Nord Stream 2: agneau immolé sur l’autel politique?

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La compagnie gazière russe Gazprom et ses partenaires européens persistent dans la construction du gazoduc Nord Stream 2, qui doit être achevé vers la fin de 2019, malgré les nombreux bâtons mis dans ses roues. Nord Stream 2, parviendra-t-il à parer à cette résistance?

Les nuages s'accumulent autour de Nord Stream 2. La semaine dernière le parlement danois a adopté une loi susceptible de bloquer la construction du gazoduc Nord Stream 2 censé relier la Russie à l'Allemagne par la mer Baltique, en doublant le gazoduc Nord Stream 1 lancé en 2011. Le doute concernant l'éventuelle construction du gazoduc a été alimenté par la déclaration du porte-parole du Département d'État américain, selon lequel le gazoduc ne serait pas construit. Auparavant la Commission européenne avait jugé ce projet «inutile» suite à la possible baisse de la consommation du gaz en Europe vers 2030. Néanmoins, Gazprom ainsi que ses cinq partenaires européens (le français Engie, l'anglo-néerlandais Shell, les allemands Uniper et Wintershall, et l'autrichien OMW) poursuivent la construction du gazoduc qu'ils considèrent avantageux sur le plan économique.

Gazprom garde le cap

La loi adoptée par le parlement danois le 30 novembre accorde au Ministère des Affaires étrangères de ce pays européen le droit d'interdire la construction du gazoduc dans les eaux territoriales danoises pour des raisons de sécurité nationale. La nouvelle loi, qui doit entrer en vigueur le 1er janvier 2018, ne signifie pas que le Danemark bloquera automatiquement la construction de Nord Stream 2, mais elle lui donne plus de raisons juridiques de le faire. Auparavant, elle ne pouvait évoquer que des considérations écologiques pour refuser l'octroi du permis de construire dont la demande a été déposé par la société de gestion de Nord Stream 2 en avril dernier.

«Il s'agit de l'établissement d'un gazoduc très important entre la Russie et l'Europe, ce n'est pas une question qui concerne le Danemark seul», a jugé le ministre danois de l'Energie et du Climat, Lars Christian Lilleholt.

© Sputnik . Ramil Sitdikov / Accéder à la base multimédiaAlexei Miller, directeur général de Gazprom
Alexei Miller, directeur général de Gazprom  - Sputnik Afrique
Alexei Miller, directeur général de Gazprom

Le porte-parole de Gazprom Sergueï Kupriyanov a déclaré que le géant gazier russe n'avait pas d'inquiétudes concernant les possibles conséquences de la nouvelle loi danoise.

«Nous sommes tranquilles comme des éléphants et nous ne nous inquiétons pas à ce propos. Pour parler sérieusement, nous verrons quelles décisions concrètes seront prises. Nous allons suivre le déroulé des évènements et les décisions qui seront prises par le Danemark à ce sujet», a dit M. Kupriyanov.

Gazprom pourrait ainsi altérer la route de Nord Stream 2 pour contourner les eaux territoriales du Danemark, si la construction du gazoduc y est interdite.

L'UE: s'affirmera-t-elle face aux États-Unis?

À la veille de l'adoption de la loi par le parlement danois, une autre nouvelle concernant Nord Stream 2 est arrivée des États-Unis. Un représentant du Département d'État, John McCarrick, a déclaré qu'il ne voyait «aucune possibilité que Nord Stream 2 soit construit».

«Il y a une variété de raisons pour lesquelles cela ne doit pas se passer… La principale est que nous sommes contre», a expliqué le diplomate américain.

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Cette déclaration n'est pas passée inaperçue en Europe. Le ministre des Affaires étrangères allemand, Sigmar Gabriel, a exhorté l'Europe à devenir «un acteur qui compte» face aux États-Unis, y compris en ce qui concerne les sanctions antirusses et la construction de Nord Stream 2.

© Sputnik / Accéder à la base multimédiaUn méthanier (image d'illustration)
Un méthanier (image d'illustration) - Sputnik Afrique
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Les États-Unis, qui semblent vouloir frayer le chemin pour leur gaz naturel liquéfié sur le marché européen, entreprennent des initiatives unilatérales afin de nuire au projet russo-européen. Début août, Donald Trump a promulgué la loi imposant de nouvelles sanctions sur le secteur énergétique russe. Bien que ces sanctions n'aient pas eu de répercussions pour Nord Stream 2, elles ont suscité l'indignation de l'UE comme étant capables de léser les compagnies européennes qui investissent dans ce projet. 

«Nous sommes préparés: nous devons défendre nos intérêts économiques et nous le ferons», a déclaré le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker.

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Moscou met les points sur les i concernant l’affaire du Nord Stream 2
Les nouvelles sanctions américaines ont également provoqué la réaction des compagnies européennes concernées.

«Il s'agit d'une ingérence assez spectaculaire et inacceptable dans les affaires européennes», a jugé Isabelle Kocher, directrice générale d'Engie.

Mais s'ingérence des États-Unis semble être un facteur qui soude l'UE, en réalité elle est en proie à une lutte interne entre les partisans et les opposants de Nord Stream 2.

Le gazoduc de discorde pour l'UE

Le projet du gazoduc Nord Stream 2, annoncé en 2015 sur fond des possibles conséquences de la crise ukrainienne pour l'approvisionnement des pays européens en gaz, a divisé l'UE en deux camps. Le premier inclut les partisans du projet comme l'Allemagne, la France, l'Autriche, les Pays-Bas et le Royaume-Uni dont les compagnies énergétiques participent à la construction du gazoduc.

Nord Stream 2 permettrait de relier la Russie et l'Europe sans passer par aucun pays de transit, ce qui augmenterait la sécurité d'approvisionnement, selon les soutiens du projet.

«L'Europe est sûre que des livraisons supplémentaires du gaz russe sont nécessaires car sa propre production baisse. À cet égard, Nord Stream 2 est un bon projet puisqu'il garantira une augmentation de la sécurité des approvisionnements et accordera des conditions intéressantes aux consommateurs européens», a expliqué un représentant d'OMV.

La chancelière allemande a, à son tour, souligné que Nord Stream 2 était «un projet commercial». Le gazoduc permettrait d'acheminer plus de gaz russe vers l'Allemagne et la France qui entendent réduire la part du nucléaire dans leurs mix énergétiques.

© Sputnik . Grigoriy Syssoev / Accéder à la base multimédiaLe lancement de Nord Stream 1, le 8 novembre 2011
Le lancement de Nord Stream 1, le 8 novembre 2011 - Sputnik Afrique
Le lancement de Nord Stream 1, le 8 novembre 2011

Leurs opposants sont principalement les pays est-européens qui perçoivent la construction comme une menace tout aussi bien pour leur sécurité nationale que pour celle de l'UE. Si une fois construit, le gazoduc Nord Stream 2 doublera la capacité de Nord Stream 1 et permettra donc d'acheminer 80% du gaz russe dirigé vers l'Europe. Selon les pays de l'Europe de l'Est, cela contredit la politique de diversification menée par l'UE.

Treize membres de l'UE s'opposent officiellement au projet. La Pologne est l'un des plus fervents adversaires de Nord Stream 2, qui contournera son territoire et augmentera sa dépendance au gaz russe fourni depuis l'Allemagne. Ce pays accuse la Russie d'utiliser ses fournitures de gaz en Europe à des fins politiques. Le gazoduc Nord Stream 1 reliant la Russie et l'Allemagne depuis 2011 a été comparé par Radek Sikorsi, le ministre des Affaires étrangères polonais de l'époque, au pacte Molotov-Ribbentrop, le pacte de non-agression conclu entre l'URSS et l'Allemagne à la veille de la Seconde Guerre mondiale.

«La continuation de ces investissements menace non seulement l'indépendance de l'Europe Centrale et de l'Est, mais elle mine aussi la sécurité énergétique de toute la région», a déclaré la Première ministre polonaise Beata Szydlo lors du sommet de l'UE en octobre dernier.

La position des opposants du projet s'explique aussi par la peur de perdre les revenus du transit du gaz. C'est le cas de l'Ukraine qui bénéficie du soutien politique de l'UE.

Le transit ukrainien dans le viseur

Le besoin de construire un nouveau gazoduc passant par la mer Baltique s'explique par la précarité du transit ukrainien qui constituait un élément essentiel du statut géopolitique de l'Ukraine et lui donnait un levier dans ses relations avec la Russie et l'UE.

Selon le patron de Gazprom, Alexeï Miller, les risques du transit du gaz vers l'Europe en passant par l'Ukraine étaient très hauts car il n'était pas sûr que l'Ukraine puisse respecter ses engagements de transit si elle n'avait pas assez de réserves pour satisfaire la demande interne. De plus, le vieillissement de l'infrastructure présentait également un défi.

© Sputnik / Accéder à la base multimédiaGazprom et Naftogaz ont signé un accord sur le transit du gaz, le 19 janvier 2009
Gazprom et Naftogaz ont signé un accord sur le transit du gaz, le 19 janvier 2009 - Sputnik Afrique
Gazprom et Naftogaz ont signé un accord sur le transit du gaz, le 19 janvier 2009

L'Ukraine a déjà coupé le flux du gaz russe vers l'Europe à deux reprises: lors des hivers de 2006 et de 2009. Suite à ces incidents, la Russie et ses partenaires européens ont procédé au développement des routes alternatives contournant le territoire ukrainien ce qui a fait chuter le transit ukrainien de 100 mmc à 50-70 mmc par an. La construction de Nord Stream 2 et de Turkstream, un gazoduc qui relierait la Russie et la Turquie par la mer Noire, permettrait à la Russie de contourner l'Ukraine et de renoncer totalement au transit ukrainien.
Il y a aussi une raison économique pour renoncer au transit ukrainien. En 2016, l'Ukraine a augmenté les tarifs pour le transit du gaz russe ce qui tire les prix pour les consommateurs européens vers le haut et justifie la construction de Nord Stream 2.

Le destin de Nord Stream 2 sera donc exemplaire et crucial pour les relations russo-européennes. Il permettra de juger si l'UE en est réduite à sacrifier les intérêts de ses compagnies et à réécrire ses lois à des fins politiques, ainsi que de voir si l'UE a le courage d'agit indépendamment des États-Unis sur la scène internationale.

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.

 

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