Réforme constitutionnelle de Macron: vers la fin de la République parlementaire?

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Limiter le droit d’amendement des parlementaires suivant l’importance de leur groupe, c’est l’une des pistes envisagées par le gouvernement dans sa réforme constitutionnelle. Si depuis, les députés d’opposition crient au scandale, pour l’avocat Régis de Castelnau, il s’agit bien d’une attaque en règle orchestrée contre le Parlement.

«D'une rare débilité et complètement démagogique»: Christian Jacob, Président du groupe LR à l'Assemblée nationale, n'y est pas allé par quatre chemins pour fustiger auprès de nos confrères de Libération le dernier projet de réforme pondu par l'exécutif: limiter le droit d'amendement des parlementaires, suivant l'importance de leur groupe. «On a affaire à un gouvernement de technocrates qui ne veulent pas être dérangés par les élus», ajoute-t-il encore.

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Le chef de file des Républicains à l'Assemblée n'est pas le seul à voir rouge après la présentation par le Premier ministre des pistes de sa réforme constitutionnelle. «Gravissime», estime le député communiste André Chassaigne, dans une interview à L'Obs. «On remplace les parlementaires par des pions qui seront au service de chacun des groupes, c'est absolument scandaleux!» commente pour sa part Jean-Yves Leconte, sénateur PS, depuis le plateau de Public Sénat, dénonçant «une audace sans limites» du gouvernement; «on s'attendait bien à ce que la réforme constitutionnelle ce soit finalement une réforme pour un petit parlement au service de l'exécutif, mais on n'attendait pas qu'ils aillent jusque-là», ajoute le sénateur.

«Cela limite le droit d'amendement, mais cela conditionne la possibilité pour les parlementaires d'amender à finalement leur soumission au groupe politique,»

résume le socialiste, pour qui «on attaque un fondement de la Constitution […] l'un des fondements c'est la liberté du parlementaire.» Un avis partagé par Gérard Longuet, Sénateur LR, lui-même ancien président du groupe UMP au Sénat, qui sur le même plateau relève «une perte de sang-froid de la part du gouvernement et une désinvolture à l'égard de la vie parlementaire.» Quant à l'ancien député Les Républicains, Jacques Myard, ce projet de réforme traduit une «volonté dictatoriale de contrôler le Parlement».

​Une volée de critiques que trouve «tout à fait fondée» Régis de Castelnau, avocat spécialiste du droit public, fondateur du Syndicat des avocats de France (SAF) et animateur du blog vu du droit, qui rappelle que les parlementaires représentent la Nation et non leur parti. Pour lui, «les mesures proposées par Edouard Philippe seraient incompatibles avec l'article 44.»

«C'est une hérésie dans l'histoire constitutionnelle de la France, qui est déjà assez agitée, mais je trouve que c'est une mesure profondément liberticide et qui témoigne d'une certaine désinvolture vis-à-vis de la fonction législative, dans le cadre de la séparation des pouvoirs. C'est une mauvaise action si elle est menée au bout.»

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Estimant que la situation prend une «tournure vraiment inquiétante», il s'étonne de la faiblesse des réactions politiques, espérant une réaction des Constitutionalistes, professeurs de droit, des magistrats du Conseil Constitutionnel ou encore du Conseil d'État ainsi que de l'ordre judiciaire. Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à Lille 2, qui dans une interview à Public Sénat estime également qu'il s'agit d'une mesure «contraire à la Constitution», évoquant également un tout autre document, cher à l'histoire récente française: l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, «qui dit que la loi est l'expression de la volonté générale».

«Je pense que ce qui est en train de se passer devrait être regardé avec beaucoup plus d'attention et surtout les politiques d'opposition devraient mesurer que le combat pour les libertés publiques- pour les libertés démocratiques —est le bon combat, sur lequel ils pourront rassembler, isoler le pouvoir actuel, parce que les tendances actuelles sont quand même des dérives très autoritaires et qui sont assez inquiétantes.»

Parmi les réactions de l'opposition, Régis de Castelnau évoque, en septembre 2017, celle de Clémentine Autain, députée de La France Insoumise (LFI), lorsque celle-ci s'était opposée à la levée de l'immunité parlementaire de Gilbert Collard, député Front national (FN), soulignant, au-delà des conditions du vote, les dérives auxquelles une telle décision pourrait conduire, le bureau de l'Assemblée nationale ne «statuant pas sur le fond» selon elle.

Le tort du député frontiste était d'avoir publié — en réaction au parallèle dressé par Jean-Jacques Bourdin entre les objectifs poursuivis par le Front national et celui de l'organisation islamique terroriste — la photo d'une victime de Daech sur Twitter, accompagné du texte «Bourdin compare le FN à Daech: le poids des mots et le choc des bobos!»

«Emmanuel Macron faisait le Bonaparte au petit-pied, c'est-à-dire que grâce à des circonstances particulières, il a été élu par défaut. Il est devenu Président de la République alors qu'il n'avait aucune expérience politique et que personne ne le connaissait et là il est en train d'essayer de mettre en place un dispositif qui permette à la caste qui l'a soutenu et qui l'a financé de mettre en œuvre le programme politique et économique qui est le sien. Pour cela, ils ont besoin d'outils institutionnels qui ne sont pas ceux d'une République démocratique parlementaire.»

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Une absence d'opposition sérieuse —«à reconstruire» depuis les échéances électorales des mois de mai et juin derniers- qui conforte l'avocat dans sa position. Pour lui, il ne s'agit pas à proprement parler de museler l'opposition, «ce n'est pas quelqu'un, telle ou telle tendance politique, qui est visée, c'est le Parlement globalement.»

Face à cela, l'exécutif justifie le projet de réforme au nom du programme électoral d'Emmanuel Macron ou encore par le pragmatisme dont feraient part les députés de la majorité venus «du monde de l'entreprise» et décontenancés par tous ces débats. «On se moque de nous!» rapporteraient-ils ainsi à l'exécutif d'après Libération. Pour le gouvernement, les choses sont claires, il faut rendre la fabrique de la loi plus «efficace» en restreignant le droit d'amendement.

«Quand on voit les milliards engagés, quand on voit les millions de Français concernés par un texte, est-ce que cela ne vaut pas la peine, une, deux, trois nuits?», s'interroge Gérard Longuet sur le plateau de Public Sénat.

Une mesure contraire aux principes de la démocratie représentative, estime en revanche maître de Castelnau, d'autant plus qu'elle s'inscrit dans un contexte «catastrophique» pour le Parlement.

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En effet, au-delà des taux d'abstention record qui ont accompagné les élections législatives et avant elles les présidentielles, c'est toute une génération de novices en matière de politique qui a investi le Palais Bourbon. Ignorance des pratiques parlementaires et du règlement de l'Assemblée, assiduité aux travaux parlementaires très faible, méconnaissance des lois à modifier… son impact sur le travail parlementaire se fait ressentir.

Cependant, l'affaiblissement du Parlement ne date pas que de l'actuelle législature. Comme le souligne l'avocat, le Parlement fut affaibli sous le mandat de Lionel Jospin, alors Premier ministre (1997-2002), qui en 2000 avait fait voter un projet de réforme constitutionnelle soumis par Valéry Giscard d'Estaing, visant à réduire la durée du mandat présidentiel à 5 ans, mettant fin à près de 130 ans de septennat.

«Ce qui fait que les Français ont pris l'habitude- on l'a vu en 2017- après avoir élu leur Président, on lui donne les moyens de gouverner. Pourquoi pas, je pense que ce n'est pas une mauvaise façon de voir les choses. Le problème c'est qu'accentuer cette dimension- c'est-à-dire un Parlement pour permettre au Président de diriger l'exécutif- ce n'est pas tout à fait l'esprit de la constitution de 1958, où le Président était un arbitre un peu au-dessus. Il y avait le gouvernement, le Parlement et tout cela était surplombé par le Président de la République. On a, aujourd'hui, transformé la fonction de Président en super-Premier ministre.»

Le droit d'amendement d'un député proportionnel à la taille de son groupe parlementaire, une piste similaire à celle de la réforme du temps de parole officiel des partis politiques lors les prochaines européennes en proportion à leur taille au Parlement, annoncée en janvier. Une mesure qui avait alors été décriée comme visant à museler l'opposition, l'exposition médiatique et les résultats électoraux étant corrélés. De fait, la mesure semblait viser le FN, qui obtient généralement de bons scores lors de ces élections, alors que LREM, de loin le groupe le, plus important au Palais Bourbon a tout à prouver au Parlement de Strasbourg.

On notera également le recours de plus en plus systématique aux ordonnances, ou encore —récemment- à l'article 44.3 de la Constitution qui a permis au gouvernement de bloquer le vote d'une proposition de loi communiste visant à revaloriser les retraites agricoles —un fait dénoncé comme un «coup de force» par tous les groupes politiques du Sénat. Un coup de force qui relève, selon maître de Castelnau, d'une «démarche générale», de la «tendance de ce nouveau pouvoir à renforcer l'exécutif».

«Je crois qu'il faut être clair, quand on voit comment cela fonctionne, ce pays est gouverné par six personnes. Vous avez le Président de la République, le secrétaire général de l'Élysée, quatre ou cinq collaborateurs. Chaque ministre est doublé d'un conseiller à l'Élysée (Affaires étrangères, etc.) et tous les gens qui travaillent dans l'influence, dans la relation avec l'exécutif savent très bien que ce n'est plus la peine de voir les ministres, il faut aller voir les conseillers du Président. Qui en plus, lui, est directement issu de la haute fonction publique et il travaille avec cette haute fonction publique, dont le noyau dur est situé à Bercy. C'est une mutation institutionnelle de grande ampleur qui est en train d'essayer d'être mise en place et la mesure proposée par Edouard Philippe va dans ce sens-là.»

Reste à savoir ce qu'en pensent les Français. D'après un sondage Odoxa publié le 8 mars, dont on pourrait s'interroger sur la conclusion au regard des questions posées, 82% d'entre eux seraient favorables à cette réforme.

En effet, comme dans le cas de la réforme du rail, où l'accent était médiatiquement mis sur statut des cheminots et de la SNCF- et non sur les conséquences tarifaires pour les usagers ou encore les questions de souveraineté-, le sondage porte sur des éléments qui ne peuvent que séduire: à savoir la réduction d'un tiers du nombre de parlementaires (91%), la limitation du nombre de mandats consécutifs à trois (86%) et l'introduction de proportionnelle aux élections législatives (68%). Nulle part, il n'est mention de la réforme du pouvoir d'amendement des parlementaires…

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