Macron, dépassé et aveuglé dans sa relation avec l’Arabie saoudite de MBS

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Après Londres et Washington, le prince héritier d’Arabie saoudite a passé trois jours à Paris. Une visite qui a plus tenu du séjour touristique et culturel que de la rencontre stratégique, pourtant affirmée par Macron. Cette courte visite d’État pourrait bien mettre en lumière les fragilités économiques et politiques françaises. Analyse.

Une exposition et un dîner au Louvre avec Macron, un autre avec ses homologues libanais et marocain, des selfies pour immortaliser ces moments, le prince héritier d'Arabie saoudite, Mohemmend Ben Salmane, dit «MBS» semble avoir bien profité de sa courte visite à Paris. Mais a-t-il pris le temps de développer la relation franco-saoudienne? Va-t-il investir considérablement dans notre pays, comme il l'a fait aux États-Unis?

«La France reste le symbole du luxe et de la culture, mais au niveau politique et géopolitique c'est autre chose… Car signer des accords culturels signifie souvent qu'on ne peut pas signer autre chose…»

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Les propos de Roland Lombardi, analyste spécialiste des relations internationales, notamment au Moyen-Orient, pourrait résumer de manière un peu cinglante le bilan de la visite de MBS à Paris. En effet, même si la France annonce officiellement la signature de 18 milliards de contrats avec l'Arabie saoudite, selon les déclarations du Président Macron, l'économie n'était pas le point central de cette visite. Le domaine des «affaires» pourrait être davantage développé lors de la visite de Macron à Riyad avant la fin de l'année 2018.

Il en résulte donc que la visite de MBS a permis la signature de nouveaux partenariats culturels entre les deux pays: un nouvel orchestre et un opéra, un accord concernant le Festival de Cannes. De plus, le gouvernement met en lumière un accord pour le développement culturel et touristique de la région d'Al-Ula, très riche en patrimoine.

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Même si la liste n'est pas exhaustive et qu'il convient de ne pas marginaliser ces opérations bilatérales, Olivier da Lage, journaliste et spécialiste des pays du Golfe, dresse lui aussi un constat sévère:

«Faute de choix, Paris fait bonne figure, en espérant mieux à l'avenir. Emmanuel Macron devrait se rendre en fin d'année à Riyad et l'Élysée espère qu'à cette occasion, les grands contrats seront au rendez-vous.»

Si le séjour du nouvel homme fort du Royaume ne semble donc pas être un grand succès pour la France, l'Élysée a rapidement mis en avant le «nouveau partenariat stratégique» entre les deux pays. Emmanuel Macron, s'il se défend de ce manque de «gros contrats», a usé de la même dialectique lors de sa conférence de presse avec MBS ce 10 avril en évoquant un «partenariat dans la durée», «une vision commune», etc.
Rappelant, comme Roland Lombardi, que MBS est à Paris parce que la France est un membre du Conseil de Sécurité de l'ONU, impliquant nécessairement de bons rapports, Olivier da Lage livre son point de vue sans détour:

«MBS, qui est fasciné par les États-Unis, voit la France comme une puissance moyenne à qui il peut donner pour instruction de rompre ses relations commerciales avec l'Iran. Mais sur ce point, Macron a tenu bon.»

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En effet, si les contrats bilatéraux sont loin d'être mirifiques, la situation politique géopolitique du Moyen-Orient semble avoir été un enjeu de cette visite. Après la crise libanaise de novembre dernier, où Macron et MBS étaient les principaux protagonistes, la question iranienne pourrait compliquer les relations la France et l'Arabie saoudite. Ennemi juré de Téhéran, Riyad cherche à enclaver l'Iran et MBS semble ne pas voir d'un bon œil l'appui d'Emmanuel Macron à l'accord sur le nucléaire iranien signé en 2015. Si Olivier da Lage rappelle que «les relations entre Paris et Téhéran sont encore assez difficiles», Roland Lombardi estime que la position française n'aide pas l'évolution positive de la relation franco-saoudienne:

«Concernant l'Iran, grand adversaire géopolitique de l'Arabie saoudite, la France fut un des signataires de l'accord le plus sévère, mais actuellement l'Iran représente un immense marché où les sociétés françaises souhaiteraient trouver leur compte… d'où une position très mal à l'aise des autorités françaises…»

Une thèse aussi confirmée par Georges Malbrunot, journaliste au Figaro:

​La position d'Emmanuel Macron sur l'accord nucléaire iranien diffère quelque peu de celle établie par François Hollande et Barack Obama en 2015.

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Si Emmanuel Macron souhaite durcir l'accord sur le nucléaire iranien, il a néanmoins rappelé à MBS, qui est un farouche opposant de l'accord de Vienne, que ses signataires s'étaient engagés à le mettre en œuvre. Les deux hommes ont d'ailleurs assumé de manière cordiale leur différend sur ce point.

Il faut dire que par ailleurs, le Prince héritier a toutes les raisons d'être satisfait de la position française —ou de l'absence de position, en l'occurrence- sur la terrible guerre au Yémen. Rolland Lombardi précise que:

«La France est un grand fournisseur d'armes aux forces saoudiennes engagées au Yémen… Et pour des raisons bassement commerciales, la France est d'ailleurs silencieuse…»

En effet, alors que Paris a livré beaucoup d'armements à l'Arabie saoudite ces dernières années —rappelons d'ailleurs que l'avenir devrait être bien différent-, Emmanuel Macron semble avoir largement contenté son homologue saoudien. Seul le volet humanitaire ressort réellement des échanges publics. Macron et MBS ont donc annoncé une conférence humanitaire sur le Yémen d'ici à l'été, peut-être afin de calmer la contestation qui gronde.

En effet, concernant la France, si l'affaire ODAS ne semble pas avoir ravi les industriels français, les politiques pourraient contester la légalité des ventes d'armes françaises à Riyad par l'ouverture d'une commission d'enquête. Ajoutons de plus les dénonciations d'ONG, la dernière en date émanant d'Amnesty International.

Cette pression s'exerce de plus sur MBS. À la demande d'une ONG yéménite, Legal Center for Rights and Development, une plainte a été déposée au TGI de Paris pour «complicité d'acte de torture», notamment, accusant directement le prince héritier. Si à coup sûr, cela ne devrait pas beaucoup toucher MBS, cette pression ne ferait pas les affaires de la France, comme le souligne Roland Lombardi:

«Le prince se fout royalement, si je puis dire, de cette plainte comme de son premier keffieh! Rappelez-vous la fable de la Fontaine: "selon que vous soyez puissant ou misérable…" Mais cela peut lui servir de prétexte pour repousser les sollicitations commerciales françaises, puisqu'il préfère déjà se tourner vers les USA et même la Russie.»

Outre l'Iran et le Yémen, la question syrienne a aussi été mise en avant par les deux hommes, ou du moins, à l'initiative des journalistes présents à leur conférence de presse commune.

À la question de son implication dans d'éventuelles frappes contre le gouvernement syrien, le prince s'est contenté de répondre que «si nos alliances avec nos partenaires l'exigent, nous répondrons présents».

Rappelons cependant qu'il s'est récemment illustré en étant le premier des chefs d'État des alliés contre Bachar el-Assad à considérer que ce dernier avait gagné la guerre en Syrie et que le problème n'était pas qu'il reste au pouvoir, mais l'influence et la prépondérance de l'Iran en Syrie. Une position qui pourrait occasionner un nouveau différend avec celle d'Emmanuel Macron, comme le souligne Roland Lombardi:

«Sur la Syrie, la France devrait avoir des positions indépendantes, d'autant plus que, depuis l'arrivée sur la scène de MBS et les échecs de son pays dans la région, la vision de l'Arabie saoudite a beaucoup évolué, notamment par les négociations entre Riyad et Moscou. Et les diplomates français semblent ne pas l'avoir compris.»

L'analyste spécialiste des relations internationales ajoute, comme pour résumer sur ces dossiers géopolitiques:

«Encore une fois, la France ne compte plus, malheureusement. Mais si Macron adoptait une politique cohérente et claire au Moyen-Orient, ce qui n'est pas encore le cas apparemment, il pourrait se servir de son charisme et de son dynamisme pour séduire et se faire entendre. Cependant, j'ai bien peur que le Président français ne limite, pour l'instant, son rôle, comme ses prédécesseurs, à celui d'un super VRP!»

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