La Nouvelle-Calédonie, française depuis 1853, ne le sera peut-être plus l'année prochaine. «Il était important de faire un point sur la mise en œuvre des accords de Nouméa, signé il y a 19 ans», souligne Roch Wamytan, président du groupe UC FLNKS et Nationalistes. Le temps passe, et le temps presse: même si la réunion du «16e Comité des signataires des accords de Nouméa de mai 1998» a été unanimement qualifiée de succès, il reste des questions en suspens, d'autant plus qu'une «phase à haut risque» approche.
« C'est un risque. Il faudrait arriver à désamorcer, tenter de régler les contentieux qui impactent les relations entre communautés, notamment entre Kanaks et les autres. La question du foncier, de la délinquance, du sentiment d'insécurité, avec la montée de la délinquance océanienne et spécifiquement kanake, fait partie aussi de ces contentieux-là. C'est important de tenter d'apporter une réponse au moment où nous rentrons dans une phase qui est à haut risque.»
Même si l'État a financé des formations sur les vingt dernières années (médecins, ingénieurs, architectes, etc.), les inégalités sont encore flagrantes, notamment entre le sud peuplé de Caldoches —descendants des métropolitains- et où se concentrent les ressources, et le nord peuplé de natifs kanaks, avec un taux de chômage près de quatre fois plus élevé que dans le Sud:
«Le système français est fait de telle manière qu'il favorise plus la réussite ou la formation des élites. Mais le plus grand nombre est, quelque part, marginalisé», estime Roch Wamytan.
À l'époque, il n'aurait pas soupçonné l'explosion de la délinquance que connaît actuellement l'île. D'après ce chef coutumier Kanak et membre indépendantiste du Congrès de la Nouvelle-Calédonie, elle est alimentée par un sentiment anti-français croissant, dû à une société inégalitaire:
«On a fait le diagnostic de la montée de la délinquance en Nouvelle-Calédonie, et particulièrement de la jeunesse kanake. Mon analyse, c'est que nous affaire à un problème sociétal. C'est le symptôme d'une société malade. La société calédonienne est malade à cause de ses peurs, à cause de ses inégalités, à cause de son système scolaire qui ne favorise pas la réussite du plus grand nombre. Elle est malade de plein d'éléments comme ça, qui impactent la jeunesse. La jeunesse, c'est le symptôme».
En effet, les 20% de jeunes qui quittent l'école sans diplôme sont majoritairement des Kanaks, qui ont par ailleurs six fois moins de chances de réussir leur bac général que les Caldoches. Les élus calédoniens rentrent avec des promesses de l'État en matière de renforcement des moyens de sécurité, face à la montée de la délinquance, notamment chez les mineurs.
«Il faut traiter ce mal en essayant d'aborder ce problème au niveau de la société elle-même, de changer profondément la société. Plutôt que de régler le nombre d'effectifs de la gendarmerie, de la police, etc., on va régler ça d'une manière radicale, mais le problème de fond sera toujours là.»
D'où la question cruciale du corps électoral et de la représentation kanake. Jacques Lalié, élu au FLNKS, se félicite d'avoir pu trouver, avec les autres partis présents à Paris autour du ministre Édouard Philippe, un accord:
«On était venu avec un positionnement radical, que les Kanaks doivent être inscrits automatiquement sur la liste référendaire. C'est parce qu'il y a une radicalisation sur ces positionnements.»
«Comme tout pays colonisé par un peuple européen, on réclame notre indépendance. Reprendre notre liberté, de façon à assurer notre propre destin […]. Aujourd'hui, les communautés sont mélangées. Ce que l'on cherche d'abord, c'est créer un pays et faire émerger une conscience commune d'appartenir à un pays. Un pays qui demain pourra atteindre une étape de développement institutionnel et politique».
Un pays qu'il voit indépendant «soit totalement, soit en partenariat, avec la France ou l'Europe» avec laquelle la Nouvelle-Calédonie est liée par une longue histoire, «soit avec les pays avoisinants, comme l'Australie ou la Nouvelle-Zélande, qui sont des pays de la région. Nous ne sommes pas un pays européen, nous sommes un pays d'Océanie».
Éminemment stratégique de par sa proximité avec les côtes asiatiques et américaines, la zone Asie-Pacifique aiguise les convoitises, autant qu'elle dissuade de la quitter:
«La France veut jouer un rôle dans cette région du monde. Comme disait Obama, c'est le nouveau lieu de la croissance mondiale […]. Je vois mal les responsables nationaux français dire "ça ne nous intéresse pas". Ils ne le disent pas, mais ils font tout pour maintenir leur présence là-bas. C'est mon point de vue».
«Ce sera aux Calédoniennes et aux Calédoniens de répondre à la question posée», déclarait Emmanuel Macron, alors candidat à la présidentielle. «Convaincu que la présence de la France est nécessaire pour garantir la paix civile et le développement», le Président se rendra sur le «Caillou» avant le mois de mai. Le Premier ministre s'y rendra fin novembre, «l'occasion de faire le point avec les partenaires sur les travaux qui doivent se poursuivre» sous la responsabilité du haut-commissaire sur le territoire. Et il y a encore beaucoup à faire, selon le responsable FLNKS:
«Normalement, si l'accord de Nouméa s'était déroulé comme prévu, sur les 19 dernières années, on aurait déjà transféré l'ensemble des compétences qui étaient exercées par l'État français au moment de la signature», estime Roch Wamytan.
Mais surtout, à l'ordre du jour, l'épineuse problématique de la question posée pendant le référendum d'autodétermination: son libellé déterminera en bonne partie l'issue du scrutin.