Tunisie, 1961: «Une guerre avec la France, c’est préférable à une guerre avec l’Algérie»

© Sputnik . Natalia Seliverstova / Accéder à la base multimédiaTunisie
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Les mémoires d’un ancien Premier ministre tunisien, Hédi Baccouche, révèlent qu’en livrant la bataille de Bizerte contre la France, le régime de Bourguiba poursuivait aussi un autre objectif. Eviter un différend territorial avec l’Algérie, bientôt indépendante, en obtenant de la France la rétrocession de la borne 233, revendiquée par les Tunisiens.

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La bataille de Bizerte, décidée par Bourguiba pour obtenir l'évacuation totale des troupes françaises, avait également une autre motivation…moins connue et «à mille lieues» de la ville du Nord tunisien. C'est ce que révèle l'ancien Premier ministre tunisien (1987-1989), Hédi Baccouche, dans ses mémoires qu'il vient de publier.

«En menant la bataille de Bizerte, Bourguiba était convaincu que son sort ne posait pas un grand problème. Dans un an ou deux, Bizerte finirait par être évacuée. Son but réel était les frontières du Sud: il voulait éviter d'en faire un problème tuniso-algérien. Il comptait donc exercer une pression populaire sur la France pour qu'elle accepte de négocier ce point avant son départ d'Algérie», raconte Hédi Baccouche dans ses mémoires, «En toute franchise» (Sud Editions, avril 2018)

«Les frontières du Su», ou toute la problématique de la borne 233. Aux fins d'agrandir le périmètre de l'Algérie française, les autorités coloniales avaient effectué un nouveau traçage frontalier, privant la Tunisie d'un prolongement naturel au Sahara. Pour Bourguiba, à mesure que les péripéties de la guerre d'Algérie annonçaient l'échéance inéluctable de l'Indépendance, obtenir la rétrocession de cette zone du Sud devenait «un objectif plus urgent qui ne pouvait pas attendre». D'autant plus que Bourguiba était convaincu que «les Algériens, même s'ils lui avaient consenti quelques vagues promesses, ne cèderaient jamais une partie du territoire qu'ils allaient hériter de la France et pour lequel ils avaient consenti des sacrifices énormes.»

«Si chance il y a pour rectifier les frontières du sud, il fallait la tenter avec la France, immédiatement, avant la proclamation de l'indépendance, même s'il (Bourguiba, ndlr) devait entrer en conflit armé avec elle. (…) A la veille de la guerre de Bizerte, Hassib Ben Ammar, chargé de la Jeunesse du Néo-Destour (parti nationaliste tunisien, ndlr), posait à Taïeb Mehiri, Ministre de l'Intérieur, la question de l'opportunité de cette guerre (de Bizerte, ndlr). Ce dernier lui répond: Une guerre avec la France, c'est préférable à une guerre avec l'Algérie», précise Hédi Baccouche dans son livre.

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L'acte d'indépendance du 20 mars 1956 n'avait pas mis fin à la présence française en Tunisie. A ce titre, la bataille de Bizerte était le dernier épisode d'un long combat, militaire et diplomatique, pour obtenir l'évacuation des troupes françaises. En février 1957, les Tunisiens obtiennent le retrait progressif des troupes stationnées en Tunisie. Cinq mois plus tard, en juillet 1957, un accord stipule que la France évacue l'ensemble du territoire à l'exception d'une demi-douzaine de bases. Un an plus tard, suite au bombardement meurtrier du village tunisien de Sakiet Sidi Youssef, fut conclu un nouvel accord selon lequel les troupes françaises ont dû évacuer tout le pays, à l'exception de Bizerte et sa région.

Dans le même temps, les Tunisiens s'engageaient dans la bataille de Bizerte et celle de la borne 233. Si la première a déclenché un processus politique qui aboutit à l'évacuation de la ville du Nord, le 15 octobre 1963, la borne 233, elle, est toutefois restée française, avant d'être remise à l'Algérie. «Bourguiba n'a pas arrêté de la revendiquer mais l'Algérie, attachée au principe du respect des frontières léguées par les puissances coloniales, refuse de satisfaire cette revendication», rappelle Hédi Baccouche.

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L'épisode est définitivement clôt, puisque par le traité de 1970 et celui 1983, auquel Hédi Baccouche, ambassadeur à Alger (1982-1984) a contribué, «il n'y a plus place entre la Tunisie et l'Algérie pour un différend frontalier». En 1999, l'envoyé spécial en Algérie du Président Ben Ali, Hédi Baccouche, recevra cette déclaration d'Abdelaziz Bouteflika, fraîchement élu à la tête de l'Algérie: «la Tunisie étant un prolongement de l'Algérie, et l'Algérie un prolongement de la Tunisie», l'Algérie est «prête à aller avec la Tunisie jusqu'aux limites extrêmes dans tous les secteurs».

Personnage ayant marqué tous les tournants délicats de l'histoire récente de son pays, Hédi Baccouche a d'abord milité pour l'indépendance de la Tunisie. Il a ensuite occupé les plus hautes fonctions diplomatiques, administratives et politiques, connu plusieurs traversées du désert, mais non moins systématiquement rappelé aux affaires. Il est considéré comme le véritable cerveau du «changement» du 7 novembre 1987, un «coup d'Etat médical» qui déposera le leader Habib Bourguiba, «sénile, malade et influençable», pour porter à la tête de l'Etat Zine El Abidine Ben Ali. Et à la chute de celui-ci, le 14 janvier 2011, on retrouvera le même Hédi Baccouche dans les coulisses de la Kasbah, siège de la présidence et du gouvernement intérimaires.

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