Romain Caillet: «En France, ils sont des milliers à souhaiter que Daech soit vengé»

© AP Photo / Seivan SelimSyrie
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Sulfureux, le chercheur Romain Caillet n’en reste pas moins l’un des meilleurs connaisseurs de la logique djihadiste. Son dernier essai, «Le combat vous a été prescrit», met à nu un phénomène d’autant plus important à comprendre qu’il s’est durablement implanté en France. Entretien.

Ils terrorisent les populations qui voudraient être Charlie, ils ont grandi dans l'Hexagone, mais rêvent d'un ailleurs, d'un ailleurs guerrier. Ils tuent au nom d'Allah. Nous parlons évidemment des djihadistes, qui nous obsèdent, mais restent pour le moins mystérieux ou incompris, bien que nous faisons directement face —depuis deux décennies et l'attentat du RER B à Paris en 1996- à cette menace.

Qui sont-ils? Sont-ils le produit de la société française ou d'une culture étrangère, arabo-musulmane? Dans l'absolu, que veulent-ils exactement? Et évidemment, que faire face à cet ennemi?

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Pour affiner notre analyse, nous recevons en studio Romain Caillet, l'un des meilleurs experts du djihadisme, mais aussi l'un des plus sulfureux puisqu'il a, durant sa jeunesse et comme il le dit d'ailleurs dans son ouvrage, entretenu des liens avec des djihadistes. En conséquence et indéniablement, il est donc devenu fin connaisseur des réseaux et, disons, de la «psychologie» djihadiste.

Romain Caillet vient de publier l'essai «Le combat vous a été prescrit», aux éditions Stock, avec le journaliste Pierre Puchot, passé par La Croix et Mediapart. Cet ouvrage retrace donc l'histoire du djihad en France, depuis 30 ans. C'est une longue enquête, où les sources policières, judiciaires et djihadistes se croisent.

Pour lui, le djihadisme n'est pas un «phénomène transitoire», il «s'est installé, et modifie en profondeur notre société». Mais à le lire, il est avant tout une histoire d'individus. Il dresse le portrait de nombreux djihadistes, pour retranscrire autant que possible leur état d'esprit et décrire les innombrables tendances djihadistes qui se confondent depuis 30 ans.


Extraits:

«J'avais un pied dans cette mouvance, sans y être: je n'étais pas complètement reconnu par les djihadistes comme l'un des leurs. Je m'en suis séparé à partir de 2007. Au fur et à mesure de mes recherches, j'ai parfois repris contact avec certains de mes amis, certains qui n'étaient plus mes amis, et il y a beaucoup de djihadistes, qui ont considéré en lisant mes travaux que j'étais honnête et m'apportent des informations, comme ils le feraient avec d'autres chercheurs… pour ce qui est des militants purs, les cadres moyens, c'est par période: paradoxalement, c'était plus simple de faire un entretien avec un leader avant la guerre en Syrie qu'avec un simple sympathisant. Le leader cherchait une médiatisation, tandis que le simple sympathisant veut rester discret. Maintenant, mes meilleures sources sont plutôt des sympathisants.»

Années 90


«Les années 90, c'est le début de la mouvance salafiste djihadiste. On ne lui donne pas encore ce nom, mais c'est le début. Avec le GIA, c'est aussi les premiers attentats en France. À ma connaissance, il n'y a pas de Français vétéran du djihad en Afghanistan. La mouvance était dirigée par les "blédards". Plus tard, il va y a voir un passage de témoin entre les "rebeus" et les "blédards". […] Le Salafisme, c'est la continuité du wahhabisme, lui-même continuité du Hanbalisme médiéval. Le djihad afghan contre les Soviétiques va provoquer une rencontre entre les Frères musulmans et ce salafisme d'origine saoudienne. Lorsque va éclater la guerre du Golfe, cette mouvance ne va pas supporter l'alliance entre les Américains et l'Arabie saoudite. Une crise va s'engager entre l'Arabie saoudite et les djihadistes —on le voit à travers la figure de Ben Laden.»

Internet

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«C'est l'endroit où se rencontrent les djihadistes. Il ne faut pas confondre le pilote et sa voiture: Internet c'est le mouvement de son temps. Les discours de l'imam Khomeini ont circulé par cassette audio. Chaque époque a sa technologie. Le développement d'Internet répond à un besoin: c'est dans la dynamique de l'après 11 septembre, il y a un rétrécissement de la liberté d'expression au Londonistan: à un moment de l'histoire du monde arabe, tous les opposants se sont regroupés à Londres. Les idéologues vont tous se réfugier à un moment à Londres. Les Français proches du GIA allaient souvent là-bas. Après le 11 septembre, le Londonistan se rétrécit et à ce moment arrive le Webistan qui va décupler la possibilité de libre expression pour les djihadistes. Ce sera justement le moyen d'accéder aux discours qu'ils n'entendent pas dans les mosquées. Il reste qu'il y a eu quelques mosquées, jusqu'à une période récente, avec des imams proches de la mouvance djihadiste.»

Des talibans à l'État islamique

«Finalement, l'État islamiste va progressivement prendre la place d'Al-Qaïda comme groupe global et déterritorialisé avec la fondation du Califat. Une des hypothèses de notre livre est que l'État islamiste a anticipé une perte de territoire et compris que c'était vital de prendre la place d'Al-Qaïda comme groupe international et global. Le moyen de le faire était d'utiliser comme slogan le Califat. Le jour où l'EI proclame la restauration du Califat, il incite tous les groupes à leur faire allégeance. Depuis Charlie Hebdo, pas un seul attentat, sauf Moscou, n'a été revendiqué par un groupe proche d'Al-Qaïda. Aujourd'hui, clairement, le groupe djihadiste qui est dans une logique de confrontation globale, c'est l'État islamique. Al-Qaïda est dans une logique de régionalisation.»

Un djihadisme efficace

«Mérah est le premier projet terroriste qui réussit depuis les années 90. (…) Là, des jeunes de banlieue ont une expérience de la criminalité et c'est ça qui fait leur force. Dans ceux qui ont réussi à commettre des attentats, c'est quasiment toujours le même profil: un jeune issu de l'immigration avec un gros passé judiciaire. Pourquoi? C'est plus simple quand on a une expérience de la criminalité, de vous procurer des armes sans attirer les soupçons. Dar El-Islam, l'ancien magazine en langue française de l'EI, disait "faites-vous passer pour des jeunes qui veulent préparer un casse". Ils connaissent déjà les codes, les réseaux pour se procurer des armes, et une semi-expérience de la clandestinité. Il y a une certaine efficacité de ce profil… il ne faut pas verser dans le misérabilisme "ce sont tous des ratés", mais plutôt dans: qui sont ceux qui réussissent à commettre des attentats? Il y a des djihadistes qui ont des antécédents psychiatriques, mais on exagère sur cet aspect pour éviter de se poser des questions…»

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​«Le danger de la menace intérieure est très présent en France, car l'État islamique n'a pas été vaincu idéologiquement. Ils sont des milliers à souhaiter qu'il soit vengé. Même si ça rate souvent, lorsque ça réussit, ça peut avoir des conséquences terribles. Ce livre est une synthèse de nos idées et parfois de nos divergences [avec mon coauteur]. Les attentats dévastateurs de 2015 et 2016 sont le résultat de la convergence de la haine portée envers la France par des jeunes qui détestent leur société et ont la volonté de la frapper et une organisation terroriste avec des moyens tentaculaires qui a décidé de placer la France sur son agenda après les frappes de la coalition. Pourquoi cette haine? À gauche, certains diront que c'est parce qu'ils sont stigmatisés. Certains, plutôt de droite, qu'ils sont aussi responsables de leur situation. Je ne rentre pas là-dedans, je constate que cette haine est présente.»

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.

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