Huile d’olive tunisienne contaminée? «On n’est pas complotistes, mais faut pas en abuser»

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Quoiqu’ayant le vent en poupe en Europe, où elle est très demandée, l’huile d’olive tunisienne essuie des critiques récurrentes, souvent par médias interposés, depuis l’autre rive de la Méditerranée. Dans ce pays désormais coutumier des piques européennes, on estime qu’il y a, là encore, anguille sous roche.

«Qui veut souiller notre or vert?», «Qu'y a-t-il derrière cette attaque contre l'huile d'olive tunisienne?» s'indignaient ces derniers jours des quotidiens tunisiens. La «souillure» en question était l'«incartade» d'une enquête de 60 Millions de consommateurs, un magazine édité par l'Institut national de la consommation (INC) français tirant à plusieurs milliers d'exemplaires. L'huile d'olive bio tunisienne serait «des plus contaminées», soutient ce magazine, en résidus plastifiants, appelés «phtalates», réputés pour leur toxicité, voire leurs effets cancérigènes.

​Riposte presqu'immédiate du ministère tunisien de l'Agriculture. Non seulement il n'existe aucune norme nationale, européenne ou internationale contraignante fixant un seuil maximal pour les phtalates dans l'huile d'olive bio, mais en plus, la quantité relevée dans les échantillons en question ne dépassait pas les 0.7 mg/kg. Soit bien en-deçà de la seule recommandation, non contraignante au demeurant, suggérée par quelques rares organismes spécialisés.

Par ailleurs,
«On se rend compte que les 3 produits présentés comme étant d'origine tunisienne, sont en fait des marques françaises: Bio Planète, L'olivier heureux et la Marque Repère Bio Village du distributeur E. Leclerc. Ceci veut dire, que l'huile d'olive est probablement d'origine tunisienne mais n'a pas été conditionnée en Tunisie; elle a été exportée en vrac et conditionnée en France ou ailleurs», suggère Bio Tunisia organic, une page de consommateurs de produits bio.

Une hypothèse « plausible», juge Samia Maamer, Directrice générale au sein du ministère tunisien de l'Agriculture, contactée par Sputnik. Son département a d'ailleurs indiqué qu'il adresserait une requête à l'établissement français concerné, qui opère sous la tutelle du ministre du Commerce, pour exiger que lumière soit faite sur la méthodologie employée par les responsables de ce magazine et ayant conduit à ces conclusions. Toutefois,

«En tant qu'autorité compétente, on collabore avec OFIS (Organic Farming Information System, ndlr), un système d'alerte de l'Union européenne. A chaque fois qu'il y a une alerte sur un produit, on reçoit automatiquement une notification de la Commission européenne. On examine, alors, les problèmes invoqués, selon des procédures qui nous permettent même de suspendre les exportations lorsqu'il le faut. On revient, ensuite, avec nos conclusions vers la Commission européenne pour «clôturer l'alerte». Or, en l'espèce, il n'y a eu aucune alerte, mais juste cet article! C'est quand même douteux que l'établissement public en question n'ait pas jugé bon de notifier ce défaut présumé à la Commission européenne comme cela doit se faire!», s'indigne Samia Maamer.

«Douteux»? La question se pose pour beaucoup de Tunisiens qui ont pris l'habitude, depuis un moment, d'esquiver les «coups bas» des pays européens. Liste noire des paradis fiscaux, liste noire des pays à haut risque en matière de financement du terrorisme. Des «malentendus», soutenait-on, jusqu'alors, chez les officiels.

«Il faut dire que nous ne sommes pas exempts de manquements. C'est pour cela qu'on préfère présenter ce qui peut entacher nos rapports avec nos partenaires européens sous l'angle du malentendu, plutôt que celui de l'acharnement. Mais bon, il ne faut pas abuser non plus…!», lâchera, pour sa part, un fonctionnaire tunisien.

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En matière de tâches d'huile, c'est précisément loin d'être un coup de Trafalgar. Deux ans avant l'INC français, c'était des médias italiens qui avaient remis en cause la qualité de l'huile d'olive tunisienne. Curieusement, relèvent les mauvaises langues des milieux de l'huile d'olive en Tunisie, l'Italie et la France sont aussi celles qui importent, à elles seules, plus de la moitié de la production d'huile d'olive bio tunisienne. Contacté par Sputnik, Faouzi Zayani, vice-président du syndicat des agriculteurs tunisiens, n'y va pas avec le dos de la cuiller. Il estime qu'à travers «cette manœuvre», intervenue dans «un timing très particulier», on veut frapper la réputation de l'huile d'olive tunisienne pour l'acheter encore moins cher. Et pour cause,

«Il y a aujourd'hui sur le marché mondial une demande croissante d'huile d'olive, notamment bio. L'huile d'olive tunisienne, en particulier, est très demandée en Europe, d'autant plus qu'elle se prête au coupage pour atténuer l'acidité de certaines variétés européennes», a déclaré ce responsable syndical.

Narjess Babay, consultante en communication et elle-même productrice d'une marque d'huile d'olive, abonde dans le même sens. Elle considère que si la réputation des produits tunisiens est entachée, des marchés très exigeants, comme les Etats-Unis et le Japon, s'en détourneront. «On sera, alors, obligé de brader…et c'est là que les importateurs européens pourront réaliser des plus-values allant jusqu'à 300% ou 400%. Ces campagnes sont donc la preuve que l'huile d'olive tunisienne commence à déranger, pour sa qualité exceptionnelle», estime-t-elle.

«La particularité de l'huile tunisienne, riche en polyphénol, c'est qu'elle se base sur des variétés autochtones centenaires qui n'atteignent leur vitesse de croisière qu'au bout de quelques dizaines d'années. Cela n'a rien à voir avec la culture intensive pratiquée ailleurs, avec des arbres productifs au bout de deux années seulement, mais dont la durée de vie est très réduite», a précisé Babay, dont la marque recevra dans les prochains jours une distinction à Paris.

Témoignent en effet de cette « qualité exceptionnelle » les différentes distinctions internationales que l'huile d'olive tunisienne reçoit fréquemment, rappellent des responsables tunisiens.

​Toutefois, pour Abdel Aziz Hali, responsable du site mangeonsbien.com, la nuance doit être de mise.

«On oublie seulement de mentionner que dans chacune de ces compétitions, on distribue parfois jusqu'à des centaines de médailles! On est donc loin d'un schéma selon lequel l'huile d'olive tunisienne est numéro 1 sur le marché mondial! Par contre, cette façon de faire rappelle d'anciennes pratiques, qui avaient tendance à gonfler les exploits, tout en étant hermétique au changement», soutient ce journaliste spécialisé dans la gastronomie, la diététique et les produits du terroir tunisien.

Tout en reconnaissant que «le ministère de l'agriculture a eu raison» de soulever l'absence de réglementation internationale sur les phtalates, Hali n'exclut pas qu'une «contamination mineure» ait pu s'effectuer en Tunisie. «Le problème pourrait bien se situer au niveau des matériels d'extraction qui ne sont pas destinés exclusivement à la production bio. C'est à dire, un matériel qui a pu servir à produire une huile d'olive normale avant d'être utilisé pour l'extraction bio. Il suffit d'un rien pour que les propriétés organoleptiques de l'huile d'olive soient altérées: un simple boulon qui se trouve en contact avec l'huile extraite, un stockage qui dépasse une durée précise dans des bidons en plastique. Des «accidents» au demeurant tout à fait possibles vu la vétusté des huileries en Tunisie et dont «plusieurs ne sont pas conformes aux normes internationales ou européennes en matière d'extraction d'huile d'olive vierge extra», précise Abdel Aziz Hali, qui soulève, par ailleurs, une «procédure opaque» de production, rendant difficile la traçabilité de l'huile d'olive bio en Tunisie.

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Retour à Narjess Babay, qui s'apprête à rejoindre Paris pour recevoir son prix de l'Agence pour la valorisation des produits agricoles (AVPA). La productrice tunisienne espère que pourrait intervenir, à temps, une riposte «efficace et convaincante» des autorités tunisiennes, pour protéger le joyau de l'agriculture locale. Dans son communiqué, le ministère de l'agriculture «s'est réservé le droit de poursuivre quiconque serait tenté de ternir l'image du produit tunisien». Pour Samia Maamer, la Directrice générale du ministère de l'agriculture, chaque malheur a du bon: « C'est finalement une bonne chose. Jusque-là, on n'a pas eu la possibilité de mener une belle campagne pour l'huile d'olive bio tunisienne en France. Maintenant, on va le faire!» 

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