Bilan 2017: l’Asie du Sud-Est, prochain centre de gravité du monde

© REUTERS / Mohammad Ponir Hossainl`émigration des Rohingya en Myanmar
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Sort tragique des Rohingya en Birmanie, bon point pour l’Indonésie et avertissement pour les Philippines ressortent du bilan géopolitique de l’Asie du Sud-Est, dressé pour Sputnik par Sophie Boisseau du Rocher. Un bilan sur lequel plane bien sûr l’ombre de la Chine et de sa nouvelle Route de la Soie.

La politique et la géopolitique en 2017 fait écho aux guerres au Moyen et Proche-Orient, à la Corée du Nord ou encore au terrorisme. Et, alors qu'en France, on connait plus l'Asie du Sud-Est par le tourisme, la rédaction de Sputnik a souhaité mettre en avant cette région du monde regroupant 11 pays et 685 millions d'habitants avec Sophie Boisseau du Rocher, docteur en sciences politiques et chercheur associé au Centre Asie de l'Ifri.

Sputnik: Quel est, pour vous, l'événement marquant de la zone Asie du Sud-Est?

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Sophie Boisseau du Rocher: Il me semble que l'évènement marquant en 2017 a été le mois de massacre et d'émigration des Rohingya en Birmanie-Myanmar. À la fois du fait des enjeux internes au Myanmar (construction nationale et transition politique), du fait des enjeux régionaux (pour les pays frontaliers, notamment la Thaïlande mais plus largement sur la cohésion de l'ASEAN), à la fois aussi en raison des enjeux transnationaux (notamment la montée du radicalisme religieux, le radicalisme musulman ou le radicalisme bouddhiste); et enfin du fait des enjeux internationaux puisque l'on sait que certains pays pourraient intervenir pour infléchir les directions dans le sens de leurs propres intérêts (notamment la Chine). Pour toutes ces raisons interactives et en cascade, je crois qu'effectivement, le sort réservé aux Rohingya a été un des événements marquants en Asie du Sud-Est en 2017.

Sputnik: Quelle serait votre personnalité politique de l'année 2017?

Sophie Boisseau du Rocher: Je dirais qu'en positif, le Président indonésien Jokowi mérite des applaudissements. On parle assez peu de l'Indonésie et quand on en parle on l'évoque, c'est généralement dans des termes assez alarmistes, tant le pays est complexe, ample et que chaque évènement a des répercutions majeures sur la région. Mais on en parle assez peu quand les choses vont bien: faire naviguer sereinement un tel bateau n'est pourtant pas chose aisée. Le Président Joko Widodo tente de pérenniser les mécanismes démocratiques en Indonésie mis en place depuis une quinzaine d'années. En dépit de certains vents contraires: la montée, là-aussi, d'un certain radicalisme religieux, une classe politique peu soucieuse de respecter ces normes et ce débat démocratiques, et l'envie de certaines factions militaires de revenir sur le devant de la scène politique de pouvoir, une corruption endémique. Le Président Jokowi tente de mettre en œuvre les réformes afin de durablement consolider le développement politique et économique du grand archipel.

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En termes de personnalités inquiétantes, il y en a deux à mon avis, évidemment le Président philippin Duterte, avec sa chasse aux sorcières (sa lutte contre les trafiquants de drogue aurait provoqué la mort, selon certaines estimations, de quelque 9 000 personnes en 15 mois) d'une violence indicible, arbitraire et surtout cautionnée, voire générée, par l'État: quel lien peut-il s'instaurer entre ce type d'État et les citoyens?
Et puis Najib Razak, [Premier Ministre, mdlr] en Malaisie, qui d'une façon très discrète, remet en place un système politique autoritaire dans la Fédération.

Donc je crois qu'il s'agit là de deux personnalités qui auront sur la suite des évènements des conséquences assez lourdes pour les équilibres politiques dans la région.

Sputnik: Quel pays souhaiteriez-vous mettre en avant?

Sophie Boisseau du Rocher: J'aurais tendance à reprendre les deux mêmes pays. En négatif, les Philippines. Les Philippines, on en parle beaucoup à cause des coups de volants radicaux impulsés par l'Administration Duterte: distanciation avec l'allié américain, rapprochement avec la Chine, vision à court terme de l'ASEAN présidée cette année par Manille et lutte contre les trafiquants. Et finalement, une croissance qui semble se conforter autour de 6,5 % pas tant en raison des réformes structurelles qu'en raison des rapprochements avec la Chine, beaucoup moins regardante que les pays occidentaux sur les évolutions politiques internes. En fait, les pesanteurs et limites qui handicapent les Philippines ne sont pas traitées sur le fond. Duterte fait beaucoup parler de lui mais les maux intrinsèques à l'archipel ne sont pas corrigés et c'est toujours la classe moyenne et les moins favorisés qui en font les frais. Depuis fort longtemps, la société civile est ignorée et elle pourrait d'ailleurs, dans les prochaines années, donner des signes d'exaspération violents —: les Philippines sont un des rares pays au monde où le parti communiste progresse.

Et puis deux pays plutôt encourageants:

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À nouveau, je mettrais en avant l'Indonésie qui réussit pour l'instant à garder une croissance fondée sur une véritable transformation de son outil industriel, une amélioration de ses infrastructures et également sur une ouverture, notamment une ouverture maritime qui a été engagée avec le Président Jokowi. Et puis il y a aussi toutes les décisions qui ont été prises pour marginaliser les courants radicaux dans le spectre politique et pour faire respecter la philosophie nationale des cinq principes du Pancasila, notamment du principe de tolérance. Dans un contexte tendu, il s'agit d'un geste symbolique fort, susceptible de conforter la transition démocratique. Il faut espérer que les partenaires chinois, qui sont aujourd'hui des partenaires essentiels du développement économique des différents pays d'Asie du Sud-Est et donc de l'Indonésie, comprennent l'importance de maintenir une Indonésie stable au cœur de l'Asie du Sud-Est. Le président Jokowi pourrait se retrouver otage entre d'une part un courant radical qui s'exprime de plus en plus ouvertement et un courant anti-chinois qui prend la communauté sino-indonésienne pour cible (cf les manifestations lors de la campagne électorale et la condamnation de l'ancien gouverneur de Jakarta, Ahok, au printemps 2017 ou les demandes insistantes pour détruire les temps et statues de déesses chinoises). La tension devient plus palpable; pour l'instant, ces motifs d'inquiétude se sont vus opposer une résistance de la part de l'administration Jokowi qui a signé un décret, en août 2017, pour interdire les groupes qui s'opposaient à l'idéologie nationale du Pancasila.

Le Laos est un autre pays, me semble-t-il, qu'il faudrait suivre dans les prochains mois. Le Laos est le premier pays d'Asie du Sud-Est véritablement confronté au déferlement attendu des investissements chinois avec les Routes de la soie. La construction d'une ligne de TGV de 480 km — avec toutes les compromissions que cela suppose à l'égard de Pékin —, en fait un pays témoin, un pays d'observation qui sera très utile de suivre de près.

Sputnik: Quels pourraient être les enjeux politiques et géopolitiques de l'année 2018 pour cette zone de la planète. À quoi doit-on s'attendre selon vous?

Sophie Boisseau du Rocher: Je suis relativement prudente parce que les quelques scrutins électoraux auxquels nous allons assister en 2018 ne seront pas des scrutins démocratiques. Qu'ils s'agissent des élections législatives en Malaisie (probablement printemps 2018), des élections au Cambodge (été 2018), des élections en Thaïlande qui ont été annoncées d'ici l'été 2018, tous ces scrutins seront très probablement des scrutins « fermés », à l'avantage des partis en place. D'une part parce qu'ils vont être décrétés avec des temps de campagne très courts qui ne vont donc pas permettre à l'opposition de s'organiser et de faire valoir ses arguments, d'autre part parce qu'il y a un déséquilibre entre les ressources des partis d'opposition et celles des partis au pouvoir qui disposent évidemment de relais très puissants et très bien huilés sur l'espace national, à commencer par une presse sous contrôle. On devrait logiquement (et malheureusement) assister à une déclinaison plus ou moins autoritaire, avec la caution chinoise et l'échec des pays occidentaux qui, en dépit des efforts prodigués ces vingt dernières années, n'ont pas réussi à convaincre de l'intérêt de mettre en œuvre des mécanismes démocratiques.

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Sur le plan géopolitique, il y a évidemment deux pays structurants qu'on va suivre de très près. La Chine, qui continue de militariser la mer de Chine du Sud tout en négociant simultanément un Code de conduite avec l'ASEAN. Il sera intéressant de suivre ce Code de conduite pour comprendre comment les pays de l'ASEAN ont réussi, ou pas, à trouver un compromis avec leur grand voisin. Et puis, il va y avoir évidemment, les premiers déploiements des Routes de la soie, très fortement ressentis en Asie du Sud-Est et notamment au Laos, où la voie de chemin de fer est en train d'être construite du Yunnan à travers le Laos puis la Thaïlande; à terme jusqu'en Malaisie et Singapour. Les dés sont en train d'être rejetés en Asie du Sud-Est, la donne redistribuée par la Chine, acteur dorénavant central.

Et puis évidemment, derrière la Chine, l'ombre des États-Unis. Comment Washington et l'Administration Trump vont-ils réagir aux rapprochements entre la Chine et l'Asie du Sud-Est? Est-ce qu'ils vont laisser faire, comme finalement l'Administration Obama avait laissé faire? Ou est-ce qu'ils vont, au contraire, tenter des parades et de contre-manœuvre pour regagner un terrain qui a été largement perdu depuis dix ans par les États-Unis dans la région? Ce qui est sûr, c'est que l'Asie du Sud-Est redevient une région déterminante pour les équilibres globaux.

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