Tunisie, paradis fiscal, «derrière cet acharnement, la France et l’Italie»

© Sputnik . Natalia Seliverstova / Accéder à la base multimédiaTunisie
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Inscrite sur la liste noire des paradis fiscaux par l’UE, la Tunisie affiche son mécontentement. S’indignant d’être mis dans le même sac que certaines destinations fiscales exotiques, Tunis doit manœuvrer sans céder sur les avantages à l’exportation, qui constituent le socle d’une économie bien réelle. Analyse.

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La Tunisie, paradis fiscal? La nouvelle a stupéfié l'opinion publique tunisienne, qui avait d'un paradis fiscal l'image d'un hamac posé entre deux palmiers sur une plage de sable fin, refuge ultime des rescapés de l'impôt sur la fortune. On savait bien que le pays regorgeait de sites touristiques paradisiaques. Mais de là à se faire inscrire sur la même liste que les îles Marshall ou Sainte Lucie, il y a un monde.

«C'est vrai que ce classement peut sembler excessif et même un peu injuste à première vue, puisque ce qui est visé par l'Union européenne (UE), ce sont des avantages fiscaux octroyés par la Tunisie, alors que certains autres blacklistés sont carrément des comptoirs de blanchiment d'argent. C'est pourquoi cela a été mal pris en Tunisie», a déclaré à Sputnik, Hassine Dimassi, ancien ministre tunisien des Finances.

Le 5 décembre, les 28 ministres des Finances de l'UE ont adopté à Bruxelles une liste noire de 17 paradis fiscaux, comprenant donc la Tunisie. Principale mesure ciblée, les avantages fiscaux octroyés à des entreprises exportatrices offshore, dont des multinationales installées en Tunisie. «La Tunisie n'est pas un paradis fiscal!», a assené le 7 décembre, le chef du Gouvernement Youssef Chahed, dans une déclaration à la presse locale. «L'économie tunisienne est basée sur l'exportation, réelle et effective, qui a créé de l'emploi. Plus de 400.000 emplois aujourd'hui proviennent des sociétés exportatrices», a ajouté Chahed.

«La Tunisie est engagée depuis les années 70 dans cette politique d'incitation à l'investissement, avec un taux d'imposition qui est de l'ordre de 10% aujourd'hui. Ce n'est donc pas un fait nouveau et puis c'est une politique légitime pour un pays dont l'économie est tournée vers l'exportation», a ajouté l'ancien ministre des Finances,

qui compare cette situation avec «la vocation dédiée à l'évasion fiscale» d'autres blacklistés.
Côté européen, la fameuse liste vise, par la lutte contre les flux de délocalisations fiscales, un double objectif: créer de l'emploi en Europe et maintenir le couvercle vissé sur la marmite de la balance commerciale.

«Derrière cet acharnement, la France et l'Italie», accusera, de son côté, un responsable au ministère tunisien des Finances à Sputnik.

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Selon notre interlocuteur, les premiers seraient mécontents de la fuite de beaucoup de leurs entreprises, qui ont délocalisé vers la Tunisie, notamment dans le domaine du textile, et du manque à gagner en recettes fiscales qui en découle. Pour les Italiens, ce serait aussi la délocalisation, en plus de la lutte contre le blanchiment d'argent, qui serait en jeu.

Nonobstant une circulaire de la Banque centrale tunisienne (BCT), datant de septembre dernier, et adressée aux banques et établissements financiers pour mieux gérer les risques de blanchiment d'argent et de financement du terrorisme, «il existe des failles», reconnaît-on au gouvernement tunisien.
«En vertu d'une précédente circulaire et pour canaliser les flux monétaires importés en cash dès la chute du régime de Kadhafi, les Libyens sont toujours autorisés à détenir des comptes auprès des banques tunisiennes et à les alimenter en devises étrangères liquides», explique notre contact au ministère des Finances tunisien, avant d'ajouter:

«Comme il y a un peu plus de contraintes pour d'autres ressortissants, notamment de l'UE, on observe curieusement, et de plus en plus, des partenariats impliquant Libyens et Italiens.»

Que la décision de l'UE d'inscrire Tunis sur sa liste noire soit injuste ou pas, on reconnaît aujourd'hui qu'il y a eu «un manque d'empressement» à réagir de la part des autorités tunisiennes. Les Européens ont adressé un questionnaire au gouvernement tunisien, qui a été renseigné et complété avec insuffisamment de promptitude.

De fait, des pays offrant des avantages fiscaux —en plus du maintien de diverses formes de secret bancaire- autrement plus importants que ceux de la Tunisie, se sont épargnés les foudres de Bruxelles en présentant à temps des engagements à réviser leurs politiques. C'est le cas du Maroc, qui a échoué sur une liste «grise». Le Qatar, lui, n'a pas daigné présenter le moindre engagement, mais son nom n'apparaît pas dans la liste.

Ce qui souligne aussi «l'aspect politique» de cette décision européenne, selon Hassine Dimassi, c'est que «des pays de l'UE à qui on pouvait légitimement reprocher des facilitations fiscales ne semblaient pas du tout dans le viseur».

Un point de vue que rejoint Antoine Chudzik, conseiller régional de Bourgogne Franche-Comté et assistant parlementaire de Sophie Montel, députée européenne (groupe EFDD): «la construction européenne s'est faite autour de la suppression des barrières, ce qui a permis aux entreprises de maximiser leurs profits», explique-t-il.

«Que de fois j'ai entendu des députés européens vanter les bienfaits de la concurrence fiscale comme quelque chose de sain pour l'économie européenne! Qu'on vienne aujourd'hui s'étonner des délocalisations ou des optimisations fiscales parce que les entreprises ont fait le choix d'autres pays, je trouve cela totalement hypocrite» a déclaré à Sputnik ce responsable politique.

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Peu après la décision de l'UE, les réunions se sont succédé dans les départements ministériels tunisiens et jusqu'au sommet de l'exécutif. Le chef du gouvernement a rencontré, le 7 décembre, l'ambassadeur de l'UE, Patrice Bergamini, qui avait convoqué, pour le jour même, l'ensemble des ambassadeurs des pays membres de l'UE en Tunisie pour une réunion urgente.

Si l'inscription sur la liste noire ne prévoit pas de sanction immédiate, cette mise à l'index reste dangereuse pour un pays qui fait de l'attractivité en termes d'investissement un cheval de bataille pour réanimer une économie en crise, d'après l'ancien ministre des Finances, qui estime, en outre, que

«Si on n'arrange pas les choses rapidement, cela peut détourner les investisseurs étrangers de la Tunisie. Des conséquences sur la contraction de nouveaux emprunts ou même sur les aides qui pourront être allouées, sont attendues. Bref, cela peut coûter très cher à la Tunisie.»

De fait, l'UE qui est, de loin, le premier partenaire de la Tunisie a octroyé à ce pays, sur les cinq dernières années, près de 3,5 milliards d'euros (dons et prêts confondus). Une raison suffisante pour «ne pas rompre le dialogue avec l'UE». Autrement, «ce serait suicidaire», selon Dimassi.

Mais les Tunisiens estiment tout de même bénéficier d'une marge de manœuvre considérable dans ce bras de fer avec l'UE. Pour ne pas céder sur cette question d'intérêt national, ils pourront faire jouer l'étroite collaboration entretenue avec la rive nord de la Méditerranée sur des dossiers aussi sensibles que l'immigration ou le terrorisme. Autant d'éléments qui pourront entrer en négociation avant une autre réunion des ministres des Finances de l'UE, prévue à Bruxelles au mois de janvier 2018.

«Pour une économie tournée vers l'exportation, doubler ou même augmenter considérablement les taux d'imposition est hors de question. Il peut y avoir toutefois d'autres concessions, comme l'engagement sur le respect des normes de l'OCDE en matière d'échanges de données fiscales», a indiqué à Sputnik un haut fonctionnaire proche du dossier.

Cette convention concernant l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale, signée en 2012 par la Tunisie et ratifiée deux ans plus tard, permet, entre autres choses, de déclencher un redressement fiscal même à l'encontre d'une entreprise domiciliée à l'étranger.
Un droit de suivi, un pis-aller, en somme, faute d'avoir pu la retenir.

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