Saignée sur ordonnance?

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Une nouvelle agite les français en cette rentrée. La publication jeudi 31 août à midi du texte des 5 ordonnances qui seront prises par le gouvernement le 22 septembre a donc fait les grands titres de la presse.

Et il y a de quoi. Ces ordonnances constituent en effet un changement radical non seulement dans le contenu du droit du travail, mais aussi dans les principes du droit en général.

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Le gouvernement présente son texte comme le prix à payer si l'on veut remettre la France sur le chemin du plein emploi. Qui pourrait contester que cela soit aujourd'hui une urgence? Si l'on additionne aux demandeurs d'emplois de « catégorie A », ceux qui relèvent de deux autres catégories (la catégorie « B » et la « D »), et dont la situation est en réalité très voisine de la catégorie « A », c'est 4,55 millions de personnes qui sont concernées directement par le chômage. En fait, le chiffre total des personnes concernées est encore plus élevé. Il faut, bien évidemment, ajouter le nombre de ceux qui travaillent à temps partiel de manière contrainte et ceux dont l'emploi n'est rendu possible que par les aides publiques. Ce sont donc 1,777 millions de personnes qu'il convient d'ajouter, pour arriver au chiffre, énorme, de 6,328 millions de personnes inscrites à pôle-emploi.

Mais, il n'est pas sûr que les mesures contenues dans les ordonnances aient le moindre impact sur le chômage. Ce qui conduit à s'interroger sur le sens général de ces mesures. Le chômage n'est-il pas ici un simple prétexte pour commencer à détricoter l'ensemble du droit du travail et pour arriver, en fin de compte, à une situation de bien plus grande précarité qu'avant?

L'extension du « référendum d'entreprise ».

Commençons par la mesure dont on a le plus parlé: le « référendum d'entreprise ». Cette mesure est présentée par le gouvernement comme de nature à faciliter le dialogue social. Elle est combattue par les syndicats qui y voient une possibilité de contournement de la part du patronat. Il convient, alors de préciser un certain nombre de points.

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On sait que c'est ce que veut faire le gouvernement: « La validité des accords ou des avenants de révision conclus en application du présent article est subordonnée à leur approbation par les salariés à la majorité des suffrages exprimés, dans des conditions déterminées par décret et dans le respect des principes généraux du droit électoral. »

En fait, la pratique qui consiste à demander aux gens leur avis est justifiée, et démocratique, A LA CONDITION QUE LES PERSONNES NE SOIENT PAS DANS UN RAPPORT DE DEPENDANCE. Ce point est essentiel pour comprendre le fonctionnement des mécanismes démocratiques.

Dans le cadre d'une entreprise, il n'y a pas d'égalité statutaire. Il y a les propriétaires de l'entreprise, qui mandatent une direction, et il y a les employés, qui sont nécessairement dans un rapport de subordination par rapport aux premiers. Dans ces conditions, les clauses d'égalité juridique ne peuvent exister. Dès lors, l'introduction du « référendum d'entreprise », parce qu'il nie la relation de subordination qui est l'essence même de l'entreprise capitaliste, s'avère être tout le contraire de l'introduction d'un mécanisme démocratique.

Ce qui se joue avec l'inversion des normes

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Mais, ces ordonnances vont, et c'est peut-être là le point principal, conduire à une inversion des normes importantes dans le droit français. En privilégiant l'accord d'entreprise sur l'accord de branche, et l'accord de branche sur l'accord national, elles modifient en profondeur la règle de droit.

D'un point de vue juridique, ce principe équivaut à établir qu'une réalité locale à primauté sur des règles générales. Or, nul droit ne peut se construire sur de telles bases. Le droit, et cette fonction est trop souvent oubliée, a pour but de donner un cadre prévisible général à l'ensemble des acteurs concernés. En cela, le droit constitue bien ce que l'on appelle un « dispositif cognitif collectif ». Vouloir faire de la réalité locale la base de fondation du droit aboutit à supprimer cette fonction « collective ». En cela, cette réforme introduit, pour des raisons qui sont clairement circonstancielles, une modification extrêmement importante dans le droit français.

D'un point de vue économique, le fait d'avoir des règles collectives (même si leurs conditions d'application locales peuvent être modulées) permet à l'ensemble des acteurs, qu'il s'agisse des patrons ou des salariés, de comprendre la nature du cadre dans lequel ils vont travailler. Ici, il convient de le rappeler, la flexibilité aboutit bien souvent à paralyser la décision et non pas à la libérer.

C'est ce que l'on appelle en économie le « paradoxe de Shackle »: la décentralisation de la décision induit l'incertitude endogène, mais cette dernière devrait logiquement paralyser la décision des acteurs décentralisés. L'introduction de règles d'arrêt qui peuvent être fixées justement dans ces réglementations de branche ou même générale renvoie alors à la subjectivité de l'agent, mais aussi à l'évolution de ses préférences dans le cours même du processus de décision.

La relation entre la demande et l'offre

Fondamentalement, ces « ordonnances » affectent de croire que les conditions de licenciement déterminent les conditions d'embauche. Or, le problème posé au propriétaire d'une entreprise et donc aux dirigeants qu'il a mandaté, est le suivant. Le mise en œuvre d'un processus de production impose une dépense initiale. Cet engagement en capital se fait sur la base d'une estimation d'un retour sur capital, autrement dit d'une espérance de profit. Il s'agit d'une estimation et non d'une certitude, car aucun propriétaire ne peut savoir de manière précise quelles seront les conditions de réalisation et de vente de la production qu'il a engagée.

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Il y a donc, dans tout acte de production, une dimension de pari sur l'avenir. Le propriétaire, ou le dirigeant le représentant, se décide donc fondamentalement à partir de deux estimations, celle concernant le « marché », et donc la demande solvable, et celle concernant le degré de concurrence. Ce n'est que quand il est confronté au dénouement de son pari initial qu'il se pose alors la question de savoir s'il doit licencier et dans quelles conditions.

Il en découle que les conditions de licenciements ne sont pas totalement absentes du raisonnement du propriétaire ou du dirigeant, mais qu'elles sont nécessairement secondaires et subordonnées aux estimations de la demande solvable et du degré de concurrence. Donc, si le gouvernement était sérieux quand il prétend qu'il entend faire du retour à l'emploi la priorité de son action, il devrait logiquement consacrer tous ses efforts à la question de la demande solvable ainsi qu'à celle de la concurrence, et en particulier poser le problème du taux de change qui est imposé par l'Euro et qui ne correspond nullement aux conditions de production en France.

Il y a, de ce point de vue, un mensonge flagrant dans le discours du gouvernement, et ce mensonge éclaire la logique réelle de ces ordonnances, qui vont fragiliser encore un peu plus les salariés français. Ce qui fait franchement désordre dans l'image que veut donner de lui ce gouvernement. Un désordre tellement apparent que certains journalistes l'ont relevé…

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.

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