«Il y a un plan. Malheureusement, dans ce plan, il y a quelques imprécisions. Selon une étude, il y aurait à peu près 17.000 personnes qui seraient aux prises avec ce type de camp où les personnes seraient vouées à un traitement lié à l'esclavagisme en Libye, mais pas seulement et parce que cela concerne aussi tout le parcours des migrants.»
Si Félix Tchicaya évoque donc le chiffre de 17.000 personnes, le président de la Commission de l'Union africaine a de son côté estimé à 3.800 le nombre de personnes présentes dans un camp proche de Tripoli et a indiqué qu'il en existait 42 autres, selon les autorités libyennes, soit un ordre de grandeur potentiel de 160.000 personnes. Pour impressionnants qu'ils soient, ces chiffres ne traduisent qu'une partie de la réalité, selon le chercheur en géopolitique:
«Tous les migrants sont concernés [par ces évacuations], donc cela va de 17.000 à 400.000 personnes. […] On ne pourra pas sortir des griffes de ces trafiquants seulement les 17.000 soumis à l'esclavage, mais tous ceux qui sont aux mains des trafiquants et des passeurs. Et là, cela se compte encore par milliers de migrants.»
«En termes d'urgence, c'est bien sûr ceux qui sont réduits en esclavage, mais ils [les politiques] verront très vite, que dans l'autre situation, la différence est très ténue, la maltraitance, les viols et autres exactions et tabassages, c'est très ténu, cela va concerner beaucoup plus de personnes.»
Ainsi, tout en reconnaissant une certaine hiérarchie dans l'urgence, notre expert s'interroge sur ces opérations d'évacuation. D'autant plus qu'elles interpellent sur les lieux choisis pour accueillir ces migrants en danger:
«La priorité va être donnée aux pays d'origine, donc de provenance des migrants. Après, tous les pays qui étaient autour de la table se disent prêts à prendre leur part, moi j'attends de voir.»
Doutant, une nouvelle fois, des solutions choisies pour régler le problème actuel en Libye, Félix Tchicaya estime qu'il fait traiter le problème à la source pour éviter que ces tragiques émigrations ne se renouvellent. Un raisonnement pragmatique, mais de long terme.
«Les pays qui étaient autour de la table, eux-mêmes [sans parler des pays en guerre, ndlr], ont à l'intérieur de leurs propres pays des problématiques qui ne sont pas réglées et qui poussent des centaines de milliers de personnes à quitter le pays.»
«Pour l'instant, ce n'est donc qu'un projet, parce que tout l'argent qui est recueilli passe par des canaux différents. Et ne serait-ce que sur le plan juridique, cette volonté va se heurter aux lois des différents pays concernés.»
Perplexe quant à la création d'une telle force militaire ou de police et critique quant à l'utilisation du terme «urgent», qui lui paraît «complètement abscons», Félix Tchicaya admet qu'il ne s'agisse que d'une première étape:
«Donc cette réunion d'urgence n'est qu'une réunion d'urgence et d'autres réunions doivent se succéder pour définir les moyens pour mettre en application ce plan.»
Notre expert demande ainsi plus de précision avant une quelconque opération qui devra être d'envergure pour éliminer les trafiquants d'esclaves, qui sont parfois des terroristes de l'État islamique, afin d'éviter que se reproduisent les mêmes erreurs dans ce même pays:
«Il faut absolument une intervention, mais il faut qu'elle soit beaucoup mieux coordonnée que celles qui ont été déjà faites en Libye. Mais une intervention qui soit revue et corrigée avec un changement de logiciel, de prisme et de paradigme.»
Félix Tchicaya considère enfin qu'au-delà du cas des migrants maltraités ou réduits en esclavage en Libye, c'est toute la question migratoire qui est à repenser des deux côtés de la Méditerranée:
«Si jamais il y a une intelligence politique qui émane de tout cela, cela va obliger l'UE et la France, l'UA et l'ONU, de revoir leur vision et leur philosophie politique du traitement du sujet migratoire.»