Entre fiction et réalité, il n’y a qu’un pas pour le ministère des Armées

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Véritable première, le ministère des Armées vient de signer une convention avec la Guilde des scénaristes afin de renforcer ses liens avec le cinéma français. L’armée cherche-t-elle à se montrer sous son plus beau jour?

Le ministère des Armées a signé mardi un accord inédit avec la Guilde française des scénaristes- unique syndicat professionnel dédié à la défense des intérêts de près de 350 scénaristes travaillant dans le cinéma et la fiction TV- afin d'accentuer sa coopération avec le cinéma français.

Le succès de nombreux films et séries télévisées américaines, comme American Sniper, Du Sang et des Larmes, Démineurs, La Chute du Faucon noir ou Homeland contribuent à la mise en valeur du corps militaire US, renforcent le sentiment patriotique et peuvent susciter des vocations chez les jeunes. Le Ministère des Armées souhaite-t-il également suivre cet exemple et capitaliser sur l'engouement populaire pour la fiction afin de promouvoir l'image de l'armée?

La garantie de fictions toujours plus réalistes

Le premier souci de l'armée semble néanmoins être de donner une vision plus juste de son action. En effet, certains films ou séries télévisées manquent parfois de réalisme, comme nous le détaille Romain Mielcarek, journaliste spécialiste des questions de Défense et de relations internationales. «Le film Forces spéciales (2011), n'était pas crédible du tout. Dans un autre registre, une série réalisée par France4 "Loin de chez nous" (2016) avec peu de moyens et presque sans solliciter les militaires, ils ont réussi à créer des personnages crédibles. Contrairement, aux équipements et aux armes qui ne sont pas les bons.»

Par ailleurs, malgré le réalisme de certaines séries, il n’en reste pas moins certaines approximations, comme le confiait Romain Caillet, chercheur et consultant sur les questions islamistes, historien, devenu spécialiste du salafisme contemporain. Il mentionne notamment le personnage récurrent de la troisième saison du Bureau des légendes, «Cochise», inspiré d’Abu Ayman al-‘Iraqi (l’Irakien), ancien officier de Saddam Hussein devenu haut-responsable de l’Etat islamique (EI). Cependant, «cet Abu Ayman a été confondu avec une personne beaucoup plus âgée pendant plusieurs années, une information ayant été entretenue par la succession de medias et même par les services spéciaux. Et cela témoigne que le mythe d’un Etat islamique manipulé par des généraux baasistes conforte beaucoup d’idées reçues.»
Ces quelques libertés scénaristiques ne semblent pas entamer l’engouement du public, voire de la profession. Mathieu Kassovitz, interviewé par M, le magazine du Monde, confiait qu’un homme lui aurait dit à l’oreille, alors qu’il attendait à l’aéroport: «bravo pour ce que vous faites! Je ne peux vous en dire plus, mais je suis de la maison».

«L'intérêt pour les scénaristes est de combler les lacunes dans la connaissance du milieu militaire, avoir un contact direct qui pourrait les renseigner sur le comportement de soldats engagés et sur le fonctionnent du matériel spécifique.»

Par ailleurs, «l'armée cherche surtout à rendre les choses crédibles, il s'agit de montrer comment est le soldat d'aujourd'hui et comment il fonctionne», constate Romain Mielcarek.

Un soft power à l'américaine?

Le ministère des Armées a bien intégré que la puissance de la production cinématographique peut être une vitrine de choix pour le corps militaire.

«L'objectif pour l'armée est d'être présent dans tous les médias possibles et inimaginables. C'est un outil de communication pour eux.» D'autant plus que «si le réalisateur ne cherche pas d'autres expertises à part celles du Ministère des Armées (…) on aura effectivement une version orientée.»

Pourtant, même si l'armée française accentue sa visibilité dans le paysage cinématographique français et est susceptible d'accroître son influence à travers le monde, grâce à des séries à succès qui s'exportent très bien comme Le Bureau des Légendes, il reste cependant difficile de faire une analogie avec la force de frappe américaine.

«Comparée à la production culturelle américaine —cinéma, TV ou jeux vidéo- la production culturelle française est très modeste. L'effort militaire fait pour y participer en France reste incomparable à ce qui est fait aux États-Unis. Il n'y a pas d'équivalent d'Hollywood en France.»

Une technique de recrutement 2.0

Après les nombreux spots télévisés visant à promouvoir les différentes carrières possibles en son sein, l'Armée continue son opération séduction auprès des jeunes.

«L'intérêt pour le Ministère des Armées est de communiquer sur leur image ainsi que sur ses valeurs et ses missions. Comme le cinéma est un moyen de communication comme un autre, il est très efficace à destination du public jeune où on va "recruter" les soldats».

Le ministère admet d'ailleurs que la fiction audiovisuelle est devenue «un outil potentiel de sensibilisation et de recrutement». Et pour cause, une étude de l'Institut Français de Presse portant sur les pratiques de consommation de films et de séries chez les 20-30 ans démontrait déjà en 2014 une fréquence de consommation très élevée. En effet, 93% des sondés regardaient un film par semaine et un tiers d'entre eux regardait plus de 3 films par semaine. 87,5% suivaient au moins une série et 12,5% en suivaient fidèlement plus de sept. On comprend mieux l'intérêt grandissant de l'armée pour la fiction.

Cependant, entre la réalité et la fiction, il n'y a qu'un pas, reste à savoir si certains jeunes le sauteront.

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