Chimie avec la Russie: quels intérêts lient le nouvel ambassadeur des USA à Moscou

© REUTERS / Aaron P. BernsteinJon Huntsman
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Il y a encore un an, les contacts avec les représentants russes étaient, pour les politiciens américains, une routine et un travail allant de soi. Aujourd'hui, c'est pour eux une activité risquée et lourde de conséquences.

Tout contact d'un responsable américain avec des Russes — représentants officiels ou non — est désormais susceptible de déclencher une enquête contre lui, ou au moins des attaques de la part des médias.

Republican presidential candidate and former Utah Gov. Jon Huntsman waves as he is driven away from a campaign stop in Charleston, S.C. Huntsman (File) - Sputnik Afrique
Le nouveau chef de la mission diplomatique américaine en Russie est arrivé à Moscou
Certains parviennent encore à y échapper. C'est le cas du nouvel ambassadeur des USA en Russie Jon Huntsman, dont la candidature a été approuvée la semaine dernière par le Sénat.

Sputnik a tenté de comprendre à quel point le futur chef de la mission diplomatique américaine à Moscou était «toxique» et quels intérêts le liaient à la Russie.

Une entreprise familiale active en Russie

Jon Huntsman est né le 26 mars 1960 à Palo Alto, en Californie. Il a commencé sa carrière de fonctionnaire en 1983 au sein de l'administration de Ronald Reagan en tant qu'assistant pour le personnel à la Maison blanche. Sa première nomination diplomatique — au poste de chef de la mission diplomatique à Singapour — a eu lieu en 1992, faisant de lui le plus jeune ambassadeur américain du siècle dernier (il avait alors 32 ans).

Sous la présidence de Barack Obama, Jon Huntsman a travaillé en tant qu'ambassadeur en Chine. A cette période il a visité le Tibet, la région autonome de Xinjiang, et a même participé à une manifestation au centre de Pékin — qualifiant cet événement de «coïncidence». Le diplomate est tout de même parvenu à éviter un conflit direct avec les autorités, et à la fin de sa mission il a été qualifié d'«ami de la Chine» par le président chinois Xi Jinping.

De 2005 à 2009, Jon Huntsman a occupé le poste de gouverneur de l'Utah.

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Jon Huntsman devient le nouvel ambassadeur des États-Unis en Russie
Son CV est donc irréprochable: à première vue, impossible de l'accuser d'avoir des liens «vicieux» avec la Russie. Mais quand il ne travaillait pas pour le gouvernement, l'ambassadeur a officié entre autres au poste de vice-président de la société familiale, le groupe chimique international Huntsman Corporation. Et c'est là que les choses se compliquent. Le fait est que la compagnie fondée par son père, qui occupe jusqu'à aujourd'hui le poste de président du conseil d'administration, travaille depuis longtemps et avec succès en Russie. Du moins, son site officiel mentionne des bureaux à Moscou, à Saint-Pétersbourg et dans la région de Kalouga.

La page russe de Huntsman-NMG indique qu'en Russie le groupe est spécialisé dans le développement, la production et la distribution de composés et de matériaux polymères prêts à l'utilisation. «La compagnie dispose d'un complexe de production et logistique moderne situé près de Moscou, à Obninsk, ainsi que d'un réseau de bureaux régionaux à Moscou, à Togliatti, à Rostov-sur-le-Don, à Novossibirsk et à Tcheliabinsk», précise le site.

Selon le site des achats publics du gouvernement américain, la production de Huntsman a été achetée par la Compagnie de transport routier appartenant à Soukhoï, et la société NIIEFA Efremov appartenant à Rosatom. La Compagnie de transport routier a signé un contrat de livraison avec Huntsman-NMG. Selon la société BIR Analitik, un contrat de livraison a également été signé avec Huntsman SNG par le groupe industriel Usine Sergo dont les actionnaires sont Rostec via Tekhmach, qui possède 92,58% des actions, et Rosimouchtchestvo (7,42% des actions).

Déblayer les décombres

Toutefois, les représentants officiels russes préfèrent ne pas mentionner les intérêts d'affaires de la famille Huntsman en Russie. Le vice-ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Riabkov a par exemple noté, au sujet de la candidature du futur ambassadeur, qu'il était un «important homme d'affaires avec une grande fortune, un homme de grandes convictions».

«Nous avons donné notre accord en connaissant parfaitement la biographie de monsieur Huntsman. C'est un grand professionnel», a déclaré le diplomate russe sur la chaîne Rossiya 1.

Et d'ajouter: «La Russie espère que le nouvel ambassadeur sera à même d'améliorer les relations entre les deux pays. Dès son arrivée à Moscou, nous espérons entamer sans attendre un dialogue pour déblayer les décombres qui se sont accumulées ces derniers temps sur la voie du développement des relations russo-américaines».

De son côté, la présidente du Conseil de la Fédération (chambre haute du parlement russe) Valentina Matvienko appelle à ne pas juger Jon Huntsman trop vite. «C'est un diplomate expérimenté, il a une grande expérience de travail diplomatique, c'est déjà une bonne chose. J'ai été moi-même ambassadrice et je sais que la normalisation des relations bilatérales fait partie des missions des ambassadeurs», a-t-elle déclaré.

Valentina Matvienko pense qu'il ne faut pas s'empresser de mettre une étiquette sur le nouvel ambassadeur: «Attendons ses actions concrètes».

Pas de lien direct depuis longtemps

Alexeï Gorokhov, chef du groupe d'experts du conseil scientifique et technique du ministère de l'Industrie et du Commerce pour le développement de l'industrie des matériaux de construction, estime qu'il n'y aura pas conflit d'intérêts entre le nouveau travail de Jon Huntsman et son entreprise familiale.

«Il n'est plus lié directement à la compagnie depuis longtemps. Son frère est le directeur général de la compagnie, son père dirige le conseil d'administration. Mais il ne participe pas personnellement aux affaires de l'entreprise, qui plus est ici, en Russie, où travaille une représentation séparée de la compagnie», précise-t-il.

D'après l'expert, la Huntsman corporation est leader dans plusieurs secteurs en Russie, notamment dans le domaine du polyuréthane. «La compagnie est fiable et jouit d'une bonne réputation sur le marché. Son activité commerciale se porte bien», note Alexeï Gorokhov.

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Huntsman serait «un excellent choix» comme ambassadeur US en Russie
«La position de la compagnie dépend des secteurs. Mais concernant l'ensemble des polyuréthanes, dans tous les segments, je pense que la compagnie représente environ 15% du marché russe. Sachant que dans certains secteurs elle occupe la position de leader technologique. Je ne peux pas nommer les secteurs où leur part est élevée. J'observe seulement la dynamique de production des indicateurs de base: ils occupent la 4e place du marché, et détiennent 15% des parts de marché», ajoute-t-il.

Des intérêts sans conflit

L'expert américain Earl Rasmussen, vice-président de l'Eurasia Center à Washington, pense également que la nomination de Jon Huntsman au poste d'ambassadeur n'entraînera pas de conflit d'intérêts.

«Au contraire, cela pourrait être très bénéfique pour améliorer l'entente mutuelle et les liens entre la Russie et les USA», estime-t-il.

Earl Rasmussen précise qu'il ne connaît pas étroitement le diplomate, même s'il l'a rencontré plusieurs fois durant des réceptions officielles. «J'ai entendu beaucoup de choses positives sur Huntsman. C'est un conservateur mais il est surtout centriste et pragmatique. Et en tant qu'ex-gouverneur et homme d'affaires, il connaît parfaitement les problèmes auxquels sont confrontés les autorités, les compagnies et les Américains ordinaires», indique l'expert.

Selon lui, Jon Huntsman est parfaitement au courant de la situation «dans toute l'Eurasie, de la Russie à l'Asie centrale en passant par l'Asie du Sud et la Chine».

Le vice-président de l'Eurasia Center note que cette nomination permettra d'obtenir une «combinaison unique de la vision politique et d'affaires sur la situation, ce qui est particulièrement nécessaire aujourd'hui». «Je pense que son expérience et son pragmatisme permettront de redonner du sens aux relations russo-américaines», conclut-il.

Le meilleur ambassadeur est un ambassadeur discret

De son côté, Alexeï Fenenko, doctorant en histoire de l'Institut de sécurité internationale affilié à l'Académie des sciences de Russie, note que très souvent, dans la nomination d'un nouvel ambassadeur, «son CV joue contre lui». «Mais Jon Huntsman n'a pas encore de background négatif», souligne-t-il.

«La pratique montre que le meilleur ambassadeur est un diplomate professionnel, un haut fonctionnaire qui est monté dans la structure diplomatique», a déclaré l'expert, et d'ajouter que «le meilleur ambassadeur est un ambassadeur discret».

«Nous verrons s'il (Huntsman) parviendra à le devenir. Espérons-le. Cela dépend de la ligne qu'il choisira: s'il choisissait d'être un ambassadeur discret, alors oui, mais s'il choisissait d'être un ambassadeur politicien, ce serait évidemment très dangereux pour nos relations», analyse Alexeï Fenenko.

Le politologue russe Boris Mejouev pense que Jon Huntsman est une figure qui convient aujourd'hui à la majeure partie de l'élite politique américaine, c'est pourquoi il ne faut pas s'attendre pour l'instant à des attaques contre lui concernant ses intérêts d'affaires en Russie.

«En cas de volonté de profiter de cette circonstance il y aura une campagne contre Huntsman, sinon il n'y en aura pas. Je pense que ce n'est pas souhaité pour l'instant. Le nom de Huntsman n'est pas mentionné comme suscitant des interrogations. Mais vous savez, tout peut arriver. J'ai l'impression que pour le moment l'administration et les républicains siégeant au Congrès ne veulent pas aggraver les relations. Il me semble qu'ils observent actuellement une neutralité polie, de certaine tension», a déclaré l'expert.

Au sujet de l'éventuelle ligne de Jon Huntsman dans les relations avec Moscou, Boris Mejouev estime qu'il se tiendra à une politique visant à «tenir la Russie à la distance d'un bras tendu». «Je pense que c'est ce qu'il fera. Autrement dit, il ne faut s'attendre à aucune amitié particulière ni à un rapprochement ou autre-chose. Il faut s'attendre à des relations froides et globalement assez distantes», conclut le politologue.

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