70 ans de silence: la Défense déterre le passé militaire d'une île-volcan des Kouriles

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52 km2 de terre déserte, un volcan actif et un cimetière aquatique de navires de guerre dans les eaux côtières - partout où l'on va, l'île de Matoua de l'archipel des Kouriles semble réserver un casse-tête irrésolu. Cette année, la Défense russe s'y est rendue pour examiner l'île de près, mais a-t-elle trouvé plus de réponses que de questions?

Bordée par la mer d'Okhotsk et par l'océan Pacifique, cette île de 52 kilomètres carrés réserve un flot de secrets depuis la Seconde Guerre mondiale et sa tirelire de questions sans réponse ne semble que s'enrichir suite à de nouvelles découvertes. Aujourd'hui inhabitée, Matoua était beaucoup plus animée dans les années 1940 et 1950 où elle abritait des garnisons des forces armées japonaises, mais maintenant son passé est enterré sous terre.

Matoua est superficiellement calme et verte, tandis que sa vraie vie se passait, il y a des décennies, sous terre. Jusqu'en 1875, l'île volcanique faisait partie de l'Empire russe, puis a été transmise au Japon en échange de la reconnaissance des droits de la Russie à Sakhaline. À Matoua habitaient les Aïnous, le peuple autochtone des îles Kouriles.

À travers les vents, le brouillard et les ondes de la mer, une expédition organisée par le ministère russe de la Défense et par la Société russe de géographie est partie pour Matoua afin d'explorer les fortifications, les fossés, la flore, ainsi que la faune océanique et insulaire. La route vers l'île est compliquée par des broussailles de laminaire et par un relief complexe du fond: une des possibles raisons des naufrages dans les alentours. Dans un film documentaire de la chaîne russe Zvezda, investigateurs, chercheurs, hydrobiologistes, plongeurs et spécialistes en matériel militaire, participant à l'expédition, présentent chacun leur morceau de réponse qui aidera peut-être à démêler le passé embrouillé de Matoua.

Terres fortifiées

Matoua a passé quelque 70 ans entre les mains japonaises jusqu'à ce qu'en 1946 elle ne devienne une région de la République socialiste fédérative soviétique de Russie (RSFSR), pour être ensuite une possession de la Russie après l'effondrement de l'URSS. Avant la guerre, les Japonais ont transformé Matoua en base militaire et plus précisément en «fourmilière», ayant creusé de nombreuses galeries souterraines. Les grottes, avec des crânes de renards à l'intérieur, pouvaient également servir de fortifications ou d'entrepôts. Depuis les airs, la surface est rayée d'une toile de fossés antichar.

L'île abritait artillerie, flotte, aviation, matériels de guerre et jusqu'à 8.000 militaires. L'expédition de la Défense russe y a retrouvé 86 abris fortifiés, ce qui n'est probablement pas le chiffre final.

À quoi servait la base pour les Japonais?

Les participants de l'expédition s'accordent: le plus intéressant reste sous terre. La capitulation résignée de la garnison japonaise en août 1945 a d'autant plus fait croire à ce que les Japonais avaient quelque chose sur lequel ils ne voulaient pas attirer l'attention. Si sur toutes les îles, les garnisons japonaises se battaient acharnement, Matoua a capitulé la dernière, mais sans résistance.

«Sa garnison s'élevait à 7.500 personnes et, ce qui est inhabituel pour l'armée japonaise, n'a aucunement résisté», avait déclaré en 2016 le commandant de la Flotte russe du pacifique, l'amiral Sergueï Avakiants. «Nous en avons tiré la conclusion que la garnison avait accompli sa mission principale, elle avait caché les traces et les choses qui pourraient révéler les vraies activités menées sur cette île».

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Selon le commandant, Matoua était une plateforme stratégique ayant un important rôle dans l'expansion ultérieure et la saisie du Kamtchatka. La vaisselle avec des symboles typiques de la famille impériale, découverte pendant la précédente expédition en 2016, signifie que le leadership japonais attachait une attention particulière à cette base dans le Pacifique.

Évacuer tout ce qui peut révéler leur secret et cacher (entendez, enterrer) tout ce qui est impossible à faire partir: ça devait être la règle des forces japonaises à l'époque. Au moins, cela explique le fait qu'environ 4.000 partisans et marins japonais, une soi-disant «équipe d'enterrement», sont restés sur l'île après la capitulation.

Volcans de Matoua: simples sommets ou «empires» souterrains?

Le pic Sarytchev est un volcan actif, entrant en éruption tous les 25 ans. Sa dernière éruption date de 2009 et son état actuel, au 21 novembre 2017, est décrit en ces termes: «activité modérée dans le sommet du cratère, coulées de lave».

Lors de l'expédition de 2016, un câble à haute tension a été retrouvé sur ses pentes. Depuis l'hélicoptère, on pouvait voir des entrées souterraines, avait constaté le commandant Avakiants.

CC0 / NASA / Sarychev Volcano editLe volcan Sarychev, sur l'île de Matoua, en éruption. Photo prise le 12 juin 2009.
Le volcan Sarychev, sur l'île de Matoua, en éruption. Photo prise le 12 juin 2009. - Sputnik Afrique
Le volcan Sarychev, sur l'île de Matoua, en éruption. Photo prise le 12 juin 2009.

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Actuellement, de vieux tuyaux recouverts d'herbes, plantés dans les pentes, confirment l'hypothèse des militaires et des chercheurs: autrefois, à l'intérieur de Sarytchev, tout près du foyer bouillant, une activité stratégiquement importante se déroulait.

Les participants de la dernière expédition ont fait exploser une partie d'une pente: un tunnel souterrain, le voilà, encore une miette du puzzle du passé. QG, dépôt d'armes qui ont disparu de l'île, laboratoire souterrain: reste à découvrir laquelle des théories est correcte.

Quoi qu'il en soit, en mai 2017, l'île inhabitée, accueillant seulement les membres d'expéditions qui y débarquent de temps en temps, a obtenu le statut d'endroit stratégique, vu le nombre suffisant de preuves.

Pourquoi des vaisseaux coulaient-ils à proximité de Matoua?

Parmi les navires qui ont fait naufrage non loin des côtes de Matoua figurent le sous-marin USS Herring, sans compter plusieurs vaisseaux japonais. Pour l'Herring, c'était son huitième et dernier voyage vers les Kouriles. D'après les archives, le sous-marin guettait les navires japonais et est parvenu à en couler quatre avant de partir lui aussi pour les profondeurs.

En juin 1944, le bâtiment américain a pris la décision de remonter, par peur du relief dangereux. Une fois à la surface, l'artillerie côtière l'a coulé avec 83 personnes à bord. Le commandement américain a appris cette information des journaux japonais.

Pour examiner l'état du sous-marin coulé, le navire de sauvetage Igor Belousov stationne dans la zone de naufrage. Les plongeurs constatent: les canons du submersible ne sont même pas en ordre de combat, donc il n'avait pas eu le temps de contre-attaquer. Les flancs du navire sont éventrés par les tirs.

Non loin de là, des débris du moteur d'un des vaisseaux de transport que le sous-marin avait noyé. Les plongeurs ont remonté à la surface un tableau avec l'inscription «Augsburg». En fait, les Japonais achetaient des moteurs diesel à l'Allemagne.

Détecter le sous-marin américain a été possible surtout depuis les airs. Il existe deux pistes d'atterrissage à Matoua, de 800 et 1200 mètres. Le début des travaux de construction date des années 1930 et ils ont été poursuivis par des militaires russes. La nouvelle piste a été bâtie de plaques métalliques perforées, sur les fondations d'antan.

«La piste métallique est prévue pour les territoires difficiles à atteindre où il est impossible de construire une piste en béton ou d'autres matières», a précisé à la chaîne Zvezda Igor Okhromenko, chef du service d'ingénierie aérienne.

Oui, la route vers Matoua devient plus facile, mais les découvertes sur cet espace insulaire, entouré de brouillard et de questions, semblent en poser davantage.
Il y reste des immeubles d'usage inconnu, avec des fours que les Japonais ne pouvaient pas chauffer avec du bois de l'île, les arbres étant inadéquates pour cela. Quel était alors leur moyen de chauffage? À quelles fins les bâtiments ont-ils été construits et utilisés?

Des géologues y viennent chercher de l'or et certains tunnels ressemblent suspicieusement à des mines d'extraction. Dans des eaux à +2°C se trouvent sans doute d'autres débris des flottes de l'époque de la Seconde Guerre mondiale. Sans parler d'espèces biologiques et botaniques uniques en leur genre. Visiblement, un grand travail fait encore face à ceux qui veulent savoir la vérité.

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