Les perspectives pétrogazières des USA sont gonflées au détriment de la Russie

© AFP 2023 Guillermo LegariaLa production de pétrole
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Dans les années à venir, les États-Unis prendront le leadership des marchés énergétiques mondiaux tandis que les positions de la Russie vont sérieusement reculer, notamment en ce qui concerne le pétrole.

Tel est du moins le pronostic de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), qui fausse manifestement les faits au profit de Washington. Mais pourquoi?

L'AIE, créée par les USA pour faire contrepoids à l'Opep, a publié un nouveau scénario d'évolution du marché mondial du pétrole et du gaz d'ici 2040 (World Energy Outlook 2017). D'après ce texte, les USA deviendront l'acteur principal du marché énergétique mondial dans les années à venir. Selon Vzgliad.

Les USA s'attendent à une hausse record — de 8 millions de barils par jour — de la production de pétrole de schiste d'ici 2025, «ce qui sera la plus grande hausse durable de la production pétrolière d'un pays de toute l'histoire du marché», écrivent les experts de l'AIE.

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Au final, la production de pétrole américain devrait atteindre 16,8 millions de barils par jour d'ici 2025: les États-Unis en seront alors les premiers producteurs au niveau mondial. L'Arabie saoudite produira alors 12,3 millions de barils par jour et occupera la deuxième place.

La Russie suivra à la troisième place. L'AIE est persuadée que la production pétrolière russe diminuera d'ici 2025 jusqu'à 10,5 millions de barils par jour (11,3 millions en 2016) et continuera de baisser à long terme dans un contexte d'épuisement des ressources. D'après les prévisions de l'agence, d'ici 2040 la production pétrolière en Russie devrait chuter jusqu'à 8,6 millions de barils par jour. «Le déplacement de la production russe principale vers la Sibérie orientale et la zone arctique ne pourra pas entièrement compenser la diminution naturelle de la production sur les champs de Sibérie occidentale et de la région Volga-Oural», indique le rapport.

Un succès sans précédent attend également les USA sur le marché du gaz, assure l'AIE. Cette dernière estime que les USA doubleront la Russie en termes de production gazière d'ici 2025. Les États-Unis produiront d'ici là 971 milliards de mètres cubes, et plus de 1.000 milliards de mètres cubes par an d'ici 2040. La Russie devra se contenter de la deuxième place: en 2025 sa production n'aura augmenté que jusqu'à 718 milliards de mètres cubes, et jusqu'à 788 milliards de mètres cubes d'ici 2040. La troisième place reviendra à l'Iran avec 243 et 338 milliards de mètres cubes respectivement.

Toutefois, l'AIE reconnaît tout de même que la Russie restera l'exportateur numéro 1 de gaz aussi bien à moyen qu'à long terme. D'ici 2025 les exportations de gaz russe augmenteront jusqu'à 265 milliards de mètres cubes (188 milliards en 2016), et d'ici 2040 jusqu'à 314 milliards de mètres cubes par an. Par conséquent, la part du gaz russe dans le commerce mondial augmentera jusqu'à 37% d'ici 2025 et jusqu'à 40% d'ici 2040. Cependant, ici aussi un record attend les USA: ce pays deviendra le plus grand exportateur de GNL dans le monde d'ici 2020 selon les experts de l'AIE.

Faut-il croire inconditionnellement les pronostics de l'AIE, qui formule traditionnellement des prévisions extrêmement optimistes pour les USA et toujours négatives pour la Russie?

L'honnêteté des experts de l'AIE suscite des questions, par exemple quand on compare ce pronostic avec les attentes des experts de l'Opep — autre "club pétrolier" prestigieux. En effet, les récentes prévisions de l'Opep n'envisagent pas un envol aussi incroyable des positions énergétiques des USA. Surtout, les experts de l'Opep sont convaincus que la production pétrolière continuera de grandir et augmentera de 0,9% d'ici 2040 jusqu'à 11,1 millions de barils par jour.

D'ailleurs, les prévisions précédentes de l'AIE étaient déjà critiquées par les médias et les experts. Elles sont souvent jugées exagérées et inatteignables, et sont plus considérées comme un «document politique» qu'une étude objective. Mais alors pourquoi l'AIE avance-t-elle des pronostics accordant manifestement la priorité aux USA et rabaissant les positions énergétiques russes?

Igor Iouchkov expert du Fonds de sécurité nationale énergétique et enseignant à l'Université des finances, explique que tous les pronostics sur le marché pétrolier et gazier dépendent du prix du pétrole. L'AIE s'attend à ce que d'ici 2040 les cours soient suffisamment élevés pour les projets de schiste. Ainsi, l'AIE prévoit une hausse du baril jusqu'à 83 dollars d'ici 2025, soit de 18% (d'après le cours du dollar pour fin 2016). Et d'ici 2040, le prix du pétrole pourrait augmenter jusqu'à 111 dollars le baril selon l'AIE.

«La ruse dans les pronostics pour les USA et la Russie consiste à poser des positions de départ différentes et des conditions différentes de réalisation de projets pétroliers. En fait, l'AIE évalue la production pétrolière aux USA en partant d'un prix élevé (au-delà de 80 dollars le baril), et la production russe en partant de 40-50 dollars le baril», déclare Igor Iouchkov.

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«En d'autres termes, l'AIE dit que la Russie ne produira pas de pétrole sur le plateau et n'exploitera pas les réserves difficiles à extraire. Ils coupent tout cela en laissant seulement les gisements traditionnels, et ils montrent comment ils fonctionneront à terme d'ici 2025 et d'ici 2040 sans l'ouverture de nouveaux projets. Or dans leur propre pronostic ils tiennent compte de tous les éléments positifs: les prix plus élevés du pétrole les aideront à exploiter les gisements précisément en cas de prospérité de la production du pétrole de schiste avec un baril à 100 dollars», poursuit-il.

Or, si le prix du baril était supérieur à 80 dollars, un scénario favorable se réaliserait également pour la Russie qui pourrait exploiter de nouveaux gisements. Il serait alors rentable de travailler en Sibérie orientale et sur le plateau, y compris arctique. Tandis que si les attentes de l'AIE concernant les prix du pétrole ne se justifiaient pas, alors le baril bon marché empêcherait la mise en service de nouveaux gisements aussi bien en Russie qu'aux USA. La production pétrolière connaîtrait donc aussi un déclin de l'autre côté de l'Atlantique.

Les pronostics gaziers de l'AIE soulèvent également des questions. Le marché intérieur du gaz aux USA est déjà saturé et la production américaine de schiste ne pourra donc se développer qu'en augmentant les exportations de GNL. Pour cela, il faut garantir des prix élevés du gaz sur le marché mondial. Il s'avère que les Américains prévoient des prix du gaz élevés sur le marché mondial mais estiment qu'ils seront les seuls à en profiter, en omettant la Russie.

«On ignore complètement d'où viennent les conclusions selon lesquelles les USA seront le plus grand producteur de gaz, qui plus est le plus grand exportateur de GNL. Si aujourd'hui ils perdent la concurrence face à la Russie sur le marché européen avec des prix du gaz bas, comment espèrent-ils remporter cette concurrence à terme?», s'étonne Igor Iouchkov.

Les positions de départ des projets gaziers sont plus avantageuses pour la Russie que pour les Américains. «Nous augmentons les fournitures de gaz de pipeline en Europe, alors que les Américains n'augmentent pas leurs livraisons de GNL. Nous signons des accords sur les fournitures sur les marchés asiatiques. Des projets tels que Yamal LNG, Arctic LNG apparaissent pour les marchés asiatiques», explique l'expert.

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La Russie n'a pas besoin de liquéfier le gaz pour le fournir sur le marché européen. Elle dispose de toute l'infrastructure nécessaire et d'une branche de transport courte. «Les nouveaux projets Turkish Stream et Nord Stream 2 ne sont pas coûteux par rapport aux dépenses que devront réaliser les Américains pour construire des usines de GNL et transporter le gaz liquéfié», précise l'expert.

Si les prix du gaz restaient bas, les perspectives ne seraient pas réjouissantes pour les affaires gazières américaines.

Mais pourquoi l'AIE manipule-t-elle aussi ouvertement les chiffres? Le fait est que les projets pétroliers et gaziers des USA, contrairement à bien d'autres pays, sont privés — même s'ils subissent un contrôle très strict de l'État. C'est pourquoi le rapport de l'AIE n'est rien d'autre qu'une campagne de publicité pour les projets de schiste américains.

«Je pense que c'est une tentative d'attirer les investisseurs vers leurs projets de schiste. Parce que l'économie des projets de schiste ne repose que sur la base d'investissements permanents», conclut Igor Iouchkov. Pour que la production de schiste reste à un niveau élevé ou s'accroisse, il faut constamment ouvrir de nouveaux puits de forage car les anciens s'épuisent rapidement.

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur de l'article repris d'un média russe et traduit dans son intégralité en français.

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