Peut-être vous rappelez-vous certains de vos maîtres. Madame Grosjean, par exemple, qui aimait transmettre le plaisir d'écrire, ou Monsieur Hilaire, qui savait expliquer l'allégorie de la caverne, ou encore Madame Drieu dont j'ai changé le nom et dont il vaudrait mieux ne pas parler. Ces exemples sont évidemment les miens, mais nous en avons tous.
Alors inversons les rôles, si vous le voulez bien. Cette fois-ci, nous aurons le malin plaisir d'interroger un professeur, Anne-Sophie Nogaret, qui a commis un essai, titré Du Mammouth au Titanic, sous- titré La Déséducation nationale, et publié aux éditions L'Artilleur.
La cote d'alerte est dépassée, un seul terme résumerait la situation présente dans l'éducation: « un gigantesque naufrage », naufrage que notre invitée décrit de manière très personnelle.
Extraits:
L'absurdité des notes du Bac'
«[En 1998], le contenu de la copie n'avait rien à voir avec sa note. Ils étaient deux à m'expliquer que mon seul critère devait être la moyenne académique et que pour ces deux lycées là, on devait être deux points au-dessus. C'est un peu le plan quinquennal, pour ces lycées bourgeois, on savait déjà à l'avance les notes que je devais mettre. C'était un désaveu terrible sur un plan intellectuel. Vous n'êtes là que pour réaliser ce qu'on attend de vous d'un point de vue statistique. Il y avait une injustice de classe.»
Absence d'autorité
«[En 2015] un élève me traite de "salope" et menace de me casser la gueule. Cet élève-là a été défendu, soutenu, j'ai été accusée de racisme. Une seule personne m'a défendue. Cette fois, c'est un désaveu de l'autorité, du respect que l'on doit. Sans cela, je ne vois pas comment on peut travailler.»
Lâcheté des profs
La gestion de classe
«Les élèves sont traités comme des clients rois. Le fait que l'école refuse le concept même d'autorité, on l'observe au niveau de la société occidentale. On considère qu'elle est un signe d'aliénation. Le culte de l'individu, du libéralisme-libertaire, fait que l'autorité est vécue comme insupportable… Un bon prof possède un savoir, il maîtrise la partie de savoir qu'il doit transmettre, et plus. La deuxième condition est de ne pas avoir peur du conflit, et assume donc sa part d'autorité. Souvent, certains ne sont pas capables d'enseigner psychiquement. Dire à un élève de changer de place étiat pour eux impossible. Je ne sais pas si c'est quelque chose qui s'apprend ou que l'on a. Mais certains pourraient avoir tous les cours en la matière, ça ne marcherait pas… On fait de la "gestion de classe"! Quand on gère, c'est comme si on gèrait un stock… en attendant qu'ils aillent hanter d'autres statistiques de l'éducation nationale: vous n'êtes pas là pour transmettre un savoir, mais pour éduquer, me dit-on au rectorat. Ce qui compte c'est le dialogue.»
A l'épreuve du multiculturalisme
«Que l'on ait des élèves de culture différente, je ne pense pas que c'est une réalité très gênante. Mais on nous dit avec un élève: "non tu comprends il est d'une culture différente", on fait comme si on devait s'adapter à leurs propres critères, et on se plaint ensuite que l'intégration ne marche pas.»
L'espoir Blanquer?
«J'ai été très agréablement surprise par ses discours. La volonté politique est là. Il me semble qu'il risque d'avoir du mal: les pédagogistes sont en place depuis longtemps…»
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