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Les économistes ne mangent pas tous des enfants! Rendez-vous chaque semaine avec Jacques Sapir, Clément Ollivier et leurs invités pour égrener les sujets de fond qui se cachent derrière le tumulte de l’actualité.

Dépénalisation du cannabis: «Nous vivons une ère de populisme pénal»

Jacques Sapir
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Alors que le gouvernement veut passer à des amendes forfaitaires pour les consommateurs de cannabis, et que la Californie légalise son usage récréatif, quels sont les enjeux économiques, sociaux ou juridiques d’une potentielle dépénalisation? La sociologue Anne Coppel et le juriste Renaud Colson sont les invités des Chroniques de Jacques Sapir.

Gérard Collomb se veut clair: la France ne dépénalisera pas le cannabis. Le ministre de l'Intérieur confirme néanmoins que le gouvernement compte instaurer des amendes forfaitaires pour les consommateurs. Outre-Atlantique au contraire, le cannabis récréatif est désormais légal en Californie depuis le 1er janvier. En tout, quinze États des États-Unis ont dépénalisé ou légalisé l'usage de cette drogue. En Europe, des pays comme les Pays-Bas ou l'Espagne ont également des politiques libérales sur ce sujet. Au-delà des aspects moraux ou médicaux traditionnellement abordés, quelles questions structurelles pose la dépénalisation d'un point de vue économique, social ou juridique?

Dans le studio non-fumeur de Sputnik, Jacques Sapir et Clément Ollivier reçoivent Anne Coppel, sociologue, fondatrice de l'Association française de réduction des risques liés à l'usage de drogues (AFR), co-auteur avec Olivier Doubre de Drogues, sortir de l'impasse (La Découverte, 2012), et Renaud Colson, juriste et maître de conférences à l'Université de Nantes, qui a signé avec Henri Bergeron Les Drogues face au droit (PUF, 2015).

Anne Coppel part du constat que «la répression, qu'elle soit systématique ou pas, a échoué. C'est ce constat qui a fait qu'il y a eu ce retournement aux États-Unis. L'ONU a fait le même bilan en Assemblée générale, et a déclaré que l'escalade de la guerre à la drogue était un échec et qu'il fallait moins réprimer les usagers. La répression est un dispositif qui coûte très cher et qui ne sert à rien pour limiter la consommation, ni même pour limiter le trafic.» Ainsi, la sociologue prône une libéralisation des drogues douces pour faciliter une politique de réduction des risques: «Quand les gens savent ce qu'ils achètent, on peut faire en sorte qu'ils consomment avec le moins de conséquences négatives. Ça fonctionne déjà bien en Californie avec le cannabis thérapeutique, on observe une véritable réduction des risques en termes de santé publique. Et les gens sont beaucoup plus raisonnables que ce que l'on croit, la libéralisation ne fait pas augmenter la consommation.» Néanmoins, «il ne faut pas s'imaginer qu'on peut tout résoudre avec la libéralisation. On peut limiter le trafic mais il n'est pas certain qu'on puisse l'éliminer radicalement.»

Selon Renaud Colson, la police est elle-même majoritairement défavorable au tout répressif: «Les forces de l'ordre subissent la politique du chiffre: quand on chope cinq mômes autour d'un pétard, on élucide cinq affaires pénales… Dans les statistiques, c'est particulièrement brillant! Je pense que les forces de l'ordre se rendent bien compte que ce n'est pas là leur fonction essentielle, leur mission essentielle. Et si on pouvait les libérer de cette activité, sans doute trouveraient-ils des choses beaucoup plus utiles et beaucoup plus intéressantes à faire.» Ainsi, le juriste pose la question de façon politique: «Comment faire pour que la classe politique, qui, dans le secret des conversations privées, est dans sa grande majorité bien consciente de l'impasse dans laquelle on se trouve, accepte de prendre ce risque qui à mon avis n'est pas très fort, mais qui chez les politiques est considéré comme potentiellement létal: le fait d'apparaître comme "laxiste". Nous vivons une ère de populisme pénal: quiconque s'engage sur la voie d'un discours qui dit que la punition à tout crin n'est pas forcément la solution pour répondre aux problèmes sociaux estime qu'il va prendre le risque d'être considéré comme un enfant de chœur.»

​En somme, pour Jacques Sapir, «le problème du trafic mafieux, c'est celui de l'accumulation des richesses. Les concentrations importantes de capital engendrées par ce type d'activités peuvent être utilisées pour d'autres choses: la corruption, le financement d'autres activités criminelles comme le grand banditisme, voire le terrorisme. Une potentielle légalisation doit donc être accompagnée de la création d'une économie sociale et solidaire autour de l'usage du cannabis, de manière à réinsérer le plus possible les trafiquants.»

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