La gauche au pouvoir au Mexique, et maintenant?

© REUTERS / Daniel BecerrilPolice escort the vehicle carrying Mexico's president-elect Andres Manuel Lopez Obrador while leaving National Palace after a meeting with Mexico's President Enrique Pena Nieto in Mexico City, Mexico July 3, 2018.
Police escort the vehicle carrying Mexico's president-elect Andres Manuel Lopez Obrador while leaving National Palace after a meeting with Mexico's President Enrique Pena Nieto in Mexico City, Mexico July 3, 2018. - Sputnik Afrique
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Les dernières élections ont été marquées par des violences inédites au Mexique. Plus de 140 candidats et politiciens ont trouvé la mort durant la campagne. Quelques jours après l’élection du nouveau Président de gauche, Andrés Manuel Lopez Obrador, quelle est l’atmosphère générale? Quel est le bilan?

Dans la capitale, Sputnik était présent pour analyser la situation.

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Après le séisme politique qui a vu l'arrivée au pouvoir d'un Président de gauche au Mexique, la vie a repris son cours à Mexico. Malgré cet évènement inédit depuis des décennies, la ville n'était pas plus agitée qu'à l'habitude. Il y avait même une impression de calme après la tempête dans l'ancienne cité aztèque de 22 millions d'habitants.

Le Bernier Sanders du Mexique?

Andrés Manuel Lopez Obrador, dit AMLO, a basé l'essentiel de sa campagne sur un programme anti-système et anti-corruption. Plutôt froid, âgé de 64 ans, le candidat des classes populaires a promis d'enrayer la corruption et de réduire le pouvoir des organisations criminelles dans son pays. Durant la campagne, le Président a aussi déclaré qu'il s'entretiendrait avec son homologue américain, Donald Trump, pour annuler la construction du mur à la frontière américano-mexicaine. Dans une lettre publiée en français dans Le Monde diplomatique en avril 2017, Lopez Obrador écrivait:

«Nous nous fixons deux tâches prioritaires: convaincre les Américains qu'ils sont les victimes d'un discours démagogique visant à leur faire oublier l'ampleur de la crise économique; et expliquer aux Mexicains l'importance du travail qu'ils accomplissent de l'autre côté de la frontière.»

Exactement an après, en avril 2018, AMLO a fait part de son intention de ne pas emménager, une fois élu, dans la somptueuse résidence présidentielle de Los Pintos. Une résidence qu'il croit même hantée par des mauvais esprits. Lopez Obrador a déclaré qu'il allait plutôt ouvrir au public le site du parc de Chapultepec, où se situe la résidence officielle, et consacrer le tout aux arts et à la culture.

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Dans la foulée, AMLO avait aussi déclaré qu'il allait se priver de l'avion présidentiel, dont les coûts d'utilisation sont jugés faramineux. Des annonces très symboliques qui visaient à asseoir son image d'homme politique humble et modeste.

La stratégie populiste du candidat de gauche semble donc avoir porté ses fruits auprès de l'électorat. AMLO a donc réussi à battre le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) que le candidat défait, Enrique Peña Nieto, avait réanimé après le passage au pouvoir de Vincente Fox de 2000 à 2006. Mais des Mexicains jugent déjà les promesses du nouveau président irréalistes, du moins très audacieuses, tellement leur pays vit des moments difficiles.

Le problème de la violence endémique

Rappelons que 43 étudiants ont été assassinés en 2014 dans l'État du Guerrero, un incident qui est devenu emblématique de la montée de la violence et du pouvoir grandissant des cartels de la drogue. Le mystère autour de cette histoire tragique n'est pas entièrement résolu, mais la mort de ces étudiants est attribuée à des trafiquants de drogue. Depuis, la situation ne s'est guère améliorée. En 2017, plus de 25.000 homicides ont été enregistrés au Mexique, un record du nombre annuel d'assassinats en 20 ans.

«La violence au Mexique est un problème tellement grave qu'on ne sait pas comment le nouveau Président va s'y prendre pour faire revenir la paix»,

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confie à Sputnik Fanny Verde, 23 ans, interrogée sur la célèbre place du Zocalo. L'étudiante en licence de biologie à l'Université autonome du Mexique a ajouté qu'elle avait décidé, à la dernière minute, de voter pour un autre candidat. De fait, elle juge le programme de centre droit de Ricardo Anaya plus concret, plus moderne, et moins irréaliste.

Aussi interrogé, Francis Langlois, un Québécois qui vit à Mexico depuis quelques années, se montre plutôt sceptique quant aux promesses d'AMLO. Selon lui, le programme social du nouveau Président ne suffira pas à mettre fin à la violence endémique, surtout celle des narcotrafiquants. Pour le publicitaire, l'amélioration des conditions de vie des Mexicains passera par un changement de culture institutionnelle. Il a rappelé qu'

«ici, au Mexique, certains postes dans le milieu scolaire et administratif sont encore transmis de père en fils! Il faudra que AMLO s'assure d'améliorer les performances de tous les fonctionnaires. Le secteur privé pourrait aussi améliorer sa gestion des ressources…»

Saul Sanchez, psychologue social et professeur à l'Université Méxicoamericana du Golfe, est plus optimiste. Selon lui, AMLO est un homme politique sincère, qui représente un bon équilibre entre la gauche et la droite. Le professeur a également souligné que le problème de la violence au Mexique ne se réglerait pas par la militarisation du pays, mais par l'augmentation des revenus.

«Les salaires au Mexique demeurent, en moyenne, dans les plus bas en Amérique latine. Il faut favoriser le bien-être de la population pour mettre fin au pouvoir des cartels. Le nouveau Président semble l'avoir compris.»

Un vaste programme de «régénération nationale»

L'ancien maire de Mexico, qui s'était déjà présenté deux fois aux élections présidentielles, s'est fait élire avec un programme de «régénération nationale». Une formule-choc qui exprime beaucoup d'ambition, mais qui demeure ambiguë pour une majorité d'électeurs. Le programme du Movimiento Regeneración Nacional (MORENA) explique toutefois la démarche du Président:

«MORENA lutte contre la corruption, le régime antidémocratique, les injustices et l'illégalité qui ont conduit le Mexique au déclin actuel, lequel se manifeste dans la crise économique et politique, la perte des valeurs, la décomposition sociale et la violence.»

Le programme du mouvement est résolument de gauche sur le plan économique. En matière sociale, il fait aussi la promotion d'une sorte de «multiculturalisme» à la mexicaine. En effet, les références au problème de la pauvreté et au caractère multiculturel du peuple mexicain sont nombreuses. Un programme qui, somme toute, peut faire écho à d'autres plateformes électorales de partis politiques de gauche en Occident.

Le programme prévoit aussi de mettre fin à la longue tradition d'autoritarisme qui sévit dans ce pays. Une proposition qui laisse toutefois perplexes des personnalités respectées comme l'écrivain et intellectuel Roger Bartra. Interviewé par le journal El País quelques jours avant l'élection, Bartra avait affirmé qu'AMLO représentait la «régénération du vieil autoritarisme du Parti révolutionnaire institutionnel». Une manière ironique de dire que le nouveau Président n'apporterait pas beaucoup de changements au Mexique.

En tout cas, Andrés Manuel Lopez Obrador a d'ores et déjà marqué l'histoire du Mexique en portant la gauche au pouvoir. Maintenant, tous les yeux sont braqués sur lui et les attentes sont aussi élevées que nombreuses.

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