contre 42% en avril 2017.

Les spécialistes supposent que cette chute de popularité est due à plusieurs facteurs, notamment le voyage coûteux du chef de gouvernement aux Bahamas et son soutien à la construction d'un oléoduc dans le pays en dépit des risques que ce projet présentait pour l'environnement. Il y a un an, des manifestations d'Amérindiens et de la communauté libérale avaient éclaté aux USA pour la même raison. Depuis l'automne 2016, elles font rage également au Canada.

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.

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