Best of 2017: quand les médias votent contre le ni-ni

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Si les médias se parent des vertus de l’objectivité, la campagne présidentielle de 2017 en a clairement montré les limites. Ainsi, le peu de popularité du FN dans les rédactions parisiennes est-il de notoriété publique, ce qu’elles ont démontré dans leur chasse au «ni-ni». Retour sur une campagne où les médias ont pesé de tout leur poids.

[texte initialement publié le 27/04/2017 avec les titre et chapô suivants:]

Ces médias qui traquent les partisans du «ni-ni»

Pour une certaine presse, le «ni-ni» c'est l'ennemi. Les électeurs de candidats qui n'ont pas clairement appelé à voter contre Marine Le Pen sont l'objet de toutes les attentions, notamment des médias. Articles et éditos culpabilisants, les argumentaires de 2002 sont appliqués dans un contexte pourtant bien différent.

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Depuis lundi matin, abstentionnistes, partisans du «ni-ni» ou ceux qui ont fait le déplacement jusqu'aux urnes pour exprimer leur désaveu du panel de présidentiables à coups de votes blancs doivent avoir les oreilles qui sifflent. Si on savait les électeurs du FN dénigrés ou psychiatrisés depuis des décennies, c'est visiblement à présent au tour de ceux qui n'ont pas publiquement clarifié leur intention de voter contre le FN- ou en faveur d'Emmanuel Macron- d'être directement pris à parti par certains «observateurs».

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Ces médias qui traquent les partisans du «ni-ni»
Le moins que l'on puisse dire, c'est que leur cible est toute désignée: devant Nicolas Dupont-Aignan ou François Asselineau, c'est Jean-Luc Mélenchon- et son électorat- qui est enjoint de clarifier sa position face au FN. Fer-de-lance de cette charge contre le candidat de la «France insoumise», les médias marqués à gauche. On retrouve, par exemple, dans le tabloïd Libération (propriété de Patrick Drahi, ami et soutien de la première heure d'Emmanuel Macron) des titres sans équivoque tels que «Jean-Luc Mélenchon, un silence écrasant» ou encore une lettre ouverte d'un étudiant militant de la France insoumise qui s'indigne de la non-prise de position de son champion.

L'Obs (propriété de Pierre Bergé, Xavier Niel, Matthieu Pigasse, amis et soutiens de la première heure d'Emmanuel Macron) ne semble pas pardonner à l'ancien ministre de Lionel Jospin de ne pas avoir donné de consigne de vote claire. Des chroniques, telle que «Et pourtant, je voterai Macron, par Raphaël Glucksmann» font flores, justifiant sa démarche de «stigmatiser» le «ni-ni» aujourd'hui, comme lors qu'il était «l'apanage d'une partie de la droite». De manière moins subtile, dans «Mélenchon, sans-culotte ou sans c…?», Sylvain Courage explique que Mélenchon n'ayant pas donné de consigne de vote «révèle ainsi la nature antidémocratique de son projet.»

Dans L'Huma, un dessin de Jul joue sur la carte de la culpabilisation: sa légende?

«Les réfugiés seront les premières victimes de l'abstention… Le 7, votez pour battre Le Pen!»

Mais les médias plus marqués à droite ne sont pas en reste. On retrouve ainsi dans Le Point un édito de Michel Richard intitulé: «Pour Mélenchon, un banquier égale un fasciste». Le directeur délégué de la rédaction de l'hebdomadaire y décrit le non-positionnement public du candidat de la France Insoumise: il «entre dans une pathétique cure de silence!» avant de conclure ainsi «Et, aujourd'hui, soudain, le mystère de cette panne. Cette extinction de voix. Ce silence pathétique, comme si rien, finalement, ne lui importait vraiment.»

Les lignes éditoriales de certaines rédactions sont encore plus claires, comme Marianne qui titre sobrement, sur une photo d'Emmanuel Macron «Le Rempart»

​Ou encore comme celle de Society, magazine bimensuel pour «hipsters», dont la dernière Une laisse peu de place à l'abstention. On peut y voir deux bulletins: «Marche» ou «Crève»:

​Dans ses colonnes, Thierry Vedel, chercheur au Cevipof (Centre de recherche politique de Sciences Po) et professeur de communication politique décrypte- avec justesse- les stratégies à adopter par chaque candidat «Macron n'a quasiment rien à faire, son seul risque serait une abstention élevée, donc il voudra peut-être dramatiser un peu l'enjeu pour que les gens se déplacent.»

D'autres rédactions affichent publiquement leur parti-pris «La neutralité des journalistes n'existe pas. Oui, nous sommes anti-FN. Point final.» Tweete Louis Lepron, rédacteur en chef du Konbini.

​Le service public n'offre pas un meilleur visage, comme France Inter, où l'humoriste Pierre-Emmanuel Barré est allé jusqu'à démissionner de son poste de chroniqueur après s'être fait retoquer son dernier billet d'humeur où il défendait le point de vue des abstentionnistes. «Trente minutes avant ma chronique, ils n'étaient pas d'accord avec l'idée générale. Pourtant, j'ai fait bien pire,» explique-t-il au Parisien, estimant avoir été censuré.

Une censure que dément le producteur de l'émission, Nagui «Qu'il casse Macron ou Le Pen, ok. Mais qu'il encourage l'abstention, c'est faire le jeu du FN», ajoutant «je lui ai finalement proposé de faire sa chronique demain (jeudi) sans changer une ligne. Et moi, j'aurais ajouté un mot pour dire d'aller voter.» Finalement diffusé sur internet par l'humoriste, le sketch a été visionné plus de 5 millions de fois en moins de 24 h.

François-Bernard Huyghe, Directeur de recherche et Responsable de l'Observatoire Géostratégique de l'Information à l'IRIS, salue le courage de l'humoriste. Il appelle à ne pas criminaliser les opinions qui divergent, dépeignant une approche particulièrement manichéenne de la scène politique:

«On a un effet de conformité morale, qui n'arrive pas à imaginer qu'il y ait une tierce attitude entre le camp de la Raison, du Bien, du libéralisme, de la société ouverte et le camp du mal qui serait celui de Marine Le Pen, les peurs, les haines, etc. Bah oui, mais les gens ont le droit de penser d'une troisième façon et qu'outre l'abstention […] il y a un important vote blanc ou nul, dont on ne tient pas compte dans l'électorat français, qui veut bien dire quelque chose.»

Il décrit ainsi une dramatisation de la situation, une pression pour le moins «théâtrale», sur Jean-Luc Mélenchon afin de le faire «rentrer dans le rang». Lui, l'ancien ministre de Lionel Jospin qui en 2002 proclamait: «Abaissez le plus bas possible Le Pen!».

«Ce qui est intéressant, c'est la façon dont on met ça en scène, comme si Marine Le Pen avait la moindre chance de l'emporter. Comme si elle n'avait pas contre elle statistiquement une large majorité des électeurs, mais aussi les médias, la bourse, les syndicats et les organisations de la société civile.»

Des syndicats, qui eux aussi appellent les gens à voter. Comme la CFDT, dont on peut lire sur une affiche: «Les effets secondaires de l'abstention durent 5 ans. VOTEZ», dont le ton médicamenteux n'est pas sans rappeler celui de la campagne de l'«Homophobiol».

​Mais n'est-ce pas être en plein décalage que d'escompter forcer les «insoumis» à voter Macron, alors même qu'une bonne partie d'entre eux iront certainement d'eux-mêmes voter contre Marine Le Pen. N'est-ce pas être aveugle au fait que cette gauche-là, tout comme les électeurs de partis d'autres couleurs politiques, ne veulent pas du programme économique et social d'Emmanuel Macron? Dans une France où la colère ne cesse de monter depuis plus de dix ans, la présence du Front national et le score de Jean-Luc Mélenchon ne sont-ils pas des indicateurs assez clairs de cette tendance? Les choses ont bien changé depuis 2002, ce qui semble échapper à bon nombre d'observateurs… qui semblent avoir perdu de vue qu'ils ne sont plus les prescripteurs d'opinion tout-puissants qu'ils furent naguère?

Est-ce d'ailleurs parce qu'ils sont trop souvent coupés des réalités du terrain? Cette presse qui «se considère dans le cercle de la raison ou de la pensée unique» précise François-Bernard Huyghe. Des personnalités qui présentent des caractéristiques sociales similaires, celles de ces fameux «gagnants de la mondialisation», et qui «ne se voient qu'entre eux, sont dans le même cercle idéologique et semblent avoir beaucoup de mal à imaginer que des gens pensent autrement qu'eux, sauf à être habités par la haine, la peur ou par l'erreur et la manipulation.»

Des médias, qui ont «largement contribué à la montée du phénomène Macron» même si aucune statistique ne peut venir appuyer cette théorie, François-Bernard Huyghe souligne qu'«il est très probable qu'il ait beaucoup de sympathie parmi les rédacteurs et les journalistes, ce qui sociologiquement s'explique.»

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