Syria Charity: derrière l’ONG humanitaire, un instrument politique?

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L’ONG Syria Charity, propagandiste, affiliée aux Frères Musulmans, voire aux terroristes? Les critiques ont fusé après la réunion sur la Syrie, où le Président Macron a notamment reçu cette organisation à l’Élysée. Mohammed Alolaiwy, son président, défend Syria Charity, se livre, dément et révèle les erreurs de l’ONG et ses zones d’ombres.

Syria Charity, une ONG humanitaire opérant en Syrie, a-t-elle des arrière-pensées politiques? C'est en tout cas, ce qu'ont clairement laissé entendre certaines personnalités, politiques, experts, humanitaires, après que l'association ait été reçue par le Président de la République le 17 avril dernier.

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En effet, conviant une vingtaine d'ONG à l'Élysée, Emmanuel Macron, après avoir, selon le président de Syria Charity Mohammed Alolaiwy, pris conseil auprès d'humanitaires sur l'aide à apporter à la Syrie, a annoncé le déblocage de 50 millions d'euros.

Macron finance-t-il des alliés des Frères Musulmans? Un opposant politique à Bachar el-Assad? Si certaines zones d'ombres existent, relevons d'emblée que les 50 millions promis par l'Élysée ne seront pas tous versés à l'ONG incriminée, mais à des projets développés par des dizaines d'associations différentes. Voulant couper court à la polémique, Romain Caillet dans Checknews a affirmé que «Rapprocher Syria Charity du djihadisme ou du salafisme, c'est n'importe quoi.»

Mohammed Alolaiwy réfute lui aussi tout lien avec les djihadistes et ajoute, à l'appui de ses dénégations, que:

«Le directeur de bureau de Syria Charity, Mossaab Aboumarwan a été assassiné en février 2014 par les terroristes de Daesh*.»

Mais si personne n'a sérieusement soutenu que l'ONG était complice de l'État islamique, plusieurs voix ont souligné de supposés liens entre Syria Charity et les Frères Musulmans, à l'exemple de Patricia Lalonde, eurodéputée centriste (ADLE), qui déclarait: «on connaît les connexions de Syria Charity avec les Frères musulmans, notamment son président Mohammad Alolaiwy, proche de l'UOIF, et ceci est assez inquiétant». Le principal intéressé lui rétorque:

«Syria Charity, nous sommes une ONG qui n'a aucun rapport avec des groupes armés, mais surtout encore beaucoup moins avec tous groupes politiques, que ce soient les Frères Musulmans.»

Si quelques sites non-mainstream et l'ancien «Frère» Mohamed Louizi n'ont pas hésité, entres autres, à rappeler que le président de Syria Charity se trouvait, en 2015, en présence d'un prêcheur radical, pour démontrer ces liens avec l'islamisme et avec les Frères Musulmans, Mohammad Alolaiwy se défend en expliquant

«que j'étais juste présent au même moment, mais je ne le l'ai jamais revu depuis.»

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Comme d'autres, cette affirmation est difficilement recoupable et les éléments tangibles qui prouveraient des liens entre Syria Charity et les Frères Musulmans nous font défaut. Est-ce à dire qu'ils n'existent effectivement pas ou que le fonctionnement décentralisé et informel des Frères Musulmans ne laisse pas de telles traces? Seule une enquête plus approfondie permettrait d'apporter une réponse définitive à cette question.

La question qui subsiste reste alors celle de l'activité de l'ONG Syria Charity. Sa mission d'aide humanitaire n'est-elle pas une façade pour œuvrer politiquement en Syrie? Les nombreuses informations de terrain émanant de l'opposition syrienne peuvent en tout cas le laisser penser.

«Dans la quasi-totalité des cas, on relaie uniquement des vidéos et des photos qui proviennent de Syria Charity, et parfois nous relayons des éléments d'autres organismes, et on le mentionne pour la traçabilité. On essaye au maximum de relayer des informations que l'on vérifie. Mais on est dans un contexte de guerre de l'information. Il peut y avoir parfois des erreurs,» nuance Mohammed Alolaiwy.

Le mot est lancé! Le président de l'ONG Syria Charity reconnaît que son organisation a pu faire des erreurs. Cette association caritative, qui parraine plus de 8.000 orphelins, fait fonctionner quatre hôpitaux, sponsorise six écoles et a mis en place une aide d'urgence, selon son président, choisit chaque jour de relayer des images d'évènements de la guerre en Syrie. Cependant, comment ne pas douter quelque peu de la véracité de leur information en pleine guerre médiatique que se livrent tous les acteurs du conflit? Le récent exemple de la supposée attaque chimique de Douma en est un symbole:

«Les membres de Syria Charity étaient présents à Douma le 7 février, aux alentours de 9 heures. Il y a eu deux bombes qui ont été lancées par l'aviation, des hélicoptères, l'une contenant sans aucun doute du gaz au chlore, selon nos membres et l'autre contenant un autre gaz, peut-être du gaz saline, mais c'était un dérivé qui était assez différent selon nos membres sur place.»

Des propos qui font en tout cas écho à ceux d'Emmanuel Macron le 15 avril lors de son interview sur BFMTV et Mediapart: «Nous avons obtenu des preuves que du chlore, des armes chimiques, avaient été utilisés» affirmait le Président de la République, ajoutant que ces frappes «pouvaient être attribués au régime syrien».

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Un pas que ne franchit pas aussi clairement Mohammed Alolaiw, se contentant de le sous-entendre, puisque l'armée de Bachar el-Assad est la seule force syrienne à posséder des hélicoptères et des avions.

Pour autant, plusieurs journalistes, notamment anglais, américains et allemands affirment, après enquête sur place que Douma n'a pas connue d'attaque chimique. Le choix de relayer ces vidéos et ces informations non recoupées peut être mis en cause parce que ces images ont une incidence politique directe: elles viennent appuyer la thèse du franchissement de la «ligne rouge» et le bombardement occidental.

Si Mohammed Alolaiw justifie cette activité de communication, par la volonté de faire réagir les internautes pour qu'ils soutiennent l'aide humanitaire en Syrie, ces campagnes de communication restent donc problématiques. D'autant plus, qu'à ses débuts cette association s'est concentrée sur des relais d'informations partisans:

«Pour une Syrie Libre, c'était un média qui relayait des informations, qui traduisait des informations, qui était présent en Syrie. C'est ainsi que, certains de nos membres, effectivement, travaillaient sur ce sujet-là, puis ensuite, il y a eu un virage humanitaire, il y a eu une décision de travailler uniquement dans l'humanitaire. On est passé du relais d'informations à l'humanitaire.»

Mohammed Alolaiwy révèle donc que les débuts de l'ONG Syria Charity, qui s'appelait alors Pour une Syrie Libre, étaient consacrés à la prise puis au relais d'informations. Une sorte d'entité de journalistes amateurs qui souhaitaient informer sur le conflit en Syrie. Sans prisme politique?

«Pour une Syrie Libre, aujourd'hui, n'existe plus. C'est un groupe d'informations qui s'est lancé au tout début des évènements en 2011/2012 et qui relayait des informations engagées, qui avait une prise de position.»

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Ces «informations engagées», cette «prise de position» étaient clairement contre le Président Bachar el-Assad. Et cela explique par ailleurs, pourquoi Syria Charity n'intervient, officiellement, que dans les zones non contrôlées par les forces de Damas. Mohammed Alolaiwy, conscient que ce type d'action avait des fins et des conséquences politiques, semble donc regretter le passé de son ONG:

«Il faut savoir que Syria Charity, à ses débuts, était une association dans laquelle il n'y avait aucun salarié. Elle était portée par une jeunesse franco-syrienne, donc oui, il y a eu des erreurs.»

Et il ajoute:

«Syria Charity est une organisation apolitique, qui cherche simplement à relayer le travail de ses équipes sur le terrain et qui justement veut éviter d'être prise dans les engrenages politiques pour remettre l'action humanitaire sur le devant de la scène.»

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Affirmant que les «ONG musulmanes du Golfe, ne nous ont jamais sponsorisées, ne nous ont jamais fait confiance», Mohammed Alolaiwy souhaite se démarquer du passé et des liens parfois troubles avec des actions politiques liés aux islamistes en Syrie. Il ajoute que «la seule grosse structure, qui nous a fait confiance et avec qui nous avons eu un partenariat de qualité, c'était l'ONG chrétienne qui s'appelle World Vision».

«On cherche à nous mettre dans une case. Mais malheureusement, elle ne correspond pas. On cherche à sensibiliser, via des artistes, via des galas, via des soirées, toutes personnes qui se sentent intéressées par la question syrienne.»

S'il reconnaît des erreurs par le passé, s'il qualifie certaines actions de «maladresses», comme celle d'une photo postée sur le site Syria Charity déclarant «le Premier ministre palestinien choisit définitivement son camp, celui d'une Syrie Libre!» avec un drapeau de l'Armée Syrienne Libre, le président de l'ONG souhaite conclure sur ce sujet:

«Il ne faut pas mélanger, la fougue de la jeunesse de nos débuts (2011-2013) avec aujourd'hui, une ONG qui s'est professionnalisée, qui a mis en place de véritables programmes humanitaires et qui se veut, fondamentalement aujourd'hui, apolitique.»

Cependant, si l'action humanitaire semble bien réelle en Syrie depuis quelques années, les productions de vidéos-chocs restent une activité importante de Syria Charity. Si l'ONG ne se veut pas politique, ses images sont publiées comme la vérité sur la guerre syrienne. Et ces informations relayées sont-elles en 2018 aussi neutres que veut le faire croire Syria Charity? La question reste entière. Mais là encore, Mohammed Alolaiwy tente de contrecarrer ces accusations en rappelant que son ONG a, par le passé, relayé aussi des informations se révélant critiques pour les pays occidentaux et leurs alliés:

«Quand je dis, qu'il y a eu des bavures, et cela a été dit sur la page Facebook, à la suite de bombardements de la coalition internationale, je ne suis pas dans la prise de position politique, simplement je relaie un fait dont nos membres ont été témoins.»

Ne peut-on être tenté de faire le parallèle entre Syria Charity et les White Helmets, deux ONG intervenant en Syrie uniquement côté «rebelle», alliant action humanitaire et diffusion de messages et vidéos-chocs… parfois contestables? Si les Casques Blancs ont été mis en cause de nombreuses fois, notamment par les autorités russes, ce n'est certes pas le cas de Syria Charity. Mais, même s'il reconnaît avoir déjà relayé des informations provenant de cette organisation, Mohammed Alolaiwy prend ses distances pour éviter toute association entre son ONG et les Casques Blancs:

«Syria Charity est complètement indépendant des Casques Blancs. Il n'y a ni soutien ni approbation.»

*Daech/l'État islamique est une organisation terroriste interdite en Russie

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