Guerre en Ukraine: un règlement «utopique», sommet après sommet

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Nouvelle rencontre au sommet pour la paix en Ukraine? Si la rencontre entre Paris, Berlin, Moscou et Kiev a eu lieu lundi 11 juin, elle n’a rien résolu ou presque dans la crise à l’Est de l’Ukraine. Mais, à l’heure où la Russie reçoit le monde pour le football, l’apaisement apporté par cette réunion au format Normandie est vital. Interview.

Une énième réunion pour la résolution du conflit qui sévit à l'est de l'Ukraine? Pas vraiment! Si Paris, Berlin, Moscou et Kiev se sont retrouvées pour une nouvelle réunion au format Normandie, le 11 juin, aucune avancée majeure n'est sortie de cette rencontre. Pourtant, le contexte géopolitique actuel, entre les tensions à l'Ouest, le positionnement de la France et de l'Allemagne, les journalistes russes emprisonnés en Ukraine et le lancement imminent de la Coupe du monde en Russie, rend cette rencontre des ministres des Affaires étrangères intéressante.

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André Filler, maître de conférences à Paris VIII et à l'Institut Français de Géopolitique, nous livre son regard sur un conflit qui a détruit l'Ukraine et causé près de 10.000 morts et le déplacement de centaines de milliers de personnes.

Sputnik France: les ministres des Affaires étrangères français, allemand, russe et ukrainien se sont retrouvés à Berlin pour une première réunion depuis près d'un an et demi, ce lundi 11 juin. Quels enseignements tirer de cette confrontation?

André Filler: «La première chose à retenir de cette rencontre est le fait même qu'elle ait eu lieu. On ne croyait pas, pendant très longtemps, que les retrouvailles dans le Format Normandie pour parvenir à mettre en œuvre les accords de Minsk puissent un jour reprendre, notamment à cause du contexte tendu: échéances électorales en Ukraine et Coupe du monde.

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Cependant, concrètement, les informations ont été extrêmement parcimonieuses à l'issue de cette réunion. Premièrement, pas d'accord signé, dû notamment à la présence, seulement, des ministres des Affaires étrangères. Mais on voit clairement qu'il y a plusieurs positions qui se dégagent de plus en plus. La première est une tentative européenne de reprise du dialogue. Il est d'ailleurs très intéressant que ni l'Allemagne ni la France n'évoquent la question de la Crimée.

[…] Cette initiative européenne s'explique aussi par la rupture, de plus en plus consommée avec les États-Unis. Et cette position européenne semble plus construite, plus concertée aussi. La position ukrainienne est passablement fragilisée. Le Président Porochenko ne peut pas être certain de l'issu des élections. La question des territoires du Donbass et de Louhansk devient un enjeu électoral majeur, ce qui fragilise la position ukrainienne et enlève à l'Ukraine sa marge de manœuvre. Quant à la Russie, il est important de profiter justement cette faiblesse conjoncturelle et structurelle ukrainienne et de la conjoncture russe favorable à l'international à l'approche de la coupe du monde.»

Sputnik France: À l'issue de la réunion, Russes et Ukrainiens se sont engagés à respecter un cessez-le-feu durable, trop souvent violé ces derniers temps. Pensez-vous que cela soit possible ou totalement utopique?

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André Filler: «Actuellement, ce "cessez-le-feu durable" me semble utopique. Notamment, parce que l'ouverture des territoires sécessionnistes reste finalement la plus grande question. On peut trouver des accords sur l'échange des prisonniers, sans doute d'ailleurs fait pour monter justement les enchères pour un accord possible; on peut imaginer des accords sur l'énergie et voire occulter la question criméenne. En revanche, actuellement, ce qui reste la pierre d'achoppement demeure là où elle a été posée, c'est l'ouverture des territoires, notamment ceux qui sont litigieux aux parties tierces: observateurs de l'ONU, missions de l'OSCE, contrôle de la frontière avec la Russie. Toutes ces questions-là, qui peuvent sortir les Républiques populaires de Donetsk et de Lougansk de leur statut de quasi-état de guerre, semblent aujourd'hui peu souhaitables et peu souhaitées des deux côtés. Les choses ne pourront changer qu'après les élections en Ukraine.»

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André Filler: «Tout d'abord, il faut prendre conscience que la position de la France et de l'Allemagne ne sont pas tout à fait les mêmes. Pour l'Allemagne, la question ukrainienne est une question principale: par exemple, les Unes dans la presse, les grands éditoriaux sont consacrés à la Russie ou à l'Ukraine. Ce qu'il se passe à l'Est reste un topos de la géopolitique allemande. La France, pendant le quinquennat précédent, n'avait pas politique russe. Aujourd'hui, on assiste à une formulation de cette politique, portée davantage par Macron que par Le Drian. Néanmoins, et on l'a observé à Saint-Pétersbourg, la France peut être plus audacieuse que l'Allemagne, et cela est notamment dû à la perception de l'opinion publique dans les deux grandes puissances. En même temps, Merkel est d'un pragmatisme à toute épreuve, prouvée avec la validation de Northstream II. Donc je pense qu'il ne faut pas condamner, prématurément, le Format Normandie. Il y a un intérêt des puissances européennes pour le règlement du conflit, notamment pour des raisons politiques et économiques.»

Sputnik France: Les problèmes internes en Ukraine n'entraînent-ils pas une stagnation de ce conflit larvé (corruption, problèmes des institutions, extrémisme, etc.)?

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André Filler: «Oui, certainement. L'Ukraine est un État extrêmement affaibli du point de vue du fonctionnement de ses Institutions. Aujourd'hui, le seul processus politico-sociétal qui est encore en état de marche est le processus électoral. Mais à part cela, c'est un État gangréné par des problèmes de corruption, par la faiblesse des institutions et des instances de contrôle, par l'absence d'une vision claire et cohérente de son rôle global et régional. Donc, effectivement, je pense qu'il faille souhaiter une Ukraine stable, une Ukraine qui n'aura plus besoin du conflit sur ses territoires orientaux, qu'une Ukraine déchirée, pour parvenir à la paix dans ce pays.»

Sputnik France: L'Ukraine et ses autorités politiques ont-elles besoin de ce conflit? Sert-il leurs intérêts?

André Filler: «Je pense que le maintien de ce conflit pourrait être dans l'intérêt des dirigeants ukrainiens actuels. Il est difficilement imaginable de pouvoir déduire autre chose, si on lit, au jour le jour, la chronologie de l'action du gouvernement Porochenko. Ceci étant dit, je ne pense pas qu'il s'agisse d'une tendance structurelle, il s'agit de surfer sur cette conjoncture politique. Et cela n'enlève rien à des positions également souvent inconséquentes des gouvernements des deux Républiques sécessionnistes.»

Sputnik France: Vladimir Poutine et son homologue ukrainien Petro Porochenko ont eu une conversation téléphonique samedi dernier pour évoquer notamment un «échange de prisonniers», question aussi évoquée lundi à Berlin. Est-ce un enjeu dans le processus de paix?

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André Filler: «Je pense que chacun a des visées bien précises qui sont "paraconflictuelles". Pour la Russie, il s'agit de satisfaire l'opinion publique internationale, alors que pour l'Ukraine, il s'agit de ramener des prisonniers au bercail, ce qui sert naturellement ses fins de politiques intérieures.

Je pense que les deux côtés ont tout intérêt de procéder à cet échange. Il est intéressant de noter que le ministre des Affaires étrangères russes, Sergueï Lavrov, a souligné la différence structurelle entre la condition des condamnés: en Russie, tout du moins du point de vue strictement formel et juridique, les condamnés relèvent du droit commun, tandis qu'en Ukraine, il s'agit essentiellement des représentants des médias russes accusés d'effectuer une influence d'une puissance étrangère sur le territoire national.

Il n'y a pas d'accord rhétorique, qui on échange contre qui, mais cet échange aura lieu. C'est dans l'intérêt de tout le monde. Mais c'est une mesure humanitaire tout à fait salubre, mais je crains, qui est plutôt cosmétique pour des solutions du conflit à long terme.»

Sputnik France: Est-ce que le conflit entre l'Ukraine et ses territoires de l'Est peuvent interférer dans le bon déroulement de la Coupe du monde de football?

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André Filler: «Il faut espérer que non. J'ai du mal à imaginer quelles seraient les répercussions de ce conflit, excepté peut-être une escalade des violences transfrontalières. On observe ces derniers jours une certaine intensification des hostilités. Mais pour l'instant, cela reste marginal et ponctuel, mais cela peut évidemment s'enflammer et il faut espérer que cela ne soit pas le cas. Cependant, il est à noter qu'il y a une réelle différence entre les Républiques du nord Caucase et l'Ukraine c'est que l'Ukraine ne possède pas de réseaux terroristes qui pourraient nuire au déroulement de la Coupe du monde en Russie.

Donc je n'y vois pas de raison à ce que le conflit entraîne des tensions lors de la Coupe du monde, d'autant plus que les quatre participants de la dernière réunion de Berlin (Allemagne, France, Ukraine, Russie, le lundi 11 juin) vont tout faire pour éviter ce genre de chose. Cela sera extrêmement mal vu, aussi bien dans les États occidentaux qu'en Russie et en Ukraine où un certain nombre de supporters vont se déplacer en Russie.
Donc l'enjeu, je pense, est au contraire, une trêve ponctuelle pour la durée de la Coupe du monde.»

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