Best of 2017: Bouaké, quand la France refuse de faire face à son passé

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Alors que le rôle de la France est régulièrement controversé en Afrique, nous avons souhaité revenir dans notre rétrospective 2017 sur l’affaire du «bombardement de Bouaké», en Cote d’Ivoire. 10 ans après le drame, les victimes cherchent encore réparation auprès de la justice et pointent du doigt l’obstruction d’hommes politiques français.

[texte initialement publié le 24/11/2017 avec les titre et chapô suivants:]

Maître Balan réveille les fantômes de Bouaké

Nouvel épisode dans le dossier très sensible du «bombardement de Bouaké»: l'avocat de la partie civile, Me Balan, interpelle les députés afin «d'agir d'une manière ou d'une autre», pour que les «personnages» impliqués «assument leurs actes face à la Justice». Mis en cause par l'avocat, plusieurs hauts responsables politiques français.

French soldiers clean debris around a destroyed armoured vehicle, 10 November 2004 at Descartes lycee in Bouake which served as a camp for French soldiers. - Sputnik Afrique
Maître Balan réveille les fantômes de Bouaké
«C'est inimaginable qu'il n'ait pas de procès», déclare, d'emblée, Maître Jean Balan. Il ne décolère pas: plus de dix ans après l'ouverture du dossier sur le bombardement de Bouaké, en Côte d'Ivoire, en 2004, rien n'avance. Et pour cause:

«Il y a au moins deux personnes dans ce dossier qui sont encore en poste. C'est revenir sur une séquence difficile de l'histoire de France», explique la journaliste Lesli Varennes, spécialiste de l'Afrique.

Une séquence difficile et plus qu'embarrassante: minée d'obstacles volontaires, de «mensonges», la question de savoir qui a commandité le bombardement aérien sur cette base militaire, tuant neuf soldats français, reste à ce jour sans réponse. Pourtant:

«Il y a une requête du juge d'instruction, qui est sans aucune ambiguïté, et qui demande la traduction de M. de Villepin, Mme Alliot-Marie, et M. Barnier, devant la Cour de Justice de la République. C'est inimaginable qu'ils ne soient pas traduits devant la justice, vu tous les éléments qu'il y a contre eux», s'emporte l'avocat.

«Ça traîne. C'est inconcevable que ça n'aboutisse pas, et c'est pour ça que j'ai attiré l'attention des hommes politiques, qui doivent savoir comment fonctionne la justice dans ce pays», poursuit Me Balan, prêt à utiliser d'autres moyens si rien ne bouge d'ici la fin de l'année. Deux élus ont réagi, des «discussions» sont à venir.

«Les soldats français n'auraient pas dû être là. C'est une opération de pieds nickelés qui tourne mal»,

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estime pour sa part Leslie Varenne. Une opération qui coûta la vie à un humanitaire américain, à neuf soldats français, en blessa quarante autres, provoqua des manifestations réprimées sous les balles de l'armée française et déclencha le rapatriement de milliers d'expatriés.

«La riposte de Chirac, après, fut disproportionnée. Je crois, et c'est un sentiment personnel, que Chirac, à ce moment-là, a pris une décision très spectaculaire, mais quelque part, même lui, a été manipulé. […] Dès le début, il savait que Gbagbo n'était pas à l'origine, et qu'il y avait l'intention de se débarrasser de lui».

À ce moment-là, Laurent Gbagbo, élu en 2000, veut contrer la rébellion qui s'est installée dans le nord du pays depuis deux ans; dans un contexte où les prochaines élections présidentielles sont prévues pour 2005, était-il devenu trop encombrant pour certains?

« Jacques Chirac, pour des raisons affectives, n'aimait pas trop l'opposant historique d'Houphouët, Laurent Gbagbo. Il ne lui convenait pas, pour des raisons qui m'échappent. Il a toujours été très fidèle vis-à-vis de la France, il a toujours privilégié les intérêts français», explique Leslie Varenne.

«Il est apparu tout au long du dossier que tout avait été orchestré afin qu'il ne soit pas possible d'arrêter, d'interroger ou de juger les auteurs biélorusses du bombardement», écrivait la juge Sabine Kheris, première magistrate en charge du dossier, qui demanda, en 2016, le renvoie devant la Cour de justice de la République des trois «personnages» cités plus haut, respectivement ministre de l'Intérieur, ministre de la Justice et ministre des Affaires étrangères à l'époque.

«On a tout fait pour qu'on ne connaisse pas les donneurs d'ordre. Et si on a fait ça, c'est qu'on se protège soi —même […]», estime Me Balan. «Je ne considère pas la France, en tant qu'État, coupable. Je considère qu'il y a eu une manœuvre des gens au pouvoir, qui a court-circuité le parlement, le gouvernement, qui a manipulé l'armée et qui avait des objectifs extrêmement précis: se débarrasser de Gbagbo. Pourquoi et comment? Je l'explique dans le dossier de 18.000 pages. Mais c'est à la justice de faire la lumière sur ça».

Les auteurs «matériels» de l'assassinat, les deux pilotes biélorusses à bord de leur Soukhoï, n'ont pas été entendus: arrêtés au Togo, Mme Alliot-Marie évoque un manque de «base légale», pour leur audition, et les relâche.

«Ce n'est même pas un mensonge, c'est une connerie monumentale. Je ne discute même pas de ça. D'ailleurs, immédiatement après le bombardement, elle est allée au parlement, pour dire "on va les rattraper, on a toutes les bases légales, etc." C'était sa première déclaration, ensuite elle a dit autre chose. Évidemment, on avait les bases légales, sans la moindre discussion».

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Explique l'avocat, avant de préciser que l'argument de la ministre de la Défense ne tenait de toute façon pas: «A l'époque, Michèle Alliot-Marie disait qu'on ne voulait pas de problème avec la Biélorussie. Alors qu'on a dans le dossier une lettre très claire des autorités biélorusses disant: "Ces Biélorusses-là, faites en ce que vous voulez, ce ne sont pas biélorusses, ce sont des mercenaires. Cela ne nous concerne pas".»
Si l'affaire a «traîné» si longtemps, c'est aussi à cause de la «liquidation» du Tribunal aux Armées, estime Me Balan:

«L'interrogatoire de Mme Alliot-Marie fut un interrogatoire terrible pour elle, car la juge de l'époque l'a mise totalement dos au mur et elle s'en est très mal sortie. Elle a menti sous serment. Après ça, tout à coup, on a trouvé que ce tribunal était superflu. Comme par hasard, elle décide que ce tribunal-là, dont absolument personne ne se plaignait, ne doit plus exister. Tous les dossiers ont été répartis partout dans différents tribunaux de France, je ne vous dis pas la pagaille. En conséquence, le dossier Bouaké fut mis hors circuit pdt deux ans.»

Ce dossier, qui a pesé lourd dans les relations franco-ivoirien, est désormais laissé de côté: «Ouattara a été mis au pouvoir par les États-Unis et la France, donc les relations ne sont plus affectées par cette affaire. La Côte d'Ivoire ne cherche pas plus à faire la lumière et n'a aucun intérêt vis-à-vis de ces partenariats. La seule chose qui empêche d'enterrer cette histoire, c'est les familles des victimes militaires français, et un avocat qui, avec pugnacité et constance, continuent de vouloir la vérité et vouloir un procès sur cette affaire», conclut Leslie Varenne.

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