Catalogne : Quand Mariano Rajoy joue avec le feu…

© REUTERS / Enrique CalvoMariano Rajoy
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La crise entre la Catalogne et le gouvernement de Madrid a connu de nouveaux rebondissements. Le Président de l’exécutif régional, M. Carles Puigdemont s’est enfui à Bruxelles avec Quatre de ses ministres.

Dans le même temps, le gouvernement de Madrid a fait arrêter huit autres membres de son cabinet, dont le vice-président, M. Oriol Junqueras, tout en déposant un mandat d'arrêt européen contre Puigdemont. Par ailleurs, le gouvernement de Madrid a décidé de dissoudre le Parlement catalan et de convoquer de nouvelles élections pour le 21 décembre. Par ailleurs, de nombreuses arrestations ont aussi eu lieu dans le milieu associatif. Le gouvernement de Madrid semble donc convaincu que la répression lui donnera la victoire dans cette crise.

Ce que la justice peut faire

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Le parquet fédéral de Belgique a donc reçu le vendredi 3 novembre cinq mandats d'arrêt européens (MAE) en provenance d'Espagne. Ces mandats concernent Carles Puigdemont, mais aussi Maria Serret Aleu, Clara Ponsati Obiols et MM. Antoni Comin Oliveres et Luis Puig Gordi, qui avaient accompagné Puigdemont dans sa fuite, a précisé le parquet dans un communiqué le samedi 4 novembre. Selon la procédure du MAE, une fois que les personnes recherchées ont été retrouvées, et que le juge d'instruction s'est prononcé, il revient à la Chambre du conseil de prendre une décision sur l'exécution du MAE, dans les 15 jours. Cependant, le parquet tout comme la personne visée par le MAE peuvent faire appel de cette décision devant la Chambre des mises en accusation, ce qui ouvre un nouveau délai de 15 jours aussi. En cas de rejet de la procédure d'appel, cela ne signifie pas l'exécution immédiate de la décision. En effet, il existe encore la possibilité d'un pourvoi en Cassation, et la Chambre a là encore 15 jours pour rendre sa décision.

Selon la directive de l'Union Européenne, qui fixe les règles du MAE, la décision finale doit être prise sous 60 jours, un délai qui peut être porté à 90 jours "en cas de circonstances exceptionnelles". Si la décision a été prise d'exécuter le MAE, la personne doit être remise à l'Etat émetteur du mandat sous 10 jours.

Il est donc possible que cette décision ne puisse pas être exécutée avant la date fixée pour les élections.

Le rapport des forces au sein du bloc indépendantiste

Ces élections, Carles Puigdemont les a acceptées. Mais, le résultat pourrait en être paradoxal. En effet, il ne fait guère de doutes que le comportement du gouvernement de Madrid a abouti à durcir la position des indépendantistes. La répressions du « référendum » du 1er octobre, mais aussi de multiples maladresses et provocations, comme le fait de nommer « gouverneur » de la Catalogne, dont le statut d'autonomie est suspendu par Madrid, la fille d'un ancien général franquiste, ont certainement accrues la popularités des partis indépendantistes.
Néanmoins, en leur sein, on assiste à un basculement dont les conservateurs indépendantistes pourraient bien faire les frais au profit d'un parti de gauche indépendantiste. M. Puigdemont, qui continue de se présenter comme le président "légitime" de la Catalogne en exil, appartient en effet au PDeCAT (Parti démocrate européen catalan, conservateur indépendantiste). Ce parti a gouverné la Catalogne pendant une large partie de l'ère démocratique moderne sous le nom de CiU (Convergencia y Unión). Il en théorie lié au Parti Populaire du Premier-ministre espagnol, M. Rajoy. Mais, l'opposition entre les deux hommes, et leurs partis respectifs, est désormais irrévocable. Les sondages cependant ne placent aujourd'hui le PDeCAT qu'en 4ème ou 5ème position pour les élections du 21 décembre. Le grand bénéficiaire de ces élections pourrait donc être la gauche indépendantiste (ERC, Gauche républicaine de Catalogne). Ce parti pourrait bien être le grand vainqueur de ces élections.

Les élections du 21 décembre

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Ces deux partis, PDeCAT et ERC, se sont réunis au sein de la coalition "Ensemble pour le oui", une coalition explicitement constituée pour mener la Catalogne à l'indépendance, et qui avait obtenu la majorité aux élections régionales de 2015. Ils ont donc gouverné ensemble entre 2015 et leur destitution le 27 octobre. La possibilité de voir les électeurs catalans reconduire cette coalition est donc bien réelle, d'autant plus que, dans le camp indépendantiste, il faut encore inclure la CUP (ou Candidatura d'Unitat Popular) un parti de la gauche radicale, qui avait obtenu 10 sièges sur 135 et plus de 8% des suffrages aux élections de 2015. Ce parti soutenait la coalition entre l'ERC et le PDeCAT, mais sans participer à l'exécutif régional.
Face à elle, il y aura les partis considérés comme « unionistes », essentiellement le PSOE/PSC, le PP et Ciudadanos. Mais ces partis ne semblent pas en mesure de l'emporter. En fait, la décision se fera en fonction du nombre de voix qu'obtiendra Podemos, un parti de la gauche radicale qui ne soutient pas l'indépendance, mais qui a dénoncé dans termes sans appel le comportement du gouvernement de Madrid et l'action de son Premier-ministre M. Rajoy. Le dirigeant de Podemos, Pablo Iglesias, a cependant reconnu la légitimité des élections du 21 décembre, et ce faisant ouvert une crise avec son aile catalane qui n'est pas sans compter des indépendantistes, qui auraient préféré s'allier avec la CUP.

Tableau 1

Résultats des élections régionales de 2015

 

Liste

Voix

 %

Sièges

Ensemble pour le oui**

(PDeCAT et ERC)

1 628 714

39,59

62

Ciudadanos

736 364

17,90

25

Parti des socialistes de Catalogne (affilié PSOE)

523 283

12,72

16

Catalogne oui c'est possible (affilié PODEMOS)*

367 613

8,94

11

Parti populaire catalan

349 193

8,49

11

Candidature d'unité populaire** — CUP

337 794

8,21

10

Total indépendantiste

1 966 508

47,80

72

Unioniste

1 608 840

39,11

52

** Listes soutenant l'idée de l'organisation d'un référendum d'indépendance
* Liste soutenant le principe d'un référendum, mais sans se prononcer sur la question de l'indépendance.

Un enjeu démocratique majeur

Catalan President Carles Puigdemont attends a memorial event at the tomb of former president of the Generalitat, the regional government, Lluis Companys in Barcelona, Spain, October 15, 2017. - Sputnik Afrique
Une partie du gouvernement de la Catalogne mise en détention provisoire
Ces élections, si elles peuvent se dérouler dans un cadre véritablement démocratique, seront un point important dans cette crise. Si les indépendantistes triomphaient, ou si simplement ils retrouvaient la majorité qu'ils avaient en 2015, cela constituerait une défaite majeure pour Rajoy. Ce dernier, désavoué par les urnes, ne pourrait s'enfermer dans son refus de négocier avec le mouvement indépendantiste. Il se verrait alors probablement contraint d'accepter la tenue d'un référendum. Mais, on ne peut pas exclure que le gouvernement de Madrid, et l'alliance entre le PP et le PSOE, décide d'interdire ou de « suspendre » les partis indépendantistes (PDeCAT, ERC et CUP), leur interdisant de fait de se présenter aux élections. Cet acte, que l'on ne peut exclure tant le gouvernement de Madrid et le Parti Populaire semblent dominés par une hubrys néo-franquiste, constituerait alors une rupture définitive entre catalans et espagnols. Il signerait aussi, pour les partenaires de l'Espagne comme pour les catalans, que ce pays est sorti du cadre démocratique. Le silence de l'Union européenne sur ce point pourrait bien être le dernier clou de son cercueil.

La responsabilité de M. Rajoy

Si le mouvement indépendantiste catalan a été jusqu'à présent pacifique, rien ne prouve qu'il le restera dans le futur. Ce coup de force de Madrid pourrait bien être la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Il pourrait pousser des franges du mouvement indépendantiste vers la lutte armée.
Mariano Rajoy et le gouvernement de Madrid doivent cesser de penser qu'il peut y avoir une solution judiciaire à un mouvement politique. Ils doivent laisser les catalans s'exprimer, et s'exprimer librement, sans pressions ni menaces. Sinon, eux et leurs alliés du PSOE/PSC et de Ciudadanos, prendront la responsabilité d'une nouvelle guerre civile en Catalogne.

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.

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