Entre nouvelle métallurgie et chercheurs-stars: l'innovation selon les universités russes

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Toutes les innovations nécessitent un financement, et ce dernier peut s'étaler sur un an jusqu'à plusieurs décennies. Dans ces conditions, il est relativement difficile de développer des domaines qui demandent un capital élevé- la métallurgie par exemple.

Mikhaïl Filonov, vice-recteur pour la science et les innovations de l'Université nationale de science et de technologie MISiS, explique comment cette grande université surmonte les obstacles en cherchant comment construire de nouveaux laboratoires, recruter des célébrités scientifiques et réaliser des projets innovants inédits dans les domaines coûteux.

- Monsieur Filonov, les chercheurs du MISiS développent actuellement des innovations dans différents domaines. Mais il reste également la sphère métallurgique, traditionnellement importante pour votre université depuis l'époque soviétique, qui a cruellement besoin de modernisation. Parvient-on à progresser dans ce sens?

— Le MISiS dispose d'un pool de partenaires industriels: les compagnies RUSAL, OMK, Nornikel, Severstal et NLMK avec lesquelles nous avons pu mettre en place une coopération. Nous recevons régulièrement leurs cahiers des charges pour réaliser différents projets. Un exemple concret: ces dernières années, un groupe de travail du MISiS a travaillé à la mise au point d'une technologie de production d'oxyde d'aluminium de haute pureté. Ces travaux ont débouché sur une commande de RUSAL concernant un projet d'obtention d'oxyde d'aluminium, ainsi que d'autres portant sur 10 à 15 autres projets de la compagnie.

Un autre projet du MISiS commercialisé avec succès est l'uniforme conçu par nos collaborateurs pour les pompiers du ministère des Situations d'urgence, capable de résister à des températures jusqu'à 800°C. Les fibres thermorésistantes de l'uniforme résistent à une flamme directe jusqu'à 1200°C et à l'impact de puissants champs magnétiques et composés chimiques.

- Parvient-on à convaincre les investisseurs privés de réaliser des investissements à aussi long terme?

— Nous pouvons nous vanter d'avoir créé le premier prototype d'essai du four Vanioukov, véritablement unique.

Il s'agit d'un four de fusion autogène pour transformer les métaux non ferreux. La fusion a lieu dans un bain de mat-scories du four alimentée activement par un mélange air-oxygène. Son analogue dans la métallurgie ferreuse — le four Romelt — est également une invention des chercheurs du MISiS. Le four Romelt a été construit à Lipetsk dans les années 1980 pour transformer les métaux ferreux.

Nous avons accompli ce projet révolutionnaire dans le secteur métallurgique précisément grâce à des investissements privés. Le nouveau four créé aujourd'hui est une évolution de la technologie Romelt. Il n'est pas monozone mais bizone, combine la fusion réductrice et oxydante, et fonctionne comme un barboteur. Soit deux processus réunis en un seul cycle. Entre 200 et 250 millions de roubles (2,8-3,6 millions d'euros) ont été investis dans ce four de deux mètres dont la construction à partir de zéro — séparément de l'usine métallurgique — demanderait 1 milliard de roubles (14 millions d'euros).

Sa vocation et son avantage concurrentiel sont la possibilité qu'il offre de transformer les scories et les déchets toxiques de la production métallurgique et chimique. Il est également possible d'utiliser du charbon de basse qualité. Son coefficient d'efficacité est inférieur par rapport à un haut-fourneau, mais ce dernier ne peut pas transformer les scories et les déchets. Aujourd'hui que l'unique prototype au monde existe, il est possible de construire un grand appareil pour prendre en charge le traitement des déchets. C'est un ticket vers l'avenir parce que toutes les usines métallurgiques sont étouffées par l'impossibilité de stocker leurs déchets.

- Est-ce qu'hormis les scientifiques russes, des chercheurs étrangers de niveau international participent également aux travaux du MISiS?

— Chez nous travaillent aussi bien les diplômés de l'université qui figurent au classement mondial des citations que des grands chercheurs de notre époque qui travaillaient complètement à part jusqu'à présent. Récemment, le président de la grande université japonaise Josai, Akihisa Inoue, a été nommé à la tête d'un laboratoire du MISiS. Il a découvert les matériaux à base de verres métalliques volumiques. L'indice h (qui permet de quantifier la productivité scientifique et l'impact d'un scientifique en fonction du niveau de citation de ses publications) de ce chercheur est de 116 — c'est un niveau très élevé dans tous les pays. (photo d'Akihisa Inoue)

- Oui, nous savons que l'indice h le plus élevé chez les Russes revient au physicien Rouslan Valiev (h-86) qui travaille également avec vous. Comment a-t-on réussi à créer des conditions intéressantes pour de telles personnes?

— Nous avons mise en place une infrastructure moderne. Nous avons réussi à créer un environnement confortable: dans le centre de Moscou, un bon campus, des équipements sur lesquels ils sont habitués à travailler dans leurs universités, un milieu anglophone. Par exemple, Akihisa Inoue travaille avec les verres métalliques, les matériaux magnétiques souples (capables de se remagnétiser sans consommer beaucoup d'énergie) pour réduire considérablement la consommation d'électricité. Nous avons créé pour lui des conditions telles qu'il travaille chez nous plus de quatre mois par an.

- Comment avez-vous pu lui offrir un salaire compétitif?

— Avec l'aide du programme fédéral révolutionnaire 5-100. Pour nous, ce programme a ouvert la porte de l'avenir. On peut dire que ce n'est pas de l'argent gaspillé mais de l'"argent de développement". En comparaison avec tous les autres programmes fédéraux, le projet 5-100 permet d'acheter des équipements, d'inviter un grand chercheur de haut niveau et de construire de nouveaux laboratoires. De plus, l'argent du 5-100 permet de créer son propre agenda scientifique et de le faire correspondre avec l'agenda mondial. Ce programme nous apporte près de 70% des publications en tête de classement qui mettent en valeur le MISiS sur le fond général, et nos nouveaux laboratoires sont une locomotive pour toute la science russe. Nous faisons déjà partie du top-100 pour la métallurgie, les ressources minières, et du top-200 pour la science des matériaux.

- Qu'en est-il du développement des technologies numériques au MISiS?

— Nous voulons devenir un centre de compétences pour les compagnies et les organismes publics pour l'intégration des technologies de chaîne de blocs dans le domaine de l'administration publique. C'est un nouveau projet de l'université en coopération avec Vnechekonombank. Notre nouveau centre a réuni les principaux experts mondiaux et praticiens russes pour mener les premiers projets sur la base des technologies de chaîne de blocs dans différents secteurs de l'administration publique: de l'enregistrement des transactions immobilières au suivi des chaînes de livraison de médicaments. Les premiers partenaires et résidents du Centre sont les compagnies internationales Ethereum, Bitfury, Waves, E&Y et PwC. A l'heure actuelle on développe plusieurs nouveaux projets qui pourraient garantir un avenir autonome et sûr à la Russie dans le domaine des technologies numériques.

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