Occupation de la Basilique St-Denis: profanation ou simple manifestation?

© AFP 2023 Christophe ArchambaultBasilique Saint-Denis
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Profanation «de la nécropole de nos Rois»? Violation d’un lieu de culte? Simple manifestation? La polémique enfle autour de l’occupation, dimanche 18 mars, de la Basilique Saint-Denis pour faire réagir les pouvoirs publics sur la situation des personnes en situation irrégulière et pour dénoncer la future loi Asile et Immigration. Analyse.

​À l'instar de nombre de dirigeants politiques du FN et de quelques personnalités politiques LR, Marine Le Pen a réagi sur Tweeter pour condamner l'implication du député de La France Insoumise (LFI) dans l'action de militants pro-migrants, qui ont investi la Basilique Saint-Denis dimanche 18 mars. Si le terme de «profanation» a été largement repris pour qualifier l'irruption sauvage dans cet édifice multiséculaire, il convient tout d'abord de revenir sur les faits.

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Dans l'après-midi du dimanche 18 mars, aux alentours de 15 h —alors qu'aucun office n'était en cours, signalons-le- entre 80 (selon la plupart des médias) et 150 (selon l'un des organisateurs) personnes pénètrent dans la Basilique Saint-Denis afin de dénoncer la future loi gouvernementale Asile et Immigration. Mégaphone à la main, hurlement de slogan, déploiement de banderoles, l'association qui a organisé cette action n'est pas à son premier coup d'éclat. En effet, des manifestations en faveur de personnes en situation irrégulière a déjà eu lieu en 1996 et en 1998, respectivement dans les églises Saint-Bernard à Paris et Saint-André à Bobigny et la liste est loin d'être exhaustive. Au-delà de ce constat historique, Saint-Denis, en tant que ville phare de la lutte contre le traitement des clandestins, n'a pas été choisi par hasard, comme le rappelle le président de la Coordination Sans-Papiers du 93, Pierre Garelli, l'un des organisateurs de la manifestation du 18 mars:

«Pourquoi Saint-Denis? Parce que dans la ville, il y a un grand nombre de sans-papiers. Notre association est une association extrêmement importante et donc, il s'agit de marquer dans la ville.
Deuxièmement, dans cette ville, il y a des éléments de solidarité qui viennent de plusieurs endroits, en particulier chez les catholiques, et pas que, d'autres endroits.»

Mais alors pourquoi manifester dans la Basilique Saint-Denis?

«Tout simplement parce qu'il existe une histoire dans ce pays où l'Église a accueilli souvent, très souvent, les gens le plus en difficulté pour leur permettre de pouvoir souffler, de pouvoir s'exprimer. Cela fait partie de l'histoire de notre pays. Et donc cela n'est pas gênant que des sans-papiers et que des gens qui sont en très grande difficulté puissent rentrer dans une église pour être accueillis et pour pouvoir donner leur situation.»

À l'instar de Pierre Garelli, le délégué à la communication du diocèse de Saint-Denis, Bruno Rastoin dresse un constat similaire:

«La Basilique cathédrale Saint-Denis est devenue un lieu emblématique de la lutte des sans-papiers depuis une occupation qui a fait date en 2002. L'occupation de dimanche explique le lieu.»

La manifestation a donc eu lieu dans une église et comme c'est un bâtiment public, sous la tutelle de l'État, les forces de l'ordre sont donc intervenues, comme le relate Pierre Garelli:

«Nous sommes rentrés, on était environ 150 et nous y sommes restés un petit moment à dire nos mots d'ordre sur: régulariser, meilleur accueil dans les préfectures, etc. Et au bout de 15, 20, 30 minutes, la police est arrivée.»

Pierre Garelli, qui conteste mollement la version qui prétend que lui ou ses camarades ont empêché la police de rentrer dans l'édifice, ajoute:

«On a essayé de discuter. Il y a eu une bousculade, j'allais tomber et je me suis accroché à un policier qui m'a ensuite mis par terre. Il m'a menotté. […] Je n'ai pas été frappé ni blessé. Mais il y a eu deux personnes qui ont été assez gravement blessées puisqu'elles ont dû aller aux urgences à la clinique de l'Estrée. Et plusieurs autres personnes ont reçu gaz lacrymogène, coups de matraque et même des coups de pieds par la police.»

Des vidéos confirment les moyens utilisés par les forces de l'ordre pour faire déguerpir les militants. La police a donc appréhendé Pierre Garelli et seulement Pierre Garelli alors que rappelons-le, des dizaines de personnes hors-la-loi étaient bien présentes dans la Basilique.

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L'organisateur qui a eu «des heures, des heures, des heures et des heures d'audition» et qui risque d'effectuer un «stage de citoyenneté» est sorti du commissariat quelques heures plus tard avec l'aide du député de la République Éric Coquerel, élu de La France Insoumise (LFI), qui était présent sur les lieux, et du 3e adjoint de la mairie de Saint-Denis Bally Bagayoko:

«Oui, le député Éric Coquerel était présent et lors de mon arrestation, il est resté avec les soutiens qui était en dehors du commissariat et qui m'attendaient donc il est resté avec eux pendant un bon moment et il est intervenu auprès du préfet, auprès du commissaire, pour essayer de me faire sortir.»

Si le diocèse, qui était averti d'après Pierre Garelli, n'a toujours pas officiellement condamné la manifestation dans la Basilique, le soutien de Bally Bagayoko à l'événement explique peut-être pourquoi la mairie, qui a été contactée par Sputnik, n'a pas non plus souhaité réagir.

La présence d'élus et particulièrement celle d'Éric Coquerel, ancien professionnel de la communication, a alimenté les dénonciations et les critiques comme le souligne le tweet ci-dessus. Peu connu pour ses prises de position en faveur de l'Église, Éric Coquerel n'a pourtant pas hésité à se draper dans les propos du Pape pour répondre à Marine Le Pen:

​Ainsi, pour ce député LFI, l'Église est du côté du droit d'asile. Si en effet, l'institution ecclésiale s'est toujours prononcée —et ce de manière encore plus soutenue avec le Pape François- en faveur de l'accueil des immigrés, en aucun cas, elle ne peut accepter des coups politico-médiatiques, qui sont un manque de respect comme le souligne le très médiatique curé de Saint-Cyr-l'École: 

​Pour autant, Pierre Garelli nie l'utilisation du terme manifestation pour son action dans la Basilique Saint-Denis:

«On n'a pas manifesté, on est simplement rentré dans la Basilique. […] Oui il y avait des banderoles, un mégaphone à l'intérieur, etc., mais nous n'avons pas manifesté sur la voie publique.»

Si l'organisateur semble jouer sur les mots, il rejette totalement les critiques qui dénonceraient la «profanation», la «violation», le «saccage», etc. Rappelons, tout d'abord, que d'après le représentant des migrants, il n'y aurait eu «aucune dégradation», des propos confirmés par le représentant du diocèse.

Mais alors, il y a-t-il eu profanation?

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Est-ce que cette action, cette manifestation à des fins politiques, médiatiques et sociales, dans une église, dans un édifice vieux de plus de 1.300 ans, où reposent les dépouilles de 43 Rois et 32 Reines de France et surtout où est présent un tabernacle rendant ce lieu sacré pour des millions de personnes, est une profanation?

Si Pierre Garelli justifie ses agissements ainsi:

«Il y a aussi des chants dans les églises et que les sans-papiers chantent aussi, il n'y a rien pour moi d'inconvenant, même de déployer une banderole. On exprime comme on peut sa douleur, on exprime comme on peut sa volonté de transformer une situation. Et dans une église, oui, on le montre, c'est tout simple.»

Un prêtre qui a souhaité rester dans l'anonymat répond à cette interrogation:

«Une profanation? Non, pas vraiment. Au sens propre, il faudrait qu'ils se soient attaqués au tabernacle, souillé l'église, les tombeaux ou porté atteinte réellement au caractère catholique ou aux choses sacrées, par leurs paroles ou par leurs actes. […] Là, on est dans une occupation ou une manifestation qui n'est pas en adéquation avec le caractère sacré du lieu voué au culte.»

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