Levant: Faut-il «droner» les djihadistes français?

© REUTERS / Omar SanadikiUn quartier de Homs, en Syrie
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Plus de 1.200 ressortissants français seraient toujours présents entre la Syrie et l’Irak selon l’Élysée, plus de 270 seraient revenus. Pourtant, face au danger que ces individus déterminés font peser sur la sécurité des Français, de rares voix s’élèvent, causant la polémique. Retour sur un malaise français.

Rachida Dati ne mâche pas ses mots au sujet des djihadistes français partis combattre dans les rangs de l'État islamique en Irak ou en Syrie. L'eurodéputée et maire du VIIe arrondissement de Paris indiquait à la conférence des maires que «ces dernières années, on a empêchés de partir un certain nombre d'individus […] Ces gens sont aujourd'hui des bombes à retardement.»

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Pour désamorcer ces bombes, sa réponse est claire: «je sais que ce n'est pas politiquement correct de le dire, mais ceux qui veulent partir en Syrie ou Irak, non seulement on devrait les laisser partir, mais surtout les empêcher de revenir par tous les moyens dont nous disposons! Je dis bien par tous les moyens dont nous disposons.» Elle évoque ainsi les «exécutions extra-judiciaires» ou eliminations ciblées effectuées par les États-Unis —sur autorisation du président- notamment via les drones.

Des déclarations —choc qui ont fait réagir. Pourtant, la question n'est pas nouvelle: Que faire des Français partis combattre dans les rangs de l'État islamique depuis l'éclatement du conflit syrien en 2011? L'exécutif français avait notamment été accusé de ne pas suffisamment agir pour endiguer le flot des candidats au djihad.

Pourtant, ces individus éconduits des aéroports français ou européens, privés de guerre et de ses exactions innommables, constituent aujourd'hui le principal danger pour le pays, tel était le constat de Laurent Nuñez- directeur général de la sécurité intérieure (DGSI) lors d'une interview accordée à l'AFP en milieu de semaine dernière- avis que partage l'eurodéputée Rachida Dati- comme le soulignait sans détour Nice Matin.

«On est aujourd'hui avec un stock assez important de Français partis en Syrie et en Irak et qui veulent revenir»

concède Pierre Conesa, ancien haut fonctionnaire en poste au ministère de la Défense et auteur de plusieurs ouvrages, dont notamment le Guide du petit djihadiste: à l'usage des adolescents, des parents, des enseignants et des gouvernants (Éd. Fayard, 2016). Il faut dire que l'hexagone est devenu le premier fournisseur occidental de djihadistes, avec plus de 2.000 ressortissants ayant rejoint à un moment ou à un autre Daech.

Un chiffre qui peut donner le vertige, d'autant plus que «seuls» 200 à 300 djihadistes français auraient été tués dans les combats sur place, soit entre 10 à 15% du contingent. D'après l'agence Reuters, l'Élysée aurait annoncé vendredi 29 septembre que 700 combattants français étaient encore présents dans la zone syro-irakienne. Des combattants auxquels s'ajoutent 500 mineurs dont «la moitié a moins de 5 ans et un tiers est né» sur place, selon un rapport de Radicalisation Awareness Network (RAN) un organisme européen travaillant sur la prévention de la radicalisation et dont le Figaro s'était fait l'écho mi-août.

Le quotidien évoquait pour sa part une «marée […] sans précédent» concernant ce phénomène des retours qui s'accélère depuis les revers militaires infligés à l'organisation terroriste. Ainsi, du côté de la Place Beauvau, Gérard Collomb, ministre de l‘Intérieur, avait annoncé début août dans les colonnes du JDD que 217 majeurs et 54 mineurs étaient rentrés en France des zones de combats d'Irak et de Syrie.

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Concernant le fait que l'élu Les Républicains évoque le «politiquement correct» à l'encontre duquel elle irait, il faut dire que les annonces de l'élimination de djihadistes français sur des terrains de guerre avec le concours —direct ou indirect- des autorités françaises avaient en leur temps fait réagir.

Ce fut notamment le cas lors de la publication du livre Un président ne devrait pas dire ça… Les Secrets d'un quinquennat (Éd. Stock), en octobre 2016, où François Hollande révélait dans ses entretiens avec les journalistes Fabrice Lhomme et Gérard Davetson recours aux «opérations homo» (pour «opérations homicides» dans le vocabulaire militaire) afin de commanditer les éliminations ciblées et hors cadre légal de la guerre d'au moins quatre terroristes présumés à l'étranger, chiffre qui monte en janvier 2017 à une quarantaine avec la publication du livre Erreurs fatales (Éd. Fayard) du journaliste d'investigation Vincent Nouzille.

Même levée de boucliers lorsque, fin mai 2017, le quotidien américain Wall Street Journal affirmait dans une enquête que l'armée française aidait les services antiterroristes et l'armée irakienne à cibler et «neutraliser» des combattants terroristes français durant le siège de Mossoul. Affirmations auxquelles l'hôtel de Brienne avait répondu par un silence assourdissant, la ligne officielle des autorités françaises étant que ce sont les lieux et non les individus qui sont ciblés.

Des éliminations, qui sur le terrain sont généralement effectuées par des moyens militaires étrangers, comme les drones américains ou les troupes irakiennes, du fait d'une ambiguïté légale sur laquelle revient Pierre Conesa:

«Le paradoxe de la situation aujourd'hui, c'est que nous ne sommes pas en guerre. C'est-à-dire que demain on pourrait très bien avoir demain une famille décidant d'attaquer l'armée française pour avoir tué son fils dans une opération qui n'est pas une opération de guerre.»

Une situation intenable même sur le terrain. Pierre Conesa évoque notamment le sort réservé par les djihadistes de Daech à Maaz al-Kassasbeh, pilote jordanien d'un F-16 participant aux opérations de la coalition internationale anti-Daech. Capturé le 24 décembre 2014 en territoire syrien, l'homme fut brûlé vif dans une cage quelques mois plus tard.

«Allez expliquer à des combattants français qui participent- sur décision du gouvernement français —à une opération de guerre, qu'ils ne doivent surtout pas tuer ou cibler des personnes qui sont de nationalité française, vous voyez une peu le paradoxe?»

Des opérations qui élimineraient ainsi la fameuse problématique du retour en France de ces ressortissants français ayant pris les armes contre leur pays. Comme le souligne Pierre Conesa, il est pour l'heure légalement impossible d'empêcher un djihadiste ayant la nationalité française, y compris des binationaux, de revenir. Pour notre expert, cela devrait donc être avant tout aux États ayant soutenu la guerre, soient l'Irak et la Syrie, de juger les combattants français capturés. Une configuration juridique idéale, à condition que nous tirions un trait sur certaines habitudes, estimant au passage que le politiquement correct est plus «une posture intellectuelle qu'un rapport avec la réalité.»

«Il ne faudrait pas qu'on fasse jouer, comme habituellement, cette mobilisation médiatique qu'on a à chaque fois qu'un trafiquant de drogue ou une personne ayant participé à un réseau de kidnapping est condamné à l'étranger, puis qu'on explique qu'en fait il est innocent, car Français.»

Souvenez-vous, à l'hiver 2015, le débat avait fait rage autour de la déchéance de nationalité pour les binationaux partis combattre au Levant. Malgré le contexte des attentats de Paris, encore récent et qui avait motivé la mesure aux yeux du Président, François Hollande avait finalement fait machine arrière après trois mois de polémique et à la pluie de critiques venue de son propre camp, une partie gauche fustigeant une mesure «inspirée par le FN.»

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Mais au-delà du simple flou juridique autour de l'élimination de ces djihadistes partis combattre au Levant, pour Pierre Conesa, si l'opinion appréhende bien la dangerosité que représente le retour sur le sol national de ces combattants tout aussi radicalisés qu'aguerris, le blocage quant à leur neutralisation définitive se fait au niveau «d'une partie des Français qui ne pensent pas que nous sommes en guerre.»

Un blocage qui semble aller de pair, chez nos responsables politiques, avec une autre gêne: celle de ne pas nommer la nature idéologique et politique du projet de Daech, aujourd'hui partagé par une frange de radicaux islamiste sur notre territoire.

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