Influence française en Syrie: les illusions perdues de Macron

© Sputnik . Mikhail Voskresenskiy / Accéder à la base multimédiaDamas
Damas - Sputnik Afrique
S'abonner
Les États-Unis restent en Syrie. Ils envisagent même de créer une force de 30.000 hommes pour protéger la frontière nord de la Syrie contre les derniers djihadistes. Mais comment la France réagit-elle? Quelle est sa position actuelle après sept années d’une guerre qui a bouleversé les alliances dans toute la région? Analyse.

La France tente-t-elle à nouveau de s'immiscer dans la résolution du conflit syrien avant la nouvelle session de pourparlers de paix qui doit avoir lieu à Vienne les 25 et 26 janvier prochain? Ce mercredi 17 janvier, Emmanuel Macron «a salué l'action du Comité (syrien) pour les négociations et a réaffirmé le soutien de la France à l'opposition syrienne unifiée», après avoir reçu à l'Élysée une délégation d'opposants à Bachar el-Assad. Cette opposition «unifiée» rappelle toujours et encore que le Président syrien doit quitter le pouvoir pour mettre un terme aux conflits qui ravagent la Syrie depuis 2011, alors même que le Président syrien semble être le grand gagnant de la chute de l'État islamique.

Une position qui a longtemps été celle d'une bonne part de la communauté internationale et notamment de la France. Rappelons qu'en août 2012, Laurent Fabius, alors ministre des Affaires étrangères avait déclaré publiquement que «Bachar el-Assad ne mériterait pas d'être sur la Terre»!
Si pendant tout le mandat de François Hollande (excepté peut-être les derniers mois), Paris considérait que la destitution du maître de Damas était le préalable indispensable à toute perspective de paix en Syrie, depuis l'avènement d'Emmanuel Macron, la position de la France a quelque peu évolué.

Considérant qu'il n'y avait pas de successeur légitime à Bachar el-Assad, Emmanuel Macron avait déclaré lors de la conférence des Nations unies en septembre dernier: «Je n'ai pas fait de sa destitution un préalable, par pragmatisme». Mais fidèle à sa politique du «en même temps» le Président considérait lors des vœux à la presse en début d'année que «le peuple syrien a un ennemi, il s'appelle Bachar».

Que peut-on comprendre du positionnent d'Emmanuel Macron et quelle est sa stratégie en 2018 en Syrie? La France est-elle encore un acteur politique, diplomatique et militaire dans la Syrie d'aujourd'hui et demain?

François Hollande était le protagoniste le plus enclin à bombarder la Syrie en 2013 à la suite d'une attaque aux armes chimiques dans une banlieue de Damas. Cet évènement, précédemment rappelé, plaçait Paris comme un acteur majeur du conflit. Mais depuis l'humiliation reçue par la volte-face des États-Unis et du Royaume-Uni, la voix de la France ne semble plus être entendue.

À l'inverse, sur le plan diplomatique, la Russie, la Turquie et l'Iran marquent des points depuis de nombreux mois dans la résolution du conflit syrien par les négociations d'Astana. Si les avancées sont minces, elles existent et pourraient encore se développer de manière significative. En effet, le 29 et 30 janvier, à Sotchi, devrait s'ouvrir une réunion où seront présents tous les acteurs syriens (pouvoir en place et rebelles) et les principaux protagonistes du conflit.

Et dans ces tractations diplomatiques, la France n'a pas été invitée.

Quant aux pourparlers de Genève, sous l'égide de l'ONU, elles stagnent depuis des années et ne pourraient connaître d'évolution marquée tant que le préalable à toute avancée posé par les opposants est le départ du Président syrien. L'invitation surprise de Bachar el-Assad par Vladimir Poutine à l'ouverture de sa réunion avec Hassan Rohani et Recep Tayyip Erdogan en novembre 2017 confirme que le maître politique de la Syrie a sa place dans le destin de son pays et donc que les pourparlers de Genève sont dans l'impasse. De plus, l'autre acteur fort de ce conflit, les États-Unis apportent de moins en moins de considération aux Nations unies et décident davantage de leur stratégie sur le futur de la Syrie par eux-mêmes.

Fragilisé par son absence et son incapacité à peser, Emmanuel Macron a souhaité remettre la France dans le train pour la future Syrie en proposant de créer un «groupe de contact». Mais cette nouvelle initiative fut balayée d'un revers de la main par Damas. En effet, considérant que la France «soutien le terrorisme» au Moyen-Orient, Bachar el-Assad a déclaré en décembre dernier que Paris n'avait «pas le droit de parler de paix» en Syrie.

Ainsi, la France n'aurait aucune influence sur la résolution du conflit syrien. Cependant, Hassen Maged, fondateur de D & S Consulting, cabinet de conseil stratégique spécialisé sur le Moyen-Orient, révèle à Sputnik que

La France «a des discussions non officielles qui vont peut-être amorcer des discussions officielles à moyen terme.»

Si la France a très peu d'influence pour «gagner la paix» en Syrie, la stratégie de communication diplomatique de Paris peut être comparée à celle de Washington. Mais qu'en est-il sur le plan militaire?

Déployée en Irak en septembre 2014, l'opération Chammal s'étend à la Syrie un an plus tard. Elle mobilise environ 1.200 soldats et a pour but de neutraliser les forces terroristes au Levant. Cependant, «la France a diminué le dispositif Chammal depuis la fin des opérations militaires officielles contre Daesh», rappelle Hassen Maged. De fait, la France a déjà rapatrié la moitié de ses avions de chasse.

Quant à une présence au sol, Paris avait confirmé l'engagement de forces spéciales en mai 2017 et la mort d'un soldat «au Levant» révélée en septembre dernier illustre l'implication de la France contre l'État islamique dans la région. Mais contrairement aux Américains, on est bien loin des milliers d'hommes enrôlés dans la guerre syrienne et de posséder une ou plusieurs bases militaires.

Si le manque d'information nuit à une estimation du poids militaire réel français en Syrie et donc de l'influence que pourrait avoir la France pour gagner la Paix, il est clair qu'elle n'est pas comparable avec celle de son allié américain (qui dirige la coalition) ni avec celle des troupes russes, malgré leur désengagement partiel ou encore avec celle de la Turquie et de l'Iran.

Exemple parlant de cette absence de la France dans la région: Rex Tillerson a annoncé le 14 janvier dernier la formation prochaine d'une force frontalière de 30.000 hommes, composée au moins pour moitié de Kurdes. La seule réaction du Quai d'Orsay à l'éventualité d'une participation française à ce dispositif a été un communiqué expliquant que
«[…] La sécurisation des frontières constitue un élément important pour entraver la liberté de mouvement des membres de Daech et pour assurer la protection des populations civiles. Elle appelle un dialogue et une pleine coopération avec les acteurs régionaux concernés.»

Les réactions de Damas, et de Moscou ont été beaucoup plus fermes, mettant les États-Unis en garde contre la formation de cette nouvelle armée. Mais c'est d'Ankara qu'est venue la réaction la plus virulente, mouvements de troupes à l'appui.

Cette nouvelle force militaire visant à protéger le nord de la Syrie, de l'enclave d'Afrin à la region de Rojava, peuplé majoritairement de Kurdes. La Turquie en a déduit que la mise en place d'une telle force était une prémisse à la constitution d'un Kurdistan syrien, une option inacceptable aux yeux d'Ankara. La Turquie brandit donc depuis plusieurs jours la menace d'une intervention militaire dans la région syrienne et Damas a promis une riposte.
Finalement, Washington semble reculer, le chef de la diplomatie américaine expliquant que ses propos avaient été «mal relayés».

On pourrait soutenir que la position française n'est pas totalement alignée sur celle des Américains. Pour autant, Washington justifie sa présence sur le sol syrien pour trois raisons: réduire à néant l'État islamique, écarter Bachar el-Assad du pouvoir et réduire l'hégémonie iranienne dans la région et particulièrement en Syrie… Trois objectifs ouvertement annoncés par Emmanuel Macron. Pourquoi une telle concordance de vues? Peut-être faute d'avoir les moyens d'une politique indépendante dans la région, comme le rappelle Hassen Maged:

«La France n'a pas de positionnement clair quant aux dernières réactions américaines de créer une force de 30.000 hommes ou de devoir se positionner sur d'autres dossiers syriens de manière générale, parce que la France a perdu l'ensemble de ses leviers d'influence.
Et il faut mentionner que le terrain syrien est en ce moment sous l'influence des acteurs majeurs, à savoir les deux superpuissances des États-Unis et de la Russie d'une part et les puissances régionales de la Turquie et de l'Iran.»

Fil d’actu
0
Pour participer aux discussions, identifiez-vous ou créez-vous un compte
loader
Chat
Заголовок открываемого материала