MBS en France: dans les coulisses des ventes d’armes françaises à l’Arabie saoudite

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«Quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup». Un dicton qui pourrait s’appliquer à la prochaine liquidation de la société ODAS, un intermédiaire semi-étatique pour les ventes d’armes entre la France et l’Arabie saoudite. Mohammed ben Salmane, en visite à Paris, en serait-il à l’origine? La situation est en réalité plus complexe. Analyse.

Mohammed ben Salmane, prince héritier d'Arabie saoudite et nouvel homme fort du Royaume est en France. Sa visite s'inscrit dans une large démarche de réassurance des alliances saoudiennes: Paris vient après Londres et à Washington.

​Pourtant, derrière le dîner privé au Louvre, les rencontres officielles et les communiqués policés, son séjour à Paris remet au premier plan la suppression programmée de la société ODAS. Codétenue par l'État français et de gros industriels de l'armement, l'entreprise, qui servait d'intermédiaire dans les échanges entre la France et l'Arabie saoudite pour la vente d'armes, sera prochainement liquidée, sur décision du gouvernement. Si l'information n'est pas encore officielle, les évènements de ces derniers mois la confirment, comme l'ont notamment relevé nos confrères de Challenges.

Lorsqu'on évoque les contrats d'armements, on parle de Secret défense, d'enjeux politiques et géopolitiques incertains et le plus souvent d'opacité caractérisée. Le cas de la société ODAS pourrait à ce titre devenir un cas d'école. En tout cas, Tony Fortin, membre du Conseil d'administration de l'Observatoire des armements, voit en cette suppression une bonne nouvelle:

«Les sociétés intermédiaires dans les contrats d'armements posent d'évidentes questions par rapport à d'éventuelles commissions qui pourraient être versées dans le cadre d'un certain nombre de contrats et évidemment sur la légalité de ce type de société, dans la mesure où l'on n'a aucune transparence sur ces activités comme le contenu des contrats d'armement.»

Notre expert sur le marché des armes ajoute:

«On ne sait pas du tout ce qui est livré, pas d'informations sur les quantités, les spécificités du matériel dans le rapport au Parlement qui paraît tous les ans. […] Donc, a priori, la suppression de cette société est plutôt une bonne nouvelle.»

Tony Fortin, qui redoute les commissions et donc potentiellement la corruption, dénonce un problème de légalité, rappelant l'existence de «la convention l'OCDE de 1997, qui interdit toutes formes de financements d'argent public.»
Cette possible inégalité pourrait être la cause de la suppression d'ODAS?

Si Tony Fortin n'y voit pas une cause directe, le contexte international et national de la guerre au Yémen pourrait tout de même expliquer cette décision politique. En effet, la France vend des armes aux pays de la coalition en guerre contre les rebelles du Yémen et principalement à l'Arabie saoudite. De plus, des armes fabriquées pour le Liban, mais majoritairement récupérées par l'Arabie saoudite dans le cadre du contrat DONAS («Don Arabie saoudite», les équipements initialement destinés à l'armée libanaise étant financés par Ryad) seraient utilisées par Ryad dans la guerre au Yémen, comme le souligne Tony Fortin:

«Un certain nombre d'armements qui a été livré à l'Arabie saoudite et aux autres partenaires de la coalition étaient initialement destinés au Liban. Les industriels qui travaillaient sur ces armements le faisaient dans le cadre du contrat DONAS […]. On sait que la majeure partie (75 à 80%) de ces armements aujourd'hui sont utilisés au Yémen par les forces saoudiennes.»

Si cette situation semble problématique à certains observateurs, aucune commission internationale n'a encore vu le jour pour étudier le respect des lois internationales, malgré certaines déclarations dans ce sens aux Nations unies. Cependant, en France, la pression sur le gouvernement semble réelle depuis que le Palais Bourbon s'est emparé de l'affaire:

«Tout ce débat-là touche quand même un débat démocratique qui n'est jamais posé comme tel. Quand on parle de l'ODAS, on doit quand même s'interroger sur l'existence de cette société et sa mission»,

explique Tony Fortin, qui ajoute:

«Il est important que les parlementaires français, eux-mêmes, posent ces questions, par le biais notamment de la commission d'enquête parlementaire, qui a fait l'objet d'une demande par la proposition du député Sébastien Nadot, qui a été rejoint pas 15 autres députés LREM.»

Le gouvernement commence donc à subir une certaine pression de la part d'hommes politiques, mais aussi d'ONG, comme l'illustre la dénonciation d'Amnesty International, le 19 mars dernier. De plus, la pression proviendrait aussi de la part des industriels directement concernés par ces ventes opaques, qui les mettent mal à l'aise. Pour rappel, la société ODAS est détenue par l'État pour 34%, le reste étant contrôlé par les grandes industries de l'armement en France (Airbus, Thalès, Dassault, Nexter, etc.):

«Les industriels français travaillaient depuis 2011 sur de l'armement dont ils pensaient qu'il allait protéger le Liban, servir à la lutte contre le terrorisme […] Et en 2015, on [le gouvernement, ndlr] demande à ces personnes d'adapter le matériel sur lesquelles elles travaillent aux conditions du Yémen. Un certain nombre d'industriels ont été surpris que les armements sur lesquels ils travaillaient soient destinés in fine à bombarder les populations civiles.»

Mais outre un possible désaccord d'un «certain nombre d'industriels surpris», nos confrères de Challenges soulignent, témoignages à l'appui, que «même ses actionnaires conseillaient de ne pas passer par ODAS». L'autre raison de cette pression venant des industriels, outre le problème d'éthique précédemment abordé, serait la position du prince hériter sur l'achat d'armements français à travers l'entreprise parapublique ODAS.

En effet, dès 2015, alors que son pouvoir s'étend dans le royaume saoudien et qu'il prend la fonction de ministre de la Défense, MBS entend en finir avec un système accepté par son prédécesseur, selon un industriel relayé par Challenges en juillet 2017: «Pour MBS, ODAS n'est rien d'autre que la crèmerie de l'ancien ministre de la Défense Sultan ben Abdelaziz. Les Saoudiens ne veulent plus d'intermédiaires étatiques. Ils ont l'impression que s'ils ne passent pas par ODAS, ils auront un meilleur prix.»

Mais alors Florence Parly —qui n'avait pas été très convaincante en février dernier- et le gouvernement français décideraient-ils de supprimer ODAS pour contenter MBS? Si ce n'est pas la seule raison de cette décision, il semble évident que pour vendre un produit, il faut se mettre d'accord avec l'acheteur. Le client est roi et le roi —de facto- d'Arabie saoudite est MBS. qui semble de fait totalement contrôler les échanges avec la France, notamment en matière d'armement. Mais après avoir donc récupéré la commande à destination du Liban, MBS se tourne davantage vers les concurrents des industriels français. Le journaliste Michel Cabirol, fin observateur du monde la Défense pour la Tribune, avait quelque peu anticipé les préférences de MBS en mai 2017. Tony Fortin considère que c'est la politique même de la France, une politique de dépendance, qui a permis ce contrôle démesuré par MBS:

«C'est une dépendance qu'on a nous-mêmes créée. Elle est la résultante de choix politiques, qui sont délibérés de notre part. Cette idée qu'effectivement, en entretenant un partenariat stratégique avec l'Arabie saoudite, en lui vendant des armes, la France va pouvoir rayonner au niveau international, au Moyen-Orient, accéder à de nouveaux contrats économiques, etc.»

Tony Fortin, après avoir précisé que les ventes d'armes étaient une part «très minoritaire» des échanges économiques entre Paris et Ryad, ajoute:

«Il est possible de changer de politique de vente d'armes. Cela, c'est ce que le pouvoir ne dit pas. C'est ce qu'il cherche au contraire à contester comme idée, et pourtant c'est tout à fait possible. […] Mais ce sont toujours les intérêts économiques de court terme, la vente de tel type d'armement qui est promu, plutôt que des enjeux à long terme.»

Si Jean-Yves le Drian n'avait pas réagi en 2015 à la décision de MBS de se passer des services d'ODAS, Florence Parly, à la probable demande de l'Élysée et de Matignon, devrait donc clore ce chapitre en supprimant la société. Il sera donc fort intéressant d'observer les prochaines ventes entre Ryad et Paris dans le domaine de l'armement.

Si la venue de MBS pourrait être pour la France une occasion de démarrer un «nouveau partenariat stratégique», selon l'Élysée, il y a encore loin de la coupe aux lèvres. Outre le secteur de l'armement en berne malgré des annonces fracassantes —pas toujours concrétisées, il est vrai-, on pourrait craindre que cette visite ne donne pas les résultats escomptés sur le plan économique. En effet, les contrats devraient être modestes, mais là encore, l'Élysée préfère expliquer que le plus important est la «nouvelle coopération» envisagée selon «une vision commune». On attend donc avec impatience de voir que vont donner les échanges sur les Droits de l'Homme entre Paris et Ryad:

​Pour rappel, MBS devrait passer entre 48 et 72 h en France, alors qu'il a séjourné près de trois semaines chez son allié américain. Emmanuel Macron sera-t-il aussi content que Donald Trump d'avoir reçu recevoir l'intouchable MBS?

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