Guerre économique USA-UE, «nouvel effet pervers de l’euro»

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L’exaspération des partenaires économiques des États-Unis serait «unanime» après les nouvelles taxes sur les exportations d’acier et d’aluminium de l’UE. Pourtant, ces mesures anti-dumping américaines trahissent un tout autre phénomène, bien plus européen: celui des disparités créées entre les économies de la zone euro par la monnaie unique.

Une décision «illégale», «une erreur»: à en croire CNN, Emmanuel Macron n'aurait pas mâché ses mots lors d'un échange téléphonique «terrible» avec son homologue américain à propos des taxes américaines sur l'acier et l'aluminium.

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Si le chef de l'État a préféré ne pas «raconter les coulisses, parce que comme l'a dit Bismarck, si on expliquait aux gens la recette des saucisses, il n'est pas sûr qu'ils continueraient à en manger!», il est certain que pour les Européens, la coupe est pleine et l'exaspération à son comble: depuis le 1er juin, l'acier et l'aluminium made in EU sont à présent respectivement taxés à hauteur 25% et 10% par les douanes américaines. La menace de Donald Trump qui planait depuis début mars est donc tenue.

Double objectif de cette mesure connotée «America first» (l'Amérique d'abord): mettre un terme à l'hémorragie de l'industrie étatsunienne, qui serait selon son Président la «cible (…) depuis des décennies, d'attaques commerciales déloyales» et résorber un déficit commercial record qui en 2017 atteignait 566 milliards de dollars (483 milliards d'euros).

​Après ce casus belli d'une guerre commerciale annoncée, Cecilia Malmström, Commissaire européenne au Commerce, déclarait le 1e juin que Bruxelles avait déposé plainte auprès de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) contre les États-Unis et la Chine. 

Une première phase de la réaction «graduée» des Européens qui ne prend personne de court. Jean-Claude Juncker n'avait-il pas prévenu, lorsqu'il déclarait que «nous serons aussi stupides» qu'eux [les États-Unis, ndlr], évoquant de possibles taxes sur le beurre de cacahuète, les Harley Davidson ou le bourbon? Une partie de la presse française avait salué une mesure qui impacterait des «millions» de travailleurs américains. Des menaces auxquelles Donald Trump avait juré de répliquer en élargissant ses taxes douanières à d'autres produits européens.

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En effet, depuis plusieurs semaines les leaders politiques européens —semblant vouloir jouer sur le même terrain que leur homologue outre-Atlantique- se sont lancés dans une surenchère de déclarations tonitruantes et sensationnalistes. Le tout sans aucun effet, comme pour la sortie des USA de l'accord de Paris sur le climat, ou de celui de Vienne sur le nucléaire.

Représentant 3% des exportations d'aluminium vers les États-Unis, l'Allemagne est présentée comme la principale victime européenne de la mesure de Donald Trump. Pour autant, Berlin n'est pas blanc comme neige, aux yeux de l'économiste et financier Charles Gave, fondateur et président du think tank libéral «Institut des Libertés», qui pointe du doigt l'excédent commercial «absolument monstrueux» de l'Allemagne.

«Lors de la grande crise de 2009, tout le monde s'était mis d'accord pour essayer de réduire ces déséquilibres. La Chine est passée de 6 ou 7% d'excédents de son commerce extérieur- en pourcentage de son PIB- à 1%, l'Allemagne est montée de 4 à 8%… quelque part, il y a quelque chose qui ne marche pas.»

En effet, si la Chine et le Mexique ont creusé de manière significative leur balance commerciale avec les États-Unis (respectivement positive de 375,2 et 71 milliards en faveur de Pékin et de Mexico), les Allemands battent des records en matière d'excédent commercial, le tout dans une discrétion qui trahit une certaine gêne.

En effet, si l'excédent commercial allemand enregistre en 2017 un faible recul par rapport à 2016, celui-ci s'explique avant tout par une hausse des importations allemandes (+8,3%) plus forte que ses exportations (+6,3%). Dans les faits, l'Allemagne reste le pays avec le plus gros excédent commercial au monde (en valeur absolue!), devant la Chine.

«La base du commerce international, c'est le retour à l'équilibre sur le long terme […] si des pays sont sans arrêt en excédent, on peut se poser des questions légitimes sur la façon dont ils jouent les règles du jeu.»

Pour Charles Gave, ce qui grippe le jeu du commerce international est l'Euro. Revenant sur le thème de son livre Des lions dirigés par des ânes (Éd. Robert Laffont, 2003), l'économiste pointe du doigt le concept d'une monnaie unique partagée par des économies radicalement différentes.

«Ce qu'il y a de certain, c'est que l'Allemagne accumule des excédents de plus en plus importants. […] Dans le bon vieux temps, on aurait réévalué le Deutschemark et le problème aurait été résolu, aujourd'hui on ne peut pas.»

Pour l'économiste, le diagnostic de cette crise entre les USA et l'UE est sans appel:

«C'est une autre manifestation de la crise de l'euro. Parce que l'euro n'a aucune raison d'être. Aujourd'hui, probablement, pour l'Italie il est trop cher et pour l'Allemagne, il est indéniablement trop bon marché.»

Un reflet de l'«effet pervers de l'Euro», qui sanctionne tout autant les voisins de l'Allemagne sur lesquels elle exerce une «pression déflationniste puissante» par ses excédents, que ses propres consommateurs, qui utilisent une monnaie sous-évaluée.

«J'écrivais que l'euro allait tuer l'Europe que j'aimais, on y arrive: les Allemands sont détestés partout, les Italiens se révoltent, les Grecs réclament qu'on leur rende ce qu'on leur a volé pendant la guerre de 40: tous les efforts qui avaient été faits pour réconcilier l'Europe avec elle-même, depuis que l'Euro existe, sont en train de voler en éclats.»

Une situation qui pèse sur les chances de succès de la plainte européenne auprès de l'OMC. En effet, également sanctionnés, le Canada et le Mexique, partenaires des États-Unis via l'ALENA, ont eux aussi porté plainte devant l'organisation internationale. Deux cas «beaucoup plus défendables auprès de l'OMC», confirme ainsi Charles Gave.

«Les Européens croient que le droit régit le monde —ce serait bien si c'était vrai-, mais il se trouve que, si je devais être particulièrement cynique, je dirais que ce qui régit le monde, comme le disait Bismarck, une diplomatie sans les armes, cela n'existe pas!»

Évoquant un proverbe finlandais, selon lequel «dans un pays, il y a toujours une armée» pour Charles Gave, les Européens fondent de faux espoirs dans une OMC qui les protégerait des décisions américaines, notamment parce qu'ils sont militairement liés, via l'OTAN, à Washington.

​Un lien entre commerce international et Défense que fait clairement Donald Trump. Pourtant, ce rapprochement choque certains observateurs qui le mettent sur le compte d'un décalage du Président américain avec le monde réel.

«C'est celui qui porte les armes qui emporte la décision politique, donc à partir du moment où on n'a pas de défense nationale, qu'on n'a plus d'armée, qu'on dépense tout pour les systèmes sociaux [et plus rien pour les systèmes de protection extérieure, ndlr], vous ne pouvez pas avoir une voix qui porte très loin dans le domaine international. […] Nous avons une diplomatie, nous n'avons pas d'armes, attendez-vous à ce que notre voix soit inaudible.»

Notons également que si Donald Trump est particulièrement décrié pour mettre au pas si ouvertement ses alliés européens, au mépris de leurs intérêts économiques, c'est probablement le travail de son prédécesseur qui pourrait enterrer les espoirs des Européens. En effet, comme le souligne Le Point, «le blocage progressif de l'OMC a débuté sous l'administration Obama».

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Quoi qu'il en soit, ces nouvelles mesures américaines ont de quoi échauder les Européens, et tout particulièrement la France. Si l'Allemagne est visée, la France n'est pas en reste en termes de sidérurgie. Si son ancien fleuron industriel Arcelor, ex-leader mondial du domaine, est passé sous pavillon étranger, le territoire français conserve des installations-clefs à l'échelle européenne, comme la fonderie d'aluminium de Dunkerque, à ce jour la plus grosse du continent.

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