Une Allemagne ingouvernable?

© REUTERS / Fabrizio BenschEl presidente de Francia, Emmanuel Macron, y la canciller alemana, Angela Merkel
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Les difficultés que rencontre Angela Merkel pour former un nouveau gouvernement après les élections du 24 septembre dernier sont la preuve que l'Allemagne traverse une crise politique particulièrement grave.

Le Président de la république, qui en Allemagne n'a qu'un rôle honorifique, a enjoint aux différents partis consultés de faire le maximum d'effort pour arriver à un compromis. Cela ne semble pourtant pas de nature à changer la situation. Cette crise a pour origine tant la politique par rapport à l'UE, et à l'Euro menée par Madame Merkel que sa politique à l'égard des « migrants ». Mais, cette crise aura aussi des conséquences importantes hors d'Allemagne et elle compromet durablement le projet du Président Français, Emmanuel Macron.

Un blocage politique

Rappelons d'abord la situation en Allemagne. Les élections législatives s'y font à la proportionnelle, avec une limite de représentativité de 5%. Normalement, c'est le chef du parti majoritaire, car dans ce système nul parti ne peut avoir de majorité absolue, qui est chargé par le Président de la République de former une coalition. Mme Merkel, dont le parti, ou plus précisément l'alliance de partis, car la CDU (présente en Allemagne du nord et de l'Est) et la CSU (présente surtout en Bavière et dans le sud de l'Allemagne) ne sont pas les mêmes partis, même s'ils sont historiquement alliés depuis des décennies, a remporté les élections avec 31% des voix, a donc été chargée à la fin du mois de septembre de former une coalition.

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Son précédent allié, le SPD, a refusé d'en faire partie. Présent dans la précédente coalition, il avait beaucoup souffert de cette dernière. Il était devenu, pour une partie de ses électeurs, illisible. Son score, aux élections du 24 septembre 2017, a été l'un des plus faibles depuis 1948. Il est donc clair qu'il ne veut pas s'allier à nouveau à Mme Merkel, en dépit des pressions qui se multiplient. Les réponses dilatoires de son chef ces derniers jours aux injonctions du Président de la République, lui-même un social-démocrate, montrent bien les réticences des cadres comme des militants.

La perspective d'une alliance entre la CDU-CSU, les libéraux du FDP et les « Verts » (Grunen), qui était l'une des pistes de travail de Mme Merkel, a achoppé sur les divergences entre ces partis. Les « Grunen » sont pour un fédéralisme européen, une position que refusent tant le « FDP » que la CSU. La CDU elle-même est divisée sur ce point. De même sur la question des « migrants », si les « Grunen » leurs sont très favorables, il n'en va pas de même de la CDU-CSU (qui a contraint la Chancelière à changer de positions ces derniers mois), tandis que le FDP a une position plus neutre.

Les options d'Angela Merkel

Mme Merkel peut, assurément, tenter de relancer les négociations avec le SPD. Mais, elle sait aussi que ce dernier parti ne veut pas d'une nouvelle cohabitation avec elle. Bien entendu, Mme Merkel peut compter sur l'appui du Président de la République qui, lui aussi, va exercer des pressions sur le SPD. Mais seront-elles suffisantes? On peut penser que non…

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Une autre solution possible serait un gouvernement minoritaire. C'est techniquement réalisable car, pour être renversée, Mme Merkel sait qu'un vote de confiance sur un autre nom de candidat au poste de Chancelier doit être réalisé. Et, si elle éprouve des difficultés à mettre au point une coalition, un problème identique se posera pour son adversaire potentiel… Donc, Mme Merkel pourrait gouverner sans majorité. Mais ce gouvernement ne pourrait pas faire grand-chose. Et c'est pourquoi elle n'est pas, elle-même, très favorable à cette option.

Enfin, elle peut provoquer de nouvelles élections. Le problème est que les sondages montrent que, pour l'instant, le choix des électeurs serait très proche de celui qu'ils ont exprimé le 24 septembre. Les gains des deux grands partis, la CDU-CSU et le SPD, sont minimes. Fors le cas d'une reconduction de la « grande coalition », le problème d'une alliance avec les « petits partis » resterait entier. Et, ce problème est aggravé par le fait que deux de ces partis, l'AfD (populiste) et Die Linke (gauche radicale) sont frappés d'exclusives, le premier par la CDU-CSU et le second par le SPD.

Une Allemagne ingouvernable?

Quel que soit le résultat des tractations de ces prochains jours, il est clair que l'Allemagne restera ingouvernable, et ce même si une coalition finissait par voir le jour. De fait, elle butte sur ce que l'on pourrait appeler une « triangle d'impossibilité », terme connu des économistes, sur la question de l'austérité, la question du fédéralisme européen et celle des migrants. A cela s'ajoute le problème posé par la personnalité même de Mme Merkel. Incontestablement une redoutable manœuvrière d'un point de vue tactique, elle a cependant perdu de vue les questions stratégiques fondamentales, et elle a trop promis et pas assez tenu dans sa dernière mandature.

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Elle ne survit, au sein de la CDU-CSU que parce qu'elle n'a pas de remplaçant crédible, et s'il en va ainsi c'est aussi qu'elle a tout fait pour qu'aucune figure susceptible de la remplacer n'émerge dans la CDU-CSU. Mais, elle est loin de faire l'unanimité dans sa propre alliance, et l'on peut penser que les « Sociaux-Chrétiens Bavarois » (la CSU) verrait son départ plutôt d'un bon œil. Il en va de même pour les libéraux du FDP et les populistes de l'AfD. Quant aux Sociaux-Démocrates du SPD, ils lui reprochent et son attachement à l'austérité et son opportunisme dont ils ont tant souffert. De fait, Mme Merkel ne peut compter réellement que sur une fraction de la CDU et des Grunen pour la soutenir. Cela fait peu. Encore une fois, son remplaçant potentiel aurait, à l'heure actuelle, un problème aussi difficile à régler. Mais, survivre faute de remplaçant n'est pas vivre…

Les conséquences internationales

Si l'Allemagne va donc être ingouvernable pour les mois à venir, et peut-être pour des années, les conséquences internationales doivent en être tirées. Emmanuel Macron, qui se verrait bien en successeur à l'échelle européenne de Mme Merkel est loin d'avoir fait ses preuves. Il est isolé, et sans crédibilité internationale. Son projet pour l'UE, qui est incontestablement un projet fédéral, va de plus se heurter à une fin de non recevoir de la part de l'élite politique allemande. Dès le début de l'année prochaine, il deviendra évident que les grands projets auxquels Emmanuel Macron à voulu attacher son nom ne se réaliseront pas. Même la cure d'austérité, à laquelle sa politique condamne la France, sera sans objet. Car, cette cure d'austérité a pour raison officielle la volonté de reconstruire la crédibilité européenne de la France afin que celle-ci puisse peser dans les choix européens à venir. Or, ces choix ont été largement pré-emptés par le résultat des élections allemandes de septembre dernier. Ils sont condamnés de fait par l'immobilisme dans lequel l'Allemagne, faute de ligne politique, va s'enfermer.

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Or, le projet d'Emmanuel Macron n'est pas le seul en lice. Les pays de l'ancienne Europe de l'Est, Pologne, Hongrie, Slovaquie voire République Tchèque, auxquels il faut ajouter désormais l'Autriche, sont en train de constituer une « front » qui s'opposera à toute avancée de l'UE vers le fédéralisme.

Cette situation de blocage va provoquer, probablement au printemps prochain, un renouveau de la crise de l'Euro. Car, fors l'hypothèse de la mise en place d'un réel budget fédéral (avec ce qu'il implique comme transferts de la part de pays comme l'Allemagne), l'Euro ne peut pas fonctionner. Toute remontée, même faible, des taux d'intérêts condamnera sans appel des pays comme l'Italie, l'Espagne ou le Portugal.

Ce qui se joue donc en Allemagne aujourd'hui va donc bien au-delà d'une crise politique traditionnelle. C'est l'existence de l'Union européenne qui est désormais en jeu.

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