La vendetta de Macron face à RT France

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L’attitude de la Présidence de la République à l’égard des journalistes en général et de RT France en particulier pose problème. Emmanuel Macron semble mener une véritable vendetta par rapport à ce média. Ce faisant, il semble avoir glissé du registre du droit au « bon plaisir » qui n’est, en république, qu’un abus de pouvoir.

On le sait, cette chaine de télévision a été créé par un Etat étranger (la Russie). Cela n'a rien d'anormal; d'autres Etats, la France et la Grande-Bretagne notamment, font de même. Quand on pense à France-24 ou à la BBC, on pense bien entendu à des instruments de ce que l'on appelle le « pouvoir d'influence » ou « soft power ». Il est logique que la Russie veuille aussi se doter d'instruments comparables. Cette chaine va donc contribuer au pluralisme d'opinions qui doit exister. Ou qui devrait, car elle ne semble pas la bienvenue.

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Le problème actuel vient donc de la présidence de la République française. Par deux fois, elle a empêché des journalistes de RT France de faire leur travail. Le 10 janvier, elle a fait refuser l'accès de l'un des journaliste de RT France, M. Kyrill Kotikov, à la conférence de presse qui était donnée à l'issue du sommet de Rome sur la question des migrants . Cela n'est pas resté un incident isolé. Le 15 janvier, le journaliste Kevin Berg de RT France, détenteur d'une carte de presse, a été refoulé du point de presse technique au sujet de la visite qu'effectuait Emmanuel Macron à Calais. Malgré sa carte de presse, le journaliste a été refoulé alors qu'il venait de passer les portiques de sécurité du palais présidentiel. "Vous n'êtes pas journaliste, on ne fait entrer que les journalistes!" lui aurait répondu une attachée de presse, alors qu'il indiquait le nom de son média. Dans les deux cas, il s'agit de faits d'une extrême gravité.

Rappelons ce que déclarait Emmanuel Macron lors de ses premiers vœux à la presse, le 3 janvier: « La liberté de la presse aujourd'hui n'est plus seulement attaquée par les dictatures notoires, elle est aussi malmenée dans des pays qui font partie des plus grandes démocraties du monde ». Ce n'est pas faux. Et la pression qu'exercent les grands actionnaires de ces médias est bien au cœur des mécanismes de censure et d'autocensure qui se mettent en place. Cela s'est d'ailleurs traduit par l'effondrement de la crédibilité de la presse, en France. On pouvait donc croire que cette déclaration présageait d'un engagement des pouvoirs publics en faveur de la presse. Pourtant, comme on vient de le voir, une semaine plus tard, l'Élysée refusait l'accès du sommet de Rome sur l'immigration aux journalistes de la chaîne d'information RT France.

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Ceci est particulièrement grave et choquant. Il est sans exemple, depuis maintenant des dizaines d'années en France, que des journalistes, avec carte de presse et officiellement accrédités, se voient refuser ces accès, et se voient donc dans l'impossibilité de faire leur travail. Cela constitue une atteinte à la liberté du travail, un principe clairement établi en France depuis mars 1791(1). Cette pratique nous renvoie aux heures les plus sombres de notre histoire quant la liberté de presse était bafouée par des pouvoirs tyranniques.

Un précédent célèbre vient alors à l'esprit. Quand Victor Hugo écrivit et fit donner Le Roi s'amuse à la Comédie Française, en 1832, certains furent scandalisés tant par Triboulet, présenté en héros tragique, que par la charge politique de l'écrivain contre la monarchie. Louis-Philippe venait de remplacer Charles X, à la suite des « Trois Glorieuses » deux ans auparavant et le sujet était sensible. La pièce fut jugée par les cercles les plus conservateurs, ceux qui souhaitait un rétablissement de la censure de la presse (et qui l'obtinrent en 1835) comme profondément immorale. Elle fut interdite. Victor Hugo intenta alors un procès au Théâtre-Français au nom du préjudice commercial qui lui était fait pour protester contre l'interdiction de sa pièce. Il prit la parole au procès et prononça ces phrases restées célèbres: «… Aujourd'hui on me bannit du théâtre, demain on me bannira du pays; aujourd'hui on me bâillonne, demain on me déportera; aujourd'hui l'état de siège est dans la littérature, demain il sera dans la cité.(2) »
Si RT France prenait exemple sur l'illustre poète, si elle attaquait l'Etat pour le préjudice commercial provoqué par cette censure et l'obstacle mis à la liberté du travail, elle aurait, si ce n'est un moyen de se faire rendre justice, du moins une tribune d'où elle pourrait prendre tous les démocrates et tous les républicains à témoin.

Sur le fond, Emmanuel Macron a donné son avis sur RT France, ce qui est son droit. Il considère cette chaine comme un instrument de propagande. Il est dommage qu'il n'étende pas sa réflexion à France-24, la BBC. Signalons de plus que les chaînes de télévisions émettant depuis la France (ce qui est le cas de RT France) doivent obtenir l'agrément du Conseil Supérieur de l'Audiovisuel (CSA). Or, RT-France a obtenu cet agrément. Cela aurait du clore toute polémique. Constatons que cela n'a pas été le cas. Le Président de la République semble avoir des comptes régler avec RT France. Mais, s'il a des choses à reprocher à ce média, il doit impérativement agir par la voie légale, par exemple en portant plainte. On peut alors se demander pourquoi il ne l'a pas fait. Faute de cela, il ne devrait pas agir, et certainement pas de la manière dont il l'a fait.

Il est ainsi sans précédent, depuis de nombreuses années, qu'une décision de fait se substitue à une décision de droit sur un sujet aussi délicat que la presse. On doit se souvenir que le Général de Gaulle, dont les relations avec le journal Le Monde étaient notoirement mauvaises, n'a jamais fait obstacle, lui, aux membres de ce journal lors de ses conférences de presse…

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Rappelons, enfin, comme l'a indiqué le journal Marianne, qu'il n'est pas du ressort ni du pouvoir du Président de la République de décider qui est, ou qui n'est pas, journaliste.

Nous sommes là devant ce que l'on ne peut que considérer comme un acte de « bon plaisir » de la part de notre Président, acte qui était assurément l'apanage des Rois mais qui a été aboli et ne sied pas à un Président d'un pays se voulant démocratique. Dans un Etat de droit, dans un pays démocratique, cela s'appelle un abus de pouvoir.

Ces actes graves et scandaleux prennent place alors que sur de nombreux médias on voit la tentative d'alimenter ce qu'il faut bien appeler une « russophobie » obsessionnelle et compulsive. Quoi que l'on puisse penser des actes du gouvernement de la Russie, le dénigrement systématique du pays ne correspond ni à la vérité ni aux intérêts de la France. Par ces actes à l'encontre de RT France le Président de la République, en quelque sorte, légitime et cautionne cette « russophobie ». Il contribue à créer un climat artificiel de méfiance et de suspicion, climat qui risque de peser par la suite sur les conditions de travail des journalistes français dans divers pays, dont en Russie.

Le Président de la République serait donc bien avisé de cesser ces pratiques qui déshonorent sa fonction et le pays.

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.


(1) Kaplan S.L., La fin des corporations, Paris, Fayard, 2001

(2) Hugo V., Le Roi s'amuse, Paris, Ed. J. Hetzel, 1866 avec le discours de Victor Hugo prononcé devant le tribunal de commerce.

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