Reprenons la question budgétaire qui a provoqué l'ire — justifiée il convient de l'ajouter — du Chef d'Etat-Major des Armées. Ce qui ressort de l'audition du Chef d'Etat-Major des Armées, le Général Pierre de Villiers, est qu'il était extrêmement en colère suite à l'annonce de nouvelles coupes dans son budget, coupes annoncées par le Ministre en charge, M. Darmanin. La réponse du Président a été rapide. Il a déclaré: « Je considère pour ma part qu'il n'est pas digne d'étaler des débats sur la place publique. J'ai pris des engagements, je suis votre chef. Les engagements que je prends devant les concitoyens, devant les armées, je sais les tenir et je n'ai à cet égard besoin de nulle pression, de nul commentaire ». La première phrase de cette déclaration est une erreur. Compte tenu de l'importance du sujet, il était normal de le porter sur la place publique, en l'occurrence la Commission à la Défense de l'Assemblée Nationale. Si Emmanuel Macron, par ailleurs, croit qu'il pourra tenir secrète des discussions qui portent sur des principes de la politique de la Nation, il se trompe, mais surtout il fait preuve d'une étrange conception de la politique. Il se trompe, car sur des sujets de ce type la pratique des fuites est systématique. Il se trompe encore car le Général Pierre de Villiers s'est exprimé devant la Commission de la Défense, qui a à connaître de l'ensemble des problèmes de la Défense, et donc bien entendu des problèmes budgétaires. Cette déclaration montre donc qu'Emmanuel Macron a une bien étrange, et bien inquiétante, vision d'un débat politique. Cette dernière ne se réduit pas à la « com' » comme l'on dit. Il est naturel et logique que des questions comme celles du budget de la Défense soient publiquement abordées, qui plus est au sein d'institutions dont c'est le rôle. C'est même le fond de la démocratie!
J'avais, dans une note précédente publiée sur mon carnet de recherches RussEurope à la fin de l'année 2016, estimé à 2,44% du PIB, soit entre 48 et 50 milliards, ce qu'il conviendrait de dépenser pour maintenir en état nos forces armées. Le Général Trinquand, ancien chef de mission militaire auprès de l'ONU et de l'Otan et qui a contribué à l'écriture du programme Défense d'Emmanuel Macron, qui est intervenu dans l'émission « Les Chroniques de Jacques Sapir » sur Radio-sputnik consacrée au retour du « service national », nous avait déclaré hors antenne, à Laurent Henninger (qui était l'autre invité) et à moi-même, que le Président s'était engagé à porter les crédits de la Défense, hors pensions, à 50 milliards rapidement. Je n'ai aucune raison de remettre en cause les propos du Général Trinquand, propos qui me semblaient logiques, et qui témoignaient, du moins en apparence, de ce que Emmanuel Macron avait bien pris la mesure des problèmes budgétaires de la Défense. Ces propos sont aujourd'hui démentis par le comportement même du Président. Cela n'est pas nouveau mais, en l'occurrence, cela est grave.
Cela fait des années que les gouvernements, ceux de Nicolas Sarkozy comme ceux de François Hollande, jouent sur des effets d'annonce et donc des budgets « insincères ». Ici, la coupe est pleine.
Non seulement il y a peu à attendre que la question budgétaire, mais plus généralement l'Allemagne préfèrera jouer la carte de la dissuasion nucléaire américaine que d'accepter de s'en remettre à une dissuasion « élargie » de la part de la France. Cela signifie qu'il ne faut rien attendre de ce côté.
Le drame est que les nouvelles restrictions budgétaires, venant après tant d'autres, vont toucher l'os, déjà dépourvue depuis ces derniers mois de la moindre chaire. Ce qui se joue aujourd'hui, et ce qui explique la colère et le « coup de gueule » poussé par le Général de Villiers, c'est à la fois l'avenir de la défense et la crédibilité des engagements gouvernementaux sur ce point. Il est à craindre que le gouvernement suive la pente du plus aisé, et s'abrite sous des déclarations ronflantes pour mettre en œuvre une politique dont les conséquences pourraient être tragiques. Notons qu'il en est de même au sujet de la recherche scientifique, elle aussi victime de coupes budgétaires importantes, alors même que le candidat Macron s'était engagé à sanctuariser ce budget. Ce faisant, Emmanuel Macron comporte comme ses prédécesseurs, et il enterre — pour ceux entretenant encore quelques doutes — l'idée que l'on puisse faire de la politique autrement…
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