L'avion soviétique M-4 conçu pour transporter l'«arme des représailles» jusqu'aux USA

CC BY 3.0 / Boris Vasiljev / Myasishchev M-4 Bison
Myasishchev M-4 Bison - Sputnik Afrique
S'abonner
Le bombardier stratégique lourd M-4 a effectué son premier vol le 20 janvier 1953. Cet avion, que les Américains surnommaient «Bison», avait été conçu pour transporter l'«arme de représailles» jusqu'au territoire américain.

Le premier au monde

Le M-4 est né de la confrontation entre les deux superpuissances pendant la Guerre froide. Le bombardier, conçu spécialement pour transporter l'arme nucléaire jusqu'aux cibles principales sur le territoire de l'ennemi éventuel, devait pouvoir frapper les centres politiques, militaires et économiques des USA. L'avion a été introduit dans l'armée de l'air quelques mois plus tôt que son concurrent direct le bombardier stratégique américain B-52, ce qui fait de lui le premier vecteur intercontinental de l'arme nucléaire au monde à avoir été mis en service dans les forces armées.

La conception d'un bombardier intercontinental était une tâche extrêmement complexe. Pour la remplir, il fallait avant tout développer les caractéristiques techniques extraordinaires de l'avion. Dans son rapport remis au gouvernement soviétique,Vladimir Miassichtchev partageait son intention de construire un bombardier doté d'une autonomie de 11.000-12.000 km à une vitesse de 900 km/h. Cependant, lors des essais, la distance maximale parcourue par le M-4 était de seulement 9.500 km — ce qui ne permettait pas à l'appareil de voler jusqu'aux USA, de larguer les bombes et de revenir. L'unique moyen efficace d'y remédier était un ravitaillement en vol: le 8 février 1957, le M-4 a ainsi parcouru 14.500 km en 17 heures avec deux ravitaillements.

Nouveaux matériaux et nouvelles technologies

Plusieurs nouveaux matériaux et technologies ont été utilisés dans la conception du bombardier M-4, par exemple les alliages d'aluminium très résistants V65 et V95 — une première dans le développement d'un bombardier. Ces alliages possédaient une résistance accrue sans ajouter de poids à l'appareil, mais leur utilisation posait également des problèmes: à cause de leur rigidité trop élevée, les équipements et les pièces se désintégraient rapidement en raison de l'usure du matériau. Vladimir Miassichtchev est parvenu à réduire considérablement cette usure et à donner une bonne durée de vie à l'avion. Une autre innovation était le châssis: un train d'atterrissage monotrace avec deux supports, à l'époque peu étudié, a été choisi pour le M-4. Ce système permettait de gagner considérablement du poids par rapport au châssis tricycle classique. Le système de contrôle demandait également une approche créative car la sollicitation des mécanismes de contrôle dans un bombardier à réacteur dépassait largement les capacités physiques de l'homme. Pour régler ce problème, Vladimir Miassichtchev a utilisé un booster hydraulique. Toutefois, les nouvelles technologies furent aussi l'une des raisons du nombre élevé d'avaries sur le M-4. Elles étaient encore mal maîtrisées, c'est pourquoi il a fallu les mettre au point dans la pratique.

32 malheurs

La mise en service du nouveau bombardier s'est révélée très complexe. 32 avions de série ont été construits au total, dont trois se sont écrasés pendant les essais (entraînant la mort des équipages). De sérieux problèmes sont survenus avec le système de contrôle, qui tombait en panne et est resté pendant longtemps le principal problème du nouvel avion. L'appareil était considéré comme trop exigeant, l'atterrissage et le décollage de l'avion se terminaient souvent par des accidents, et les manipulations du manche étaient impossibles sans fournir un grand effort physique. Des problèmes survenaient également avec le châssis: on a rapporté plusieurs cas de non-fermeture ou de non-déploiement du train d'atterrissage. Les pilotes ont également rencontré de sérieux problèmes avec le système d'air conditionné: ils devaient voler dans une tenue chaude parce qu'à grande altitude, la température dans la cabine passait en-dessous de zéro. Les trois premières années d'exploitation ont été marquées par un grand nombre d'avaries et 6 catastrophes. Une révolte s'est même produite à Enguelsk: les femmes des pilotes sont sorties sur le tarmac pour protester contre les vols sur des appareils défaillants. Toutefois, les spécialistes faisaient remarquer que la mise au point de nouveaux modèles d'avions ne se passait jamais sans incidents, même quand il était question d'appareils devenus ensuite des modèles de fiabilité.

Armé et dangereux

Le M-4 était équipé d'un puissant complexe d'armement. Son arme principale était la bombe thermonucléaire RDS-37 d'une puissance de 2,9 Mt, capable d'anéantir toute une ville. L'avion pouvait également embarquer des bombes nucléaires et conventionnelles de moindre puissance, des mines navales, des torpilles et des bombes guidées UAB-2000F. Le poids opérationnel standard du M-4 s'élevait à 9 tonnes et son poids maximal était de 24 tonnes, soit le double par rapport au bombardier Tu-95. De plus, l'avion était équipé d'un puissant armement défensif: 9 canons de 23 mm NR-23 ou 6 canons de 23 mm AM-23 dans trois tourelles à canon double contrôlées à distance.

Ravitailleur universel

Pour atteindre l'autonomie nécessaire, le bombardier M-4 ne pouvait pas se passer d'un ravitaillement en vol, c'est pourquoi une attention particulière a été accordée à la modernisation de cette technologie. Le bureau d'étude 918 de Semen Alexeev a spécialement créé un système de ravitaillement baptisé Konous. Installé sur le M-4, il transformait ainsi le bombardier en cargo pétrolier. Les essais du système de ravitaillement ont duré trois ans (de 1955 à 1958) et ont été couronnés de succès. A l'époque, une version plus sophistiquée de ce bombardier est apparue — 3M — et il a été décidé de rééquiper tous les M-4 en ravitailleurs. Ces derniers, conçus sur la base des avions de Vladimir Miassichtchev, ont été exploités jusqu'au début des années 1990.

Records du monde

En 1959, les équipages de Nikolaï Gorianov et de Boris Stepanov ont établi huit records du monde à bord du bombardier 3M (modification du M-4). Par exemple, une cargaison de 10 tonnes a été portée à une altitude de 15.317 mètres, et une autre de 55.220 kg à 13.121 mètres. La même année, le M-4 (doté d'un moteur VD-7) contrôlé par l'équipage d'Anatoli Lipko a établi sept records du monde. Il a parcouru un itinéraire fermé avec une cargaison de 27.000 kg à une vitesse moyenne de 1.028 km/h.

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.

Fil d’actu
0
Pour participer aux discussions, identifiez-vous ou créez-vous un compte
loader
Chat
Заголовок открываемого материала